Les haies sont en danger
Jean Marc Lalloz, docteur vétérinaire de son état, n'a rien perdu de son enthousiasme. Il y a quelques décennies, il militait au côté de René Dumont, aujourd'hui, il se bat en Mayenne pour dénoncer la destruction des haies et du bocage.
« L’agriculteur se soucie de la qualité du sol, de la protection apportée aux cultures, aux bâtiments et aux animaux d’élevage, de la présence d’auxiliaires et de pollinisateurs, de la limitation des intrants, de l’opportunité apportée par le bois d’œuvre et le bois de chauffage. Le naturaliste se soucie de la richesse des écosystèmes et de la préservation de la faune et de la flore. Le promeneur, l’habitant et la collectivité se soucient de leur cadre de vie, d’un environnement sain, de la richesse du paysage, de la qualité de l’eau et de notre impact sur le climat. La haie et l’arbre champêtre nous mettent tous d’accord. Mobilisons-nous pour les milieux arborés ! » (Haies vives d’Alsace) Photos : JLS (Cliquez pour agrandir)
« Lorsqu’il y a 3 ans nous avons créé le ‘’Collectif Bocages 53’’ en révélant la maltraitance de la nature, les médias se sont précipités pour faire écho à notre action. Aujourd’hui, la situation est devenue aussi banale que les trains qui arrivent à l’heure. Tout le monde s’en fout ! », lâche Jean Marc Lalloz, malgré tout, encore motivé. Parmi les premières affaires dénoncées par les lanceurs d’alerte, un chantier pirate estimé à 3 000, voire 3 500 tonnes de bois déchiqueté, soit 180 à 350 km potentiels de haies ratissées au nom du profit. Revisitant les affaires depuis près de 60 ans, le collectif Bocages 53 en vient au pénible constat : « Malgré les déclarations d’intention et la doctrine officielle « Éviter, Réduire, Compenser », la protection de ces milieux n’a manifestement pas fonctionné. »
Reste à savoir quelle biodiversité trouve refuge dans les haies. « C’est une véritable tour de Babel », s’enthousiasme Pauline Rattez, en charge de l’agriculture à la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux). « Près de 600 espèces végétales sont recensées dans les haies. Un chêne pédonculé peut héberger jusqu’à 284 espèces d’insectes, l’aubépine 149 et le frêne 41. » L’agence Alterre Bourgogne a enquêté sur les haies champêtres. Elle identifie au moins 35 espèces de mammifères, allant de l’écureuil à la belette, en passant par huit espèces de chauve-souris et plus de 60 espèces d’oiseaux. Une véritable volière à ciel ouvert accueillant la chouette chevêche, comme l’accenteur mouchet, la perdrix grise ou la sittelle torchepot. En résumé, chaque strate de haie abrite des espèces spécifiques, y compris au plus bas avec les batraciens ou les reptiles.
La bienfaisance de ce biotope semble faire l’unanimité parmi les scientifiques, comme les agriculteurs ou les citoyens curieux de nature. Les haies génèrent des conditions microclimatiques favorables à la production agricole. Elles servent de brise-vent pour le bétail, retiennent l’eau et les sols, hébergent des auxiliaires capables de combattre les ravageurs de culture, font office de corridor pour la circulation des espèces ou permettent de trouver d’autres débouchés comme les fruits, les bois de chauffage ou d’œuvre. Ainsi, une haie peut produire quatre tonnes de bois au kilomètre chaque année, ce qui représente la moitié de la consommation annuelle d’un ménage pour le chauffage. Enfin, 1 km absorbe entre six et dix tonnes de dioxyde de carbone par an.
Face à cette largesse de la nature, il est difficile d’imaginer que l’on pourrait se passer de la manne. Les chiffres prouvent pourtant le contraire. Philippe Hirou, président de l’Afac-Agroforestie fait un bilan accablant : « C’est l’hécatombe. Depuis 1950, près de 1,4 million de kilomètres de haies ont été détruits afin d’obtenir de larges parcelles cultivables, plus adaptées à la mécanisation agricole. Il ne reste plus que 750 000 km aujourd’hui et, chaque année, 11 000 km continuent de disparaître. » Ces propos tenus à la une de la lettre de l’OFB renvoient à la pathétique saga des haies.
Plusieurs pays protègent les haies au travers de la loi
À leur apogée, au début du 20e siècle, la France en comptait plus de 2 millions de kilomètres, ainsi que la plus grande surface de vergers d’Europe. Le recul s’explique par la volonté d’agrandir quatre fois plus les parcelles pour laisser manœuvrer les machines. Alors que les chevaux de trait flirtaient avec la végétation, il faut aujourd’hui une largeur minimale de 10 à 20 mètres pour que les engins agricoles en prennent à leur aise. Rassurantes, les premières « Rencontres Nationales de la Haie Champêtre » rappellent que, depuis 20 ans, près de 30 000 km ont été plantés, ce qui permet de stabiliser l’hémorragie. Par ailleurs, les initiatives en faveur de la résilience sont nombreuses.
L’Office Français de la Biodiversité a décidé de mettre la haie à l’honneur en 2021 et Conseils Généraux ou Régionaux, Ministère de l’Écologie et de l’Agriculture, associations de protection de la nature ou chasseurs se félicitent d’être les plus efficaces des planteurs. Même le président de la République, dans la cadre du « One Planet Summit », a promis de planter 7 000 km de haies d’ici fin 2022, en lâchant au passage 50 millions d’euros. N’empêche. Plusieurs pays, comme la Suisse, l’Autriche et surtout la Grande-Bretagne protègent les haies au travers de la loi. Même chose en Espagne, dans des régions comme l’Estrémadure. L’Europe aussi ne démérite pas, en conditionnant en partie ses aides au bon comportement à l’égard des haies.
En France, la réglementation se montre beaucoup plus… souple, pour ne pas dire laxiste. Même classé au titre du PLU (Plan Local d’Urbanisme), il suffit de faire une déclaration préalable à la mairie pour effectuer une coupe ou abattre un arbre. Quant au Code Rural, il renvoie la responsabilité au préfet, qui peut prononcer la protection des boisements et autres haies et qui s’autorise, de la même manière, à en accepter l’abattage. L’amende potentielle est de 3 750 €, pas de quoi faire peur. En revanche, si la taille en vient à affecter les oiseaux durant leur période de reproduction, le délit se montre plus lourd : deux ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour destruction d’une espèce protégée. Cela dit, personne n’a jamais été ainsi sanctionné. Paradoxalement, à l’échelle nationale, il n’existe pas d’interdiction de tailler une haie pendant la période de reproduction des oiseaux (sauf pour les agriculteurs, entre le 1er avril et le 31 juillet). L’Office Français de la Biodiversité doit donc se contenter de « recommander » de ne pas intervenir du 15 mars au 31 juillet. Cette aimable suggestion laisse trop souvent les mairies indifférentes, de même que les particuliers. Et l’on voit mal comment les personnels de l’OFB, déjà en sous-effectifs, peuvent traquer les tronçonneuses. Répondant à « Actu Environnement » au nom de l’OFB, Jean Yves Olivier, en charge de la police en Franche-Comté, admet que, « faute de sanctionner ou de pouvoir le faire, nous proposons au procureur de la République la réparation de dommages, assortie d’une amende ». Ainsi, on restaure en s’exonérant de véritables poursuites.
Illustration : Juin
En Alsace, comme souvent, il en va autrement. Dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, il est interdit de détruire ou d’entretenir les haies durant la période sensible, soit de début avril à fin juillet. « Pourquoi ne pas étendre la mesure à l’ensemble du Grand Est ? », a lancé la LPO Alsace qui vient de se voir confier un dossier d’étude par la DREAL Grand-Est (autrement dit, le Ministère de la Transition Écologique). En 2022, un bilan convaincant sera rendu. « Il pourrait servir de modèle au reste du territoire français », se plaît à espérer l’association.
En attentant, l’Afac-Agroforestie souhaite un véritable élan immédiat en faveur des haies : « La renégociation de la PAC 2023 constitue l’opportunité à ne pas manquer, il faut que nous nous mobilisions tous. » De son côté, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), qui est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat, a pourtant martelé que la première cause de déclin de la biodiversité restait l’agriculture intensive et son cortège de pratiques meurtrières. Tous les décideurs ont entendu le message, mais l’ont-ils écouté ? Sûrement pas lorsqu’on constate que, chaque année, il disparaît quatre fois plus de kilomètres de haies qu’il ne s’en plante !
Allain Bougrain-Dubourg
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