Comment un collapsologue se prépare à l’« effondrement »

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Ils se sont installés à l’écart et cultivent un mode de vie basé sur le local et le partage. Dans leur esprit, la menace d’un effondrement qui pèserait sur nos sociétés, omniprésente et due aux changements climatiques. Rencontre avec un collapsologue alsacien qui a décidé d’« anticiper ce qu’on va se prendre dans la gueule ».

 

« Si on est à court de pétrole un jour, une voiture qui permet de rouler à l’huile sera utile à bon nombre de gens. » Un collapsologue alsacien évoque son mode de vie. Photo : L’Alsace/Jean-Marc Loos

Dans un grand entonnoir posé sur l’embouchure du réservoir, Antoine (*) verse le liquide doré. Il lui a suffi d’une « petite manip’» pour adapter le vieux moteur Diesel au carburant qu’il lui destine : de l’huile de friture. Hors période de Covid, l’homme en récupère deux fois 60 litres par mois dans un restaurant de Strasbourg, faisant d’une pierre deux coups : il se procure du carburant gratuitement et en plus, « ça rend service » aux restaurateurs. Grâce à un réservoir discret –« tout le monde croit que dedans, c’est de l’eau »–, il peut stocker 700 litres d’huile à domicile.

S’il tient à rester discret, c’est pour des raisons de fiscalité sur les carburants. Il ne se dit pas contre les taxes, mais militant pour la justice fiscale : « Je suis payé au Smic et je fais soixante-quatre kilomètres par jour pour aller travailler. Avec le diesel, ça me coûte huit euros aller-retour. Donc la première heure sur les huit que je bosse, ça me sert en grande partie à payer mon trajet. C’est scandaleux ! Ce qu’il faudrait, c’est que la taxation soit exponentielle pour l’essence, l’eau ou l’électricité. Au début ça devrait être gratuit, et ensuite plus tu consommes, plus tu paies. »

Écologique, l’huile de friture?

L’huile de friture utilisée comme carburant, il en a découvert l’idée sur un site internet où l’on voit « des gars partis d’Ardèche qui ont roulé en autonomie jusqu’à Copenhague » pour assister, en 2009, au sommet sur le climat.

Écologique, vraiment, l’huile de friture comme carburant ? « Déjà, j’utilise un rebut de l’alimentation, qui est en soi une pollution. Et puis comme ça, j’évite de consommer ce qui vient de la pétrochimie. » Ce qui aura d’autant plus d’importance, selon lui, à l’avenir : « Si on est à court de pétrole un jour, une voiture qui permet de rouler à l’huile sera utile à bon nombre de gens ».

Antoine (*) se dit « survivologue », c’est-à-dire qu’il se situe « entre le survivaliste et le collapsologue ». Survivaliste puisqu’il cherche l’autosuffisance, mais en rejetant tout aspect violent lié à « une culture de la peur de l’autre », dont il craint le développement en ces temps de pandémie. Collapsologue surtout, au sens où il cultive des réseaux d’entraide et de partage pour tenter dès maintenant de changer les choses en attendant un « effondrement » qu’il pressent imminent.

Depuis dix ans, il a fait le choix, avec sa famille, de vivre selon ses convictions. Pas antisystème, plutôt hors d’un système auquel il a naguère participé et dont il s’est détaché doucement, dans « un cheminement » qui a conduit à « une rupture » par rapport au fait « d’en vouloir toujours plus ».

Empathie et partage

Tout ceci étant lié à « une réflexion que j’ai depuis longtemps sur l’impact de nos actions sur la planète ». Cette logique, également basée sur des valeurs d’« empathie » et de « partage des richesses », est vécue en famille et transmise à leur jeune fils. Sa compagne a d’ailleurs participé à la création d’une école alternative, où, par exemple, « on fonctionne en cercle sociocratique. Il n’y a pas de chef, toutes les décisions sont prises ensemble. »

Ils sont quelques-uns à s’être ainsi regroupés, à l’écart, pour anticiper le jour où les besoins de base en eau, en énergie, en alimentation ne seraient plus fournis par la société. « En l’espace de dix ans, on a fait des émules, des amis nous ont rejoints. » Et ils s’en sont faits de nouveaux sur place, qui, comme eux, cherchent le lait bio dans la ferme voisine et produisent leur alimentation, autant que possible, avec un objectif résumé par Antoine : favoriser « tout ce qui peut être fait à pied, à vélo ou à cheval en moins de deux heures autour d’ici ». Un genre de circuit très court.

Cultivant l’« humilité », Antoine refuse de « donner des leçons ». Pour lui, « ce mouvement, ça consiste juste à ne pas être dans le déni, à se retrousser les manches pour anticiper ce qu’on va se prendre dans la gueule ». Et quand ça arrivera, ce qu’il considère comme inéluctable, il sera prêt.

Emmanuel VIAU, Jean-Marc LOOS (04.05.2021)

(*) Le prénom a été modifié

[Vidéo] "Survivologue", il fait le plein de sa voiture avec de l’huile de friture

 

 

 

 

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Commenter cet article
C
Le prix de l'huile de friture risque de... flamber !<br /> Il nous reste les bicyclettes heureusement...
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Z
Va en falloir des frites quand on en sera tous là!!! Blague à part, Antoine a sans doute raison de privilégier le circuit ultra court.
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B
L'effondrement n'est sans doute pas loin...
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O
C'est bien, mais mettre des huiles essentielles de rose ou de lavande dans son moteur diesel c'est encore mieux. J'ai essayé dans mon 4X4 Hummer 300 ch., c'est impeccable. Un ravissement lorsqu'on traverse nos belles campagne au moment de l'épandage du lisier.
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O
Et d'où l'intérêt de ne plus consacrer l'utilisation des huiles de pétrole lourdes (qui se raréfient) qu'à des besoins essentiels, en l'occurrence la cuisson des frites.
O
IL faut savoir ce que l'on veut, la transition écologique a forcément un prix....
J
Ah ! Pierre : tu n'imagines pas combien je suis content de te lire... <br /> Ton idée concernant les huiles essentielles est excellente mais, encore une fois, ce n'est pas à la portée de tout un chacun : je voulais en constituer un stock suite à ta suggestion mais, en voyant le prix d'un de ces minuscules flacons dans ma boutique bio habituelle, j'ai vite déchanté...
J
C'est un commentaire qui met de bonne hummeur..........
F
C'est bien d'anticiper mais je n'en suis pas encore là...
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M
Au moins quelqu'un qui vit en accord avec ses convictions c'est rare ...
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J
Hé, hé... je me demande si les gaz d'échappement de la voiture d'Antoine sentent la frite ?
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