Journal du reconfinement/Acte 3 ‘’SOS : Faune sauvage en détresse’’

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Le bilan se révèle tristement éloquent. « Le nombre d'animaux sauvages en détresse augmente chaque année de 20 % alors que les moyens des centres de soins ne cessent de diminuer ». C'est Manon Tissidre, coordinatrice du « Réseau des centres de soins Faune Sauvage », qui fait cet amer constat, en considérant également qu'il n'est pas question de baisser les bras.

Hibou Moyen Duc avec une fracture à l’aile. Photo : Faune Alfort

La France compte 102 centres de soins, DOM-TOM inclus, aux profils bien différents. Certains se sont spécialisés dans le traitement des phoques, comme à Océanopolis Brest, d’autres s’attachent prioritairement aux hérissons, tel Le Sanctuaire des Hérissons, ou bien aux écureuils ou aux chauves-souris, tandis qu’une majorité accueille toute la faune en péril, qu’il s’agisse de mammifères, d’oiseaux, voire de reptiles ou d’amphibiens. Point commun à tous ces centres de soins : faire reculer la souffrance et la mort. Souvent animés par des bénévoles, encadrés par quelques salariés lorsque les finances le permettent, ces espaces thérapeutiques ont une double mission : soigner les animaux, bien sûr, mais aussi faire ce qu’il est convenu d’appeler « la médiation faune sauvage », en clair répondre à tous les appels venus des environs et portant sur la cohabitation avec la faune sauvage.

« On est ouvert 7 jours sur 7 et on reçoit entre 10 et 20 mails importants, chaque jour, auxquels il faut répondre, sans parler des coups de fil incessants surtout en période de nidification », résume Frédéric Burda, responsable du CSFL (Centre de Sauvegarde Faune Lorraine). Yves Vérilhac, directeur général de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) confirme : « Nous gérons 6 000 appels par mois ».

Le printemps qui s’installe rend la situation encore plus critique. Lorsque naissent les jeunes oiseaux, beaucoup d’entre eux, tombés au sol, sont apportés dans les centres alors qu’il aurait été plus judicieux de les remettre dans leur nid, les parents se chargeant de poursuivre l’élevage. Pierre Maigre, qui a créé le centre de Villeveyrac dans l’Hérault, appréhende le drame des martinets. « Ils nidifient dans des trous de murs, ou sous des tuiles, et sont victimes du réchauffement climatique. À peine nés, les poussins doivent pouvoir résister à des températures atteignant les 40°. Incapables de surmonter cette canicule, ils cherchent la fraicheur à l’entrée du nid… au risque de tomber au sol. Nous en recevons par dizaines et chacun doit être traité à part, à raison d’un minimum de 5 repas par jour ».

Le professeur Jean-François Courreau, créateur du centre d’accueil de la Faune Sauvage de Maisons-Alfort et président du Réseau, mesure l’incroyable investissement de solidarité. « Depuis 2016, nous avons pris en charge plus de 150 000 animaux, représentant 200 espèces différentes ». La coopération des vétérinaires (le Réseau est présent dans 3 écoles vétérinaires, à Maisons-Alfort, Nantes et Toulouse), l’investissement des quelques 2 000 bénévoles et la compétence reconnue des salariés ne suffisent pourtant pas à répondre à la demande. Les moyens financiers font sérieusement défaut. Durant ces 6 dernières années, le nombre d’animaux accueillis a augmenté de 118 % alors que le budget n’a progressé que de 36 %. « Au début, on avait de nombreux soutiens et, peu à peu, la région Pays de la Loire, le département, la ville de Nantes et même la représentation locale du ministère de l’Écologie se sont retirés à pas feutrés. Sur un budget de 165 000 euros pour assurer l’élémentaire, on a perdu 135 000 euros. Comment s’en sortir? » se désespère Olivier Lambert, directeur du centre de soins CVFSE-Oniris de Nantes.

Jeune chouette qui n’aurait pas dû être amenée au centre de soins et opération d’un héron cendré. Photos : CHUV FS.Jeune chouette qui n’aurait pas dû être amenée au centre de soins et opération d’un héron cendré. Photos : CHUV FS.

Jeune chouette qui n’aurait pas dû être amenée au centre de soins et opération d’un héron cendré. Photos : CHUV FS.

En principe, il faudrait 22 millions par an pour faire fonctionner les centres de soins. Pascal Tavernier se risque à une proposition : « En taxant 0,50 centimes d’euro par kilo de croquettes pour chat, on aurait déjà 14 millions dans les caisses des centres de soins de toute la France, chaque année. 20 centimes d’euro par habitant financeraient 50 % des dépenses annuelles! ». La prise en charge de la détresse de la faune sauvage n’est pourtant pas considérable au regard des autres traitements. Pour un animal sauvage, on investit actuellement 0,91 euro afin d’assurer chaque jour l’urgence, la médecine, la chirurgie et les soins intensifs. Il en faudrait 4 fois plus. En clinique vétérinaire (sans soins lourds), ce coût monte à 100 euros pour un animal domestique. Il est de 1 370 euros en médecine pour un humain et passe à 3 000 euros en soins intensifs.

91 centimes pour un animal sauvage, 3 000 euros pour un être humain

Sollicité au début du mandat de Nicolas Hulot, le ministère de la Transition Écologique a initié une enquête sans s’engager sur un financement pérenne. Comment font nos voisins européens? La Grande-Bretagne gère ses centres sous forme de trusts caritatifs. LEspagne sappuie sur les régions, mais cest la Bulgarie qui semble la mieux lotie avec des fonds régionaux, nationaux et internationaux. Quoi qu’il en soit, le Réseau Centre de Soins Faune Sauvage français continue d’assurer une tâche invraisemblable. Sur un an, chaque salarié doit gérer 81 000 journées d’hospitalisation d’animaux. Cela conduit à assumer 100 heures de travail par semaine en période estivale. Cet investissement conduit à des risques psycho-sociaux apparentés au « Syndrome d’usure compassionnelle », autrement dit à des formes de dépression dues au mal être de cohabiter avec la souffrance, à la culpabilité de ne pas sauver davantage d’animaux, au doute de compétence ou encore aux insultes qu’il faut parfois subir lorsque l’on ne peut pas récupérer un animal à 150 km! Lenquête réalisée dans le Réseau révèle que 95 % des salariés souffrent de cette situation. Le dernier colloque des centres de soins britanniques, British Wildlife Rehabilitation Council, portait sur ce thème tellement l’impact psychologique menace la capacité d’action.

Un jour poussant l’autre, la détermination des soignants reste forte, même devant le bilan évidemment insatisfaisant des animaux en soins. 45,5 % des animaux soignés (c’est à dire tous ceux qui ont survécu au-delà de 24h) sont relâchés, ce qui représente 13 272 animaux en 2020, avec en tête de liste, les hérissons et les martinets qui arrivent en plus grand nombre dans les centres du Réseau.

À l’hommage qu’il convient de rendre à tous ceux qui s’investissent pour que la faune sauvage connaisse une deuxième chance, il faut ajouter que leur action participe aussi au suivi sanitaire, à la protection des espèces menacées, à l’éducation à l’environnement et, plus simplement, à la compassion élémentaire que l’on doit à une faune en souffrance.

Allain Bougrain-Dubourg

Illustration : Juin

 

 

 

 

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Z
Quelle tristesse! Cela me déchire le coeur!
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B
Dramatique !!! Alarmant...<br /> Très très triste...
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D
Il est temps que les politiques s'inversent
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F
Et des bénévoles, il y en a de moins en moins...
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M
Comme toujours pour les choses importantes tout repose sur les bénévoles à qui on sert de beaux discours qui ne coutent rien à l'occasion, mais surtout pas de crédits pour fonctionner.Triste pays.
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J
Les crédits existent. Ils se perdent dans les méandres du fonctionnement de l'état, des régions, départements, communauté de communes et autres. Quantités de services existent avec des sigles incompréhensibles au commun des mortels. Il y de bonnes volontés mais aussi une terrible inertie.
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J
C'est drôle -enfin, façon de parler- comme dans notre pays on distribue des sommes folles pour des choses qui ne servent à rien et, en revanche, pour des causes qui en vaudrait vraiment la peine, il n'y a pas ou plus de crédits...
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