Journal du couvre-feu/J 95 ‘’Lâchez les cuisses des grenouilles’’

Publié le par Jean-Louis Schmitt

La consommation massive de grenouilles va, sans surprise, finir par faire disparaître l'espèce. Tour d'horizon du déclin des batraciens avec notre ami Allain Bougrain-Dubourg…

’’En certains territoires, on a enregistré des baisses de 24 % des populations, voire davantage…’’ Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

’’En certains territoires, on a enregistré des baisses de 24 % des populations, voire davantage…’’ Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

Quelques semaines avant son assassinat, Indira Gandhi m’avait confié qu’elle souhaitait mettre un terme à l’exportation massive de batraciens. Certes, son pays avait largement profité de cette manne, mais le commerce des cuisses de grenouilles avait généré un déficit beaucoup plus impactant : faute de grenouilles, les insectes ravageurs s’étaient développés en masse au point de mettre en difficulté les productions agricoles et la santé des citoyens. La première ministre indienne a tenu parole. L’hémorragie batracienne a cessé.

L’Indonésie n’a pas manqué de prendre le relais, devenant aujourd’hui l’un des plus gros exportateurs du monde avec quelques 5 000 tonnes par an, à destination principalement de la France et des États-Unis. Samuel Debrot, président de la Société Vaudoises de Protection des Animaux (S.V.A.P) rappelle que « chaque année, les Suisses avalent 120 tonnes de cuisses de grenouilles dont 90 % sont importées d’Indonésie », en ajoutant que « les experts estiment qu’un milliard de grenouilles sont prélevés annuellement dans leur milieu naturel pour finir dans nos assiettes ».

En 2015, l’Union Européenne a importé 4 234 tonnes de cuisses de grenouilles, ce qui équivaut de 100 à 200 millions de grenouilles. Ces captures ont déjà conduit à un déclin significatif des populations sauvages de certaines espèces, comme la grenouille ‘’limnonecte macrodon’’, dénonçait en 2017 un collectif associatif, demandant à l’ancien ministre de l’Écologie Nicolas Hulot d’en finir avec ce commerce meurtrier. Les revendications faisaient notamment référence à une communication de la Sorbonne et du Muséum National d’Histoire Naturelle portant sur la traçabilité du commerce en question. Le résultat est éloquent : dans 99 % des cas, le consommateur ne mange pas l’espèce qui est indiquée sur le paquet : « On assiste à des différences d’espèces aussi éloignées qu’une vache et un mouton » constatent les chercheurs. Michael Weith de l’Université de la Sarre regrette : « Actuellement, on ne sait rien de l’impact de la collecte massive de grenouilles sur les populations indonésiennes et sur les conséquences en agriculture ».

Certes, l’exploitation des grenouilles n’est pas la seule cause de leur disparition, mais elle ajoute au déclin. Les batraciens détiennent, en effet, le triste record d’être les vertébrés les plus menacés au monde. La moitié des espèces devraient avoir disparu d’ici 2050, prédisent les biologistes de l’UICN. Trop sensibles à la disparition des zones humides, à l’artificialisation, aux pollutions, aux maladies épidémiques ou encore au changement climatique, leurs jours sont comptés.

À ce déclin alarmant, il faut aussi prendre en compte la maltraitance dont sont victimes les batraciens commercialisés. Si quelques rares gestionnaires abrègent les souffrances en refroidissant les animaux au congélateur, le gros de l’exploitation passe par des méthodes plus radicales. Décapitées ou coupées en deux et dépecées vivantes, c’est une odieuse agonie qui s’impose. Un braconnier interpellé du côté de Baumont-en-Argonne (08) par les gardes de l’ex-ONCFS avait avoué que les 5 000 grenouilles qu’il détenait devaient finir par « la coupe au ciseau ».

Grégaires, les grenouilles se collent les unes aux autres et peuvent s’étouffer

En France, la consommation de grenouilles remonterait au XIIème siècle. Et si les « froggies » (mangeurs de grenouilles) ainsi qualifiés par les Britanniques ont connu des périodes de disette, la demande a clairement augmenté au lendemain de la dernière guerre. Outre les importations, des élevages de souches « domestiques », initiées par l’INRA en 1992, ont peu à peu été développés dans la Drôme, en Normandie, dans le Puy-de-Dôme ou encore dans l’Ain. La « raniculture » espère ainsi compenser l’interdiction (en 2007) des prélèvements commerciaux dans la nature. L’affaire n’est pas simple car, en captivité, les batraciens stressent facilement. Grégaires, les grenouilles se collent les unes aux autres et peuvent s’étouffer. Il faut également éviter le cannibalisme, ou bien qu’elles subissent les conséquences de la lune et de la météo.

Reste que les prélèvements dans la nature pour la consommation « familiale », légalement autorisés, ne manquent pas d’inquiéter les associations de protection de la nature qui demandent l’interdiction pure et simple des captures. Les grenouilles vertes et rousses sont particulièrement pointées. « En certains territoires, on a enregistré des baisses de 24 % des populations, voire davantage » précisent les biologistes. Une étude réalisée dans l’est de la France révèle d’autres raisons de s’inquiéter. Les populations de grenouilles subissant la « pêche » ne vivent guère plus de trois ans, alors qu’un âge de cinq ans est facilement observé dans des zones non exploitées. Le devoir de précaution s’impose d’autant plus qu’à ce jour, aucune étude scientifique n’a été conduite pour évaluer les conséquences de l’exploitation des batraciens sur leur survie.

Après avoir alerté les pouvoirs publics durant 14 ans, la Société Herpétologique de France attend avec impatience l’arrêté qui devrait être pris dans les jours à venir, mais elle craint que les plaisirs du ventre l’emportent sur la nécessaire préservation des batraciens. Si le texte maintenait ces autorisations de prélèvements, les ONG repartiront au combat avec une constante détermination. Elles ont, du reste, déjà engagé les opérations de sauvetage des batraciens sur les routes, comme chaque année à la même époque.

En février et mars, crapauds, grenouilles, tritons et autres salamandres quittent les forêts où ils ont passé l’hiver à l’abri pour rejoindre les sites de reproduction. Quelques millions d’amphibiens rejoignent ainsi les zones humides qui les ont vus naitre afin de donner à leur tour, la vie. Mais cette étonnante migration, souvent nocturne, les fait franchir des routes fréquentées par les voitures. Une bouillie de cadavres collée à l’asphalte montre, chaque matin, l’effroyable mortalité.

Dès 2012, la LPO Haute Savoie, et bien d’autres associations, intervenaient sur cinq « sites d’écrasement » du département. Des filets installés le long de la route empêchaient les grenouilles de traverser tandis que des seaux, placés tous les 12 mètres, permettaient de les recueillir. Chaque matin, des bénévoles récupéraient les batraciens pour les relâcher de l’autre côté de la route. « Depuis 2013, presque 6 000 batraciens ont ainsi pu être sauvés », se réjouit la communauté d’agglomération du pays de Gex dans l’Ain qui renouvelle fidèlement l’opération avec ses bénévoles. Ailleurs, ce sont des crapauducs souterrains qui ont été aménagés pour éviter les hécatombes lors des migrations. Véritable corridors biologiques, ils s’imposent désormais lors de constructions ou de réaménagements d’autoroutes, de voies ferrées ou de routes.

Le département de Seine-et-Marne se flatte d’en finir avec ses dispositifs temporaires pour engager le durable. En automne dernier, 300 bénévoles se sont investis dans un chantier participatif pour poser quelques 900 mètres de palissades soutenues par 450 poteaux entre la forêt domaniale de Fontainebleau et les zones humides de la plaine de Sarques. Les bonnes volontés ne manquent pas pour donner une ultime chance de survie aux batraciens. Est-il, dans ces conditions, raisonnable de continuer à les manger? Lauteur de cet article ne peut s’empêcher de rayer « cuisses de grenouilles » d’un coup de feutre vengeur sur les menus qui lui passent entre les mains…

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

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Z
Que ces pratiques perdurent à notre époque m'horrifient ! <br /> Je partage aussi cette lettre!
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S
cc Jean Louis.. C'est drôle que tu passes cet article, j'ai eu le malheur de commenter un post, cette semaine, qui vantait une recette de " cuisses de grenouilles" sur FB, en expliquant la cruauté dont elles étaient victimes.. Aïe qu'est ce que j'ai pris comme réponses, les unes plus grossières et vulgaires que les autres ! ça fait un peu mal, mais bon, venant de gens sans la moindre compassion ...Je mange encore un peu de viande mais d'éleveurs régionaux (mais de moins en moins et j'en suis fière) mais plus jamais de bébés (agneaux, veaux, poussins..etc) J'ai même découvert récemment que l'on trouvait des chevreaux sur les étals !! Et que dire des animaux " exotiques " comme si nous avions encore besoin de massacrer bisons, autruches et autres sauvages ! Mais il est si difficile de convaincre autour de soi, même chez les proches ! Bon week end et j'espère que tu vas mieux..Bises
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J
Merci Simone,<br /> Il en est ainsi de certains sujets qu’il ne fait effectivement pas bon aborder avec certaines personnes ; ce n’est pas une découverte mais un triste constat ! Les réseaux sociaux, je t’avoue que je les évite car, mis à part, quelques insultes, il n’y a pas grand-chose à en attendre ! Je conseille donc d’en faire de même ! Si tu tiens absolument à laisser un commentaire, mes pages te sont grandes ouvertes et, ici au moins, point d’insultes : je les vire si nécessaire !<br /> Nous venons d’avoir un grand débat avec la compagne de mon défunt beau-père qui, à 85 ans, a spontanément adopté notre régime végétarien ! Son médecin la trouvant ‘’rajeunie et très en forme’’ l’a évidemment interrogé sur ce changement ! Lorsqu’il a appris qu’elle ne consommait plus ‘’d’animaux’’ depuis plusieurs mois, il lui a recommandé ‘’de manger de la viande et du poisson au moins une ou deux fois par semaine’’ ! Avec de telles mentalités, comment s’étonner que les choses n’avancent pas ? Pour éviter les carences, il faut manger équilibré : les consommateurs de produits carnés peuvent très bien être carencés car ne consommant quasiment jamais de crudités et trop peu de légumes ou de céréales… Ne pas consommer de viande ni de poisson, ne signifie pas se contenter de quelques légumes : il faut que les repas soient réfléchis et, ça, rares sont les personnes qui s’en prennent le temps !<br /> Pour répondre à ta dernière question : je vais beaucoup mieux et je te sais gré de t’en soucier ! J’espère que, de ton côté, ça ne va pas trop mal !
M
Moi, je mange des grenouilles. Oui, un met vraiment raffiné et délectable qui peut, à juste titre, revendiquer, au plan du goût en tout cas, sa place au Panthéon de la gastronomie française. Et je les ai mangées avec les doit, comme il se doigts ( heu, non, l'inverse ! ). Mais si j'écris cela au passé, c'est que, dans ma logique "flexitarienne" comme se nomment maintenant les gens qui ne sont pas végétarien (l'êtes-vous obligatoirement tous ici ?) et tentent, comme moi, je l'avoue, de se donner bonne conscience, je crois bien qu'à la lecture de cet article, je vais arrêter d'en manger L'information ne tue pas que les stéréotypes, elle impulse aussi des changements de comportement. Merci aussi pour cela Jean-Louis. Merci aussi d'accueillir des opinions qui ne font pas chorus...
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J
Merci Martine, <br /> Si un seul changement de comportement s'opère suite à la lecture d'une de mes publications, alors je n'aurais pas perdu mon temps que, moi aussi, je préférerai passer dehors, à courir la campagne... Mais, courir je ne le peux plus guère : je me contente donc de marcher, trop heureux chaque matin, de le pouvoir encore ! Et puis, soyons honnête : le combat qui est le mien depuis... depuis, oh là, plus de 40 ans, le combat pour la Nature et les animaux, tous les animaux, le Vivant en somme, ce combat est forcément semé d’embûches ! Alors, oui, les petits changements de comportement sont devenus, à force, de grandes et importantes victoires ! Mon existence et mes engagement n’auront pas été vains… Merci encore à toi d’avoir posté ce commentaire un tantinet provocateur mais d’une honnêteté dont je te sais gré !
B
Je partage !!
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J
C'est sympa Béa et je t'en remercie !
D
Depuis que je connais la cruauté faite à ces batraciens, je ne mange plus de cuisses de grenouilles ! <br /> Cela remonte dans les années ... 1980 (ma mère vivait encore) et c'est par l'émission ou, le journal de 30 MILLIONS D'AMIS que l'alerte avait été donnée. Comme quoi on est ignorant, mais quand on sait on choisit selon la conscience qui est la notre.
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J
Bien sûr Danièle : savoir est primordial ! Encore faut-il vouloir entendre et ça, c’est une autre histoire ! Mais, vous le savez aussi bien que moi…<br /> A bientôt, ici ou ailleurs !
G
Quoi de plus répugnant que de voir son voisin de restaurant se délecter de ce soit disant succulant plat composé de petits os et très peu de chair. Ils dégustent avec les doigts ces cuisses pour en ressortir un à un chaque os. Est ce cela la gastronomie française ?
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J
Cher Gérard<br /> Les amateurs de ce genre de mets, ne se posent certainement pas de question existentielle sur le bien-fondé de leur attirance pour ces plats : ils se régalent, un point c’est tout ! Lorsqu’on n’y prend aucun plaisir, il est évident qu’il est plus facile de s’en détourner… Cela dit, il faut inlassablement répéter encore et encore de quelle manière sont attrapés et occis les malheureux batraciens : il n’y a qu’ainsi qu’on arrivera à changer certaines mentalités… mais, certaines seulement ! Les autres continueront, quoiqu’il advienne, leur stupides ripailles et, même, par pure provocation, ils revendiqueront leur ‘’liberté’’ de s’alimenter comme ils le souhaitent ! Certes oui… mais le prix payé par les milliards de victimes de toutes ces agapes, n’est-il pas excessif ? Libre à chacun d’y apporter sa propre réponse… en son âme et conscience !
J
Cet article, bien utile, nous interpelle sur nos fonctionnements, notre consommation, notre sensibilité.
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J
Espérons que cela ne se limite pas à une simple ''interpellation'' mais, qu'il y ait un réel questionnement ensuite !
J
Je peux me vanter de n’avoir aucune grenouille sur la conscience et donc de ne pas figurer au nombre de ces ‘’maudits mangeurs de grenouilles’’ dont nous qualifient les canadiens ou de ‘’froggies’’, qualificatif peu aimable à notre encontre de nos voisins d’Outre-Manche… En revanche, j’ai vu un jour, près d’un lac des Alpes, des individus couper en deux les grenouilles vivantes qu’ils avaient capturées : ce spectacle d’une rare violence m’a horrifié et marqué à jamais ! Quel mépris de l’animal… Tant de cruauté pour, -soi-disant- un ‘’met raffiné’’… Les consommateurs ne se posent-ils aucune question sur ce qu’ils ingurgitent ? Sans doute car, si c’était le cas, il leur serait peut-être plus difficile d’avaler ces condensés de sauvageries… Actuellement, la plupart de ces ‘’fameuses’’ cuisses de grenouilles que l’on trouve sur le marché, proviennent d’Asie : ne rêvons pas, tant que le ‘’filon’’ sera lucratif, il sera évidemment exploité et c’est bien là le drame car les ‘’maudits français mangeurs de grenouilles’’ ont un appétit féroce…
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D
En effet, des espèces à sauvegarder en freinant l'hécatombe !
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J
C'est évident mais, dans le cas présent, cela sous-entend que les consommateurs s'interrogent sur la qualité et provenance de ce qu'ils mangent, mais, ça...