Journal du couvre-feu/J 88 ‘’La nuit de la chouette’’
C'est une histoire qui commence mal mais qui pourrait finir bien avec de la volonté : la chouette, malmenée dès le départ dans la Bible, essaye de réhabiliter son image grâce à la Ligue de protection des oiseaux et des ornithologues. La Nuit de la chouette, qui commence le 6 mars et dure un mois, va vous faire aimer cet animal nocturne…
La Chouette hulotte (Strix aluco) ou Chat-huant, plutôt forestière, est cavernicole mais elle n’hésite pas à utiliser également des ruines de bâtiments, à l’occasion, comme c’est le cas ici… Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)
À l’évidence, peu d’animaux ont été aussi clivants que la chouette. L’amour ou la haine, pas de juste milieu avec cette reine des ténèbres. L’ornithologue Guilhem Lesaffre en témoigne dans son Anthologie des chouettes et des hiboux (éditions Delachaux et Niestlé) en passant en revue les bonnes et mauvaises fortunes du rapace selon les époques et les lieux.
« Cela commence mal » regrette-il en rappelant que les textes bibliques classent les animaux en « purs ou impurs ». L’orfraie (comprendre chouette effraie), le hibou, la chouette, le chat-huant (chouette hulotte) sont jugés impurs et sont sur la liste des infréquentables. Par bonheur, les choses s’arrangent en Grèce avec Athéna, la fille de Zeus. Flanquée d’une chouette, elle incarne la sagesse, la raison et la connaissance. Mais l’hommage à l’oiseau au bec crochu ne passera pas la frontière. En France, on l’associe à la sorcellerie et pour conjurer le sort, on clouait des cadavres de chouettes sur les portes des granges, il n’y a encore pas si longtemps. « Nous n’avons pas le monopole de la médisance » précise Guilhem Lesaffre qui peut égrener une multitude de pays haineux. « En Écosse, la rencontre avec une chouette en plein jour est un mauvais présage. En Pologne, elle incarne la mort et le mauvais sort. Au Maroc, le hululement de la chouette pourrait tuer des enfants ». Certains pays lui rendent pourtant grâce. En Louisiane, par exemple, les chouettes méritent le respect car ce sont des réincarnations de vieilles personnes tandis qu’au Pérou, les Mayas vénéraient l’oiseau en raison de la beauté de ses yeux. Pour les aborigènes australiens, il n’est pas question de s’en prendre à la chouette, elle représente l’âme des femmes (celle des hommes étant la chauve-souris).
Revenant sur l’historique, Michel Terrasse qui, avec son frère Jean-François, a créé le Fonds d’Intervention pour les Rapaces, rappelle qu’il a fallu du temps avant d’effacer les mauvaises habitudes. Feuilletant ses archives dans sa maison de la Garenne-Colombes, il conserve des coupures de presse jaunies mais éloquentes. Ici un cadavre d’un grand-duc exhibé avec fierté, là des chouettes empaillées. Sale temps pour les nocturnes.
« En France, c’est seulement en 1972 qu’un arrêté protège enfin les rapaces, qu’ils soient diurnes ou nocturnes. Mais quelques décennies seront nécessaires avant que les redoutables pièges à mâchoires leur coupant les pattes soient enfin relégués » se rappelle-t-il.
Par bonheur, la tolérance a gagné du terrain, mieux, elle a aiguisé la curiosité des plus jeunes. Non loin de Bordeaux, Olivier Le Gall, ancien patron scientifique de l’INRA, s’épanouit désormais pleinement dans la protection des oiseaux. Au-delà des espèces à protéger, c’est peut-être le flambeau à passer qui l’obsède. L’éducation à l’environnement et au développement durable s’inscrit comme une priorité : « si nous ne passons pas le relais aux futures générations pour préserver la biodiversité, nous allons dans le mur » résume ce scientifique qui considère la chouette comme une excellente ambassadrice. « Il faut savoir que les rapaces nocturnes avalent tout, parfois d’un seul coup. La chair, partie molle des proies, est absorbée puis évacuée par les fientes. Restent la peau, les poils, les plumes ou les os. Faute de pouvoir les digérer, ils sont évacués par le bec sous forme de pelotes de réjection ». La chasse aux pelotes est ouverte pour tous les jeunes curieux de nature. En récoltant les petits amas ne dépassant pas les 30 à 80 mm pour une chouette effraie, ils disposent des éléments de l’enquête. Reste à disséquer ces témoignages alimentaires. Il est alors possible d’identifier le crâne d’un rongeur, l’élytre d’un coléoptère ou le mollet d’une grenouille et de reconstituer le quotidien du rapace.
Lors des animations organisées par la Ligue de protections des oiseaux (LPO) pour sensibiliser les plus jeunes, la dissection des pelotes de réjection fait partie des passages obligatoires. « Celui qui mène l’enquête a toutes les chances de devenir un véritable ornithologue » sourit Olivier Le Gall. Viendra ensuite les observations de terrain, puis le baguage des oiseaux, dernière étape avant de pouvoir prétendre à la compétence ornithologique. Mais plus que des « rapaçologues » chevronnés, la LPO souhaite toucher le plus grand nombre.
C’est ainsi que naissait, il y a 26 ans, la première Nuit de la chouette qui se déroule tous les deux ans. Objectif : inviter les familles à abandonner leur téléviseur pour partir à la rencontre du peuple de la nuit. Vanessa Lorioux en charge du pôle « mobilisation citoyenne » à la LPO, se souvient : « Au début, ce n’était pas évident. « Sacrée soirée » devant le petit écran semblait plus séduisant qu’une sortie en forêt… Et contre toute attente, nos rendez-vous improbables ont finalement attiré une multitude de spectateurs ». Aujourd’hui, toutes les animations gratuites proposées, avec le concours de l’Office Français de la Biodiversité, réunissent plusieurs dizaines de milliers de personnes dans quelques 500 sites. Au programme : des conférences, des jeux, des dissections de pelotes de réjection, des écoutes de chants et bien d’autres initiatives à retrouver sur le site de la LPO. Cela dit, le couvre-feu imposant de rentrer à la maison lorsque les chouettes sortent de chez elles, le chassé-croisé ne facilite pas l’observation. C’est donc essentiellement en virtuel qu’il sera possible de s’investir dans « La Nuit de la chouette » cette année, même si chacun pourra sortir dans son jardin, sur son balcon ou simplement à sa fenêtre pour écouter des sons de la nuit…
Une chouette pourrait entendre le bruit d’un stylo sur un papier à plus de 25 mètres de distance
Du côté de l’Alsace, Yves Muller, ornithologue émérite, sera au rendez-vous. Il a bien souvent accompagné les sorties nocturnes pour identifier les oiseaux. « On reconnaît facilement la chouette effraie à ses « ronflements ». Il suffit de s’attarder près d’un clocher pour espérer les entendre. Elle émet également de longs cris aigus rappelant le chuintement d’une locomotive qui, tout en démarrant, lâche sa vapeur » s’amuse le biologiste. Difficile de l’arrêter lorsqu’il s’enthousiasme. « Chez les mammifères, c’est l’odorat qui domine, chez les oiseaux c’est plutôt la vue mais chez les rapaces nocturnes, c’est l’ouïe qui reste la plus performante ». La revue Science confirme. Des études conduites par le California Institute of Technology ont montré qu’une chouette effraie pouvait localiser le petit cri d’un campagnol grâce à une sorte de « carte auditive » située dans le cerveau. Ainsi la chouette en question pourrait entendre le bruit d’un stylo à bille sur un papier à plus de 25 mètres de distance !
Les performances du peuple emplumé de la nuit ne peuvent pour autant effacer les dangers qui les menacent. La Nuit de la chouette a aussi pour vocation leur protection. Au registre des menaces, il est rappelé les dangers potentiels. Abattage des arbres creux, aménagements des combles, transformations des prairies en cultures, suppression des haies, assèchement des marais sont autant d’insécurité pour les rapaces nocturnes. Des solutions existent, elles seront évidemment proposées lors de la 14è édition de la Nuit de la chouette, pendant un mois, à partir du 6 mars.
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Illustration : Coco (Charlie Hebdo)
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