Journal du couvre-feu/J 87 ‘’Une lanceuse d’alerte condamnée à 125 000€ d’amende pour avoir révélé des pesticides dans des vins certifiés HVE’’
Jeudi 25 février, le tribunal de Libourne (Gironde) a condamné Valérie Murat, porte-parole de l’association « Alerte aux toxiques », à verser 125 000 euros de dommages et intérêts au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux ainsi qu’à d’autres plaignants, pour « dénigrement collectif à l’égard de la filière ». L’avocat de la lanceuse d’alertes dénonce une « procédure-bâillon » et compte faire appel…
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Valérie Murat, porte-parole de l’association girondine ‘’Alerte aux toxiques’’. Crédit photo : Thibaud Moritz/AFP
Un label qui n’a d’écolo que le nom
Porte-parole de l’association girondine ‘’Alerte aux toxiques’’, fondée en 2016 pour « lever le secret » sur les « produits chimiques de synthèse et les risques » qu’ils font encourir, Valérie Murat vient de subir, jeudi 25 février, un premier revers judiciaire qui n’est pas sans rappeler le traitement que notre justice réserve aux lanceurs d’alertes.
Tout remonte à septembre dernier. Au beau milieu de la période des vendanges, Alerte aux toxiques publie sur son site internet les résultats d’analyses chimiques de 22 bouteilles de vins certifiés Haute valeur environnementale (HVE). Créé en 2012, ce label dont bénéficient plus de 8 200 exploitations (parmi lesquelles 82 % de vignerons) garantit au consommateur que les produits sont issus d’exploitations qui « respectent l’écosystème naturel et réduisent au minimum la pression sur l’environnement », indique le ministère de l’Agriculture.
En théorie, les producteurs doivent obtenir un certain nombre de points sur quatre grandes thématiques (biodiversité, stratégie phytosanitaire, fertilisation, gestion de l’eau) pour décrocher la certification. Mais en pratique, celle-ci n’interdit pas l’usage de produits chimiques ni l’élevage industriel, loin de là. Très facile à décrocher, elle constitue « un écran de fumée », comme l’explique une enquête du magazine Basta ! (décembre 2020).
Millésimées de 2015 à 2019 et provenant en majorité de domaines bordelais, les 22 cuvées passées au crible par Alerte aux toxiques contenaient toutes entre 4 et 15 résidus de pesticides de synthèse, ainsi qu’un cocktail de perturbateurs endocriniens. Onze d’entre elles renfermaient au moins une molécule CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) et neuf des traces de folpel, un fongicide couramment employé sur les vignes malgré sa nocivité. Les laboratoires Dubernet, à l’origine des analyses, notaient toutefois que les concentrations étaient « très largement inférieures » aux limites maximales de résidus autorisés par la loi.
Source : Ministère de l’Agriculture
Une procédure bâillon
Touchés au vif par l’ampleur médiatique de ces révélations, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et 25 autres plaignants s’étant liés à la cause (syndicats, fédérations ou particuliers) ont immédiatement assigné Valérie Murat devant le tribunal de Libourne pour « dénigrement collectif à l’égard de la filière des vins de Bordeaux ». Ils exigeaient le retrait du communiqué d’Alerte aux toxiques et plus de 150 000 euros de dommages et intérêts, en compensation des sommes investies dans la publicité afin de contrer ledit dénigrement.
Pour le procès, dont l’audience s’est tenue le 17 décembre, les 26 plaignants se sont offert les services de douze avocats, qui n’ont cessé de souligner le tort infligé aux producteurs des cuvées analysées et dénoncé des résultats selon eux trompeurs. De son côté, maître Éric Morain, avocat de la défense, a tenté d’infléchir la procédure en faisant passer le préjudice du dénigrement à la diffamation. Encadrée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, la catégorie de diffamation aurait permis d’évoquer lors de l’audience la pertinence des analyses et de débattre du sujet. En vain. Le tribunal n’a pas retenu cet argument et le 25 février, la sentence est tombée : l’association Alerte aux toxiques et sa porte-parole Valérie Murat sont condamnées à verser 100 000 euros de dommages et intérêts au CIVB et 25 000 euros aux autres plaignants, qui se sont réjouis de cette décision. Les résultats des analyses ont dû aussi être retirés de toutes les plates-formes numériques et le jugement publié sur le site internet de l’association.
« Le tribunal a ordonné l’exécution sociale de Valérie Murat dans une décision éminemment contestable et orientée. Le seul droit dont on n’a pas encore privé la cliente est celui de faire appel. Elle le fera sans délai et ira jusqu’au bout. Jamais une procédure bâillon n’aura si bien porté son nom. » Maître Éric Morain, avocat de la défense.
En France, la viticulture représente environ 3,7 % des surfaces agricoles (800 000 hectares), mais consomme à elle seule 20 % des pesticides. Selon le Commissariat général au développement durable, en 2018, le département de la Gironde a « totalis[é] la plus grande quantité de produits phytopharmaceutiques achetés », en augmentation de 9 % par rapport à 2015-2017.
S’ils assurent une bonne récolte malgré les intempéries et les diverses maladies qui touchent la vigne, les produits de synthèse n’en constituent pas moins un enjeu majeur dans ce secteur où l’omerta règne sur le sujet, notamment quand il s’agit des maladies liées à l’épandage près des habitations et des écoles.
Augustin Langlade/La relève et la Peste (02.03.2021)
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