Quand les chasseurs manifestent pour ne plus chasser daims et cervidés
Quelque 80 chasseurs ont manifesté, ce vendredi, devant la préfecture du Haut-Rhin à Colmar afin de dénoncer l’arrêt préfectoral prolongeant la chasse des daims et cervidés jusqu’au 28 février.
Soutenus par une dizaine d’élus, près de 80 chasseurs ont symboliquement manifesté devant la préfecture de Colmar ce vendredi. Une délégation a ensuite été reçue par le préfet Louis Laugier. Photos : Vanessa Meyer/L’Alsace
Un rassemblement symbolique, volontairement limité à une ou deux personnes par groupement d’intérêt cynégétique, étoffé par la présence de représentants des fédérations des départements limitrophes avant une audience en préfecture… Les chasseurs du Haut-Rhin ont manifesté dans le calme et le froid, ce vendredi matin, devant la préfecture à Colmar. Le président de la fédération, Gilles Kaszuk, et ses troupes ont voulu montrer leur opposition à la prolongation, décidée par le préfet « sans aucune concertation », de la chasse aux daims et cervidés.
97 % de l’objectif daims atteint, 82 % pour les cerfs
Évoquant « le piétinement complet des chasseurs », « bafoués face au lobby des forestiers », Gilles Kaszuk a dénoncé « un arrêté absurde et illégal ». « Il ne s’agit pas d’une simple prolongation de l’ouverture de la chasse, mais d’un arrêté de destruction du cerf et du daim étendu à tout le territoire, mené par les louvetiers, bras armé du préfet, sans discernement aucun des lots posant problème. Le cerf et le daim sont donc maintenant considérés par l’administration comme des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, comme des nuisibles », estime Gilles Kaszuk.
Selon le président des chasseurs, 97 % de l’objectif de prélèvement de l’espèce daim défini dans le schéma départemental de gestion cynégétique et plus de 82 % des cerfs ont été atteints. « Alors que l’on nous rabâche à longueur d’année le sacro-saint équilibre agro-sylvo-cynégétique, l’on éradique le daim. Je rappelle qu’il y a trois ans, nous alertions déjà la presse et le politique, sur la mise en danger de la seule population naturelle de daims d’Europe. Le patrimoine faunistique n’a-t-il plus de valeur ? », interroge Gilles Kaszuk selon qui « la forêt se meurt effectivement », tant de « ses plantations inadaptées et de la logique productiviste et économique de l’industrie sylvicole » que « du parasitisme, de la sécheresse, des maladies… »
« La prochaine espèce en voie de disparition ne sera-t-elle pas les chasseurs ? »
Évoquant « un grand mensonge, à savoir que le dépérissement serait également dû au gibier », le président de la Fédération des chasseurs n’a pas épargné l’ONF : « Nous subissons les erreurs commises depuis des dizaines d’années par un organisme déficitaire, qui coûte cher au contribuable ». « Boucs émissaires permanents, tiraillés entre des “animalistes” violents qui demandent toujours moins de chasse et une administration qui en demande toujours plus, la prochaine espèce en voie de disparition ne sera-t-elle pas le chasseur ? », s’interroge Gilles Kaszuk, rappelant le coût payé par des chasseurs qui refusent d’employer les « méthodes de braconnier » autorisées dans l’arrêté préfectoral contesté.
Tir depuis un engin motorisé, de nuit avec des lunettes à visée nocturne, en poussée comme à l’affût sont « prohibés par le code de l’environnement » a encore souligné Gilles Kaszuk, invitant les chasseurs à continuer à tirer le sanglier, espèce véritablement nuisible. « La crise actuelle a, à mes yeux, un seul effet positif : le monde des non-chasseurs découvre enfin que nous sommes d’ardents défenseurs de la nature », a conclu Gilles Kaszuk, surpris par « le soutien inédit et inouï de la population, ainsi que de multiples associations de protection de l’environnement ».
Dans l’assistance, étaient notamment présents le président de la Fédération du Bas-Rhin, Gérard Lang, venu exprimer sa solidarité, mais aussi une dizaine d’élus, dont le sénateur Christian Klinger ou le conseiller départemental Michel Habig. Non-chasseur mais venu exprimer le soutien du monde rural, Joël Meyer, adjoint au maire de Geiswasser, commune de 300 habitants du canton d’Ensisheim, souhaitait exprimer sa solidarité. « Les chasseurs sont ciblés de tous les côtés. Ils sont pourtant indispensables à la régulation de la faune. Pour notre part, nous gagnons plus d’argent avec la chasse que par la vente des lots de bois », glisse Joël Meyer.
Laurent Bodin/L’Alsace (12.02.2021)
L’ONF se défend de tout productivisme
Accusé de vouloir éradiquer les populations de daims et cervidés pour des raisons économiques, l’Office national des forêts met en avant la nécessaire régénération de la forêt.
« La forêt souffre d’une surpopulation d’animaux qu’il nous faut réguler par la chasse pour assurer son renouvellement », répond, en écho aux critiques émises par les chasseurs et plusieurs associations de défense de l’environnement, l’adjoint au directeur territorial Grand Est de l’ONF, Rodolphe Pierrat. Lequel estime qu’un mauvais procès est intenté à l’ONF. « La biodiversité est une notion essentielle dans notre action. La gestion forestière est bien différente de ce qu’elle était il y a quarante ans », souligne Rodolphe Pierrat.
Selon l’adjoint au directeur territorial Grand Est de l’ONF, les accusations de productivisme sont infondées. « On ne rase pas des forêts et la part des Douglas que l’on plante est extrêmement faible par rapport aux sapins, alors que le Douglas pousse deux à trois fois plus vite. Notre gestion consiste à privilégier les mélanges et la récolte de bois est inférieure à la production », assure Rodolphe Pierrat qui rappelle aussi que les hommes ont besoin de bois. « L’ONF gère la forêt pour subvenir aux besoins mais nous le faisons dans une logique de développement durable, sachant que la forêt souffre aussi beaucoup du réchauffement climatique. » Et l’adjoint au directeur territorial Grand Est de l’ONF de se dire « convaincu que nous pouvons à la fois produire du bois, respecter la biodiversité et accueillir les gens en forêt ».
« Deux tiers des forêts en déficit de jeunes pousses »
« Ce qui nous intéresse, c’est de limiter les dégâts et de retrouver l’harmonie de la forêt en assurant sa régénération. Or, deux tiers des forêts ont un déficit chronique de semis du fait des animaux qui mangent les jeunes pousses », assure Pascal Meric, Directeur de l’agence territoriale de l’ONF à Colmar. « Une forêt qui ne se régénère pas ressemble à une ville n’ayant plus d’enfants, de crèches ou d’écoles. Notre gestion est très raisonnée », insiste Pascal Meric pour qui « le bois est très intéressant en termes de bilan carbone ». « La forêt séquestre le carbone, mais c’est aussi le cas des constructions en bois. Nous travaillons avec le Parc naturel régional des Ballons des Vosges et Fibois, la filière forêt-bois du Grand Est, pour pouvoir utiliser du bois local, particulièrement le sapin. Produire du bois est très écologique », souligne Pascal Meric, lequel assure ne pas connaître combien de cerfs et daims ont été chassés dans le Haut-Rhin. « Les chiffres sont du ressort de la Direction départementale des territoires à la préfecture, pas de l’ONF », souligne le directeur de l’agence territoriale de l’ONF à Colmar.
Les associations de défense de l’environnement divisées
Entre soutiens et condamnations des associations environnementales, les chasseurs sont pris entre deux feux.
La prolongation de la chasse du cerf élaphe (ci-dessus) et du daim divise aussi les associations environnementales. Photo : Marc Wilb/L’Alsace
Les décisions des préfets du Haut-Rhin et du Bas-Rhin divisent jusqu’au sein des associations de protection de l’environnement. « Choqués », Hubert Ott et Jean-Paul Burget, présidents de Rouffach Incitation Nature et Sauvegarde Faune Sauvage, deux des principales associations du Haut-Rhin, apportent leur soutien aux chasseurs. « La chasse est une activité extrêmement réglementée et limitée dans le temps, afin de prendre en compte de façon respectueuse tout autant les rythmes biologiques et saisonniers que les cycles de reproduction des espèces animales concernées », écrivent les responsables des deux associations. Selon eux, l’Alsace est « indiscutablement une des régions de France où l’attitude du monde de la chasse face aux grands enjeux écologiques peut être considérée comme exemplaire ». « Le daim est une originalité alsacienne car ce cervidé a été introduit depuis plusieurs décennies dans nos forêts de plaine, notamment l’Illwald, où elle représente aujourd’hui l’indispensable pacte renoué avec la nature. Il est moralement inconcevable d’infliger au daim des agressions mortelles que même les chasseurs ne conçoivent pas. Quant au cerf élaphe, présent dans nos forêts d’altitude, il est en quelque sorte le roi de la montagne vosgienne de par son statut de plus grand mammifère herbivore de la région. Laissons aux chasseurs le soin de réguler sa population », écrivent Hubert Ott et Jean-Paul Burget.
La LPO n’est pas satisfaite
Christian Braun, le directeur de la Ligue de protection des oiseaux d’Alsace, ne comprend pas plus cet arrêté préfectoral qui « utilise des moyens disproportionnés ». « Le Comité départemental de la chasse et de la faune sauvage n’a pas été réuni et ses membres, dont la LPO, n’ont pas été informés de la décision du préfet », regrette Christian Braun. « Sur le fond, l’enjeu est l’équilibre sylvo-cynégétique. Se pose cependant la question éthique s’agissant de la manière de réduire la population de daims et cerfs. Cet arrêté est un aveu d’échec. Il ne nous satisfait pas », conclut le directeur de la LPO.
« Cerfs et daims, par leur trop grand nombre, sont devenus nuisibles », estiment, à l’inverse, Guy-Loup Botter et Frédérique Giovanni au nom de la Confédération paysanne d’Alsace. Laquelle « exprime son total soutien à cette disposition exceptionnelle » du préfet. « Les paysans de la Confédération paysanne ne sont pas les ennemis de la faune sauvage […] mais nous voulons redonner à cette faune sa nature sauvage. Aujourd’hui, ces grands gibiers sont devenus des animaux d’élevage, élevés à notre insu sur nos prairies et nos forêts par certains chasseurs », dénonce la Confédération paysanne d’Alsace selon qui la Fédération des chasseurs du Haut-Rhin « se présente comme la protectrice de Bambi pour s’arroger la sympathie du grand public ». « Son but est de préserver les grands troupeaux de cerfs qui font le prestige des chasses alsaciennes », assure la Confédération paysanne.
Alsace Nature dénonce « une grande hypocrisie »
« Il y a une grande hypocrisie », dénonce le vice-président d’Alsace Nature, Francis Dopff. « C’est une décision qui passe bien dans l’opinion publique et permet d’évacuer le problème de fond de la difficulté à régénérer la forêt. La densité des animaux est sans rapport avec ce que le milieu peut nourrir en se renouvelant », indique Francis Dopff.
Et d’ajouter que « la solution à court terme est de recourir à la chasse et, à plus long terme, de réintroduire des prédateurs qui assureront le bon équilibre du milieu naturel. Va-t-on sacrifier la forêt pour le bien-être du cerf ? », conclut le vice-président d’Alsace Nature.
Laurent Bodin/L’Alsace (12.02.2021)
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