Journal du Couvre-feu/J.16 ‘Quand l’âne se raconte…’

Publié le par Jean-Louis Schmitt

L'âne n'a jamais été reconnu à sa juste valeur. Caricaturé comme un animal idiot, l'âne a failli disparaître de nos campagnes tant le mépris des Hommes à son égard est grand. Heureusement, des associations veillent au grain pour faire vivre les différentes races locales et changer la destinée de ce génial animal (Voir par exemple ICI). Quand l’âne se raconte à travers la plume d’Allain Bougrain-Dubourg…

Les civilisations ancestrales attribuaient à l'âne toutes sortes d'attitudes éloignées de la réalité et le considéraient comme un symbole de sottise… Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

Les civilisations ancestrales attribuaient à l'âne toutes sortes d'attitudes éloignées de la réalité et le considéraient comme un symbole de sottise… Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

« C’est ma semaine de gloire. Me voilà trônant au côté du bœuf dans la crèche qui invite à la paix. J’en accepte d’autant plus l’honneur que je le sais éphémère. Depuis 5 000 ans que nous cohabitons, je suis resté le bon à tout faire. Aucun prestige n’accompagne mon histoire, aucune fascination ne glorifie mon quotidien. Je suis une bête de somme, rien d’autre. Pire, on m’affuble d’une niaiserie injuste.

Rappelez-vous, votre philosophe Buridan se permit de me caricaturer en indiquant que je pouvais mourir de faim et de soif face à mon picotin d’avoine et mon seau d’eau, faute de savoir choisir entre l’un et l’autre. Buffon, votre grand naturaliste, n’est guère plus flatteur. Son analyse se résume ainsi : « À considérer cet animal, même avec des yeux attentifs, et dans un assez grand détail, il paraît n’être qu’un cheval dégénéré ». Merci pour le portrait! Et le bonnet d’âne qui punissait les cancres, encore un symbole avilissant. Il me faut cependant être juste en rappelant que dadmirables auteurs ont plaidé ma cause. Victor Hugo, évidemment, figure en tête de liste. L’âne Patience a traversé le temps, indomptable et moqueur, il incarne l’humble sagesse. Robert Louis Stevenson a reconnu mes mérites dans les sentiers cévenols. Et Francis James qui clame « j’aime l’âne » ou Jean de la Fontaine rappelant mon calvaire dans « Le cheval et l’âne ». Mais ces plaidoiries, si réconfortantes soient-elles, ne compensent pas la misère que mon clan a enduré.

Nous partagions déjà le sort peu enviable des fellahs (paysans égyptiens) et autres esclaves lorsque les pharaons régnaient sur la vallée du Nil. Au milieu du XIXe siècle, nous étions près de 400 000 en France, souvent compagnons d’infortune des « journaliers », ces modestes travailleurs prêts à assumer toutes les besognes. Nous étions « le cheval du pauvre » aussi malmenés que ce dernier. Combien d’entre nous ont succombé sous la charge et les coups ici et là-bas, en Afrique du nord?

Vos tracteurs et autres chemins de fer ont fort heureusement soulagé notre quotidien. Ils ont peu à peu effacé notre usage. La machine ne donne pas de coups de pieds, avez-vous pensé, en la préférant. Notre population s’est alors effondrée. Nous étions encore 110 000 en 1946 et seulement 19 000 en 1980. Ce nombre est remonté aujourd’hui grâce à l’action de certains d’entre vous qui ont voulu conserver nos races.

Merci au département de la Manche qui détient le plus gros cheptel. Reconnaissance aussi aux sept associations de races d’ânes qui nous préservent en Provence, dans le Berry, en Poitou ou en Normandie. Désormais, nous sommes souvent considérés comme des animaux d’agrément ou des compagnons de voyages touristiques. Les chemins de Compostelle en témoignent. Il est maintenant temps de nous réhabiliter définitivement. L’initiative de Job Le Borgne de la Tour, maire de Saint-Léger-des-Prés (Ille-et-Vilaine) pourrait vous inspirer. En 1991, il prenait un arrêté municipal disant dans son article premier : « Il est interdit d’utiliser sur la commune toute expression portant atteinte à l’honorabilité de l’âne. En particulier « bête comme un âne », « ânerie », « bonnet d’âne », etc. » Article 2 : « Tout contrevenant pris en flagrant délit devra présenter ses excuses, sous forme de carottes ou friandises aux ânes résidant sur la commune ».

Qu’on se le dise! »

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

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J
J'ai relu pendant le confinement "mémoire d'un âne" de la Comtesse de Ségur. Retrouvez ce livre au fond d'un carton ou dans votre grenier. C'est un bel hommage à ces animaux.
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Z
Très belle lettre ! Et merci aux auteurs qui ont rendu justice à ces animaux! Dans le très bon film "Antoinette dans les Cévennes" les ânes ont aussi un beau rôle. .
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C
C'est adorable ce billet, surtout la fin! C'est vrai que les humains, en général, ne sommes pas très gentils envers les ânes! Je m'excuse honorables ânes! J'ai déjà pris des photos et je t'invite à aller voir mon message sur mon autre blogue sur une belle anecdote : https://lesphotosdecleo.wordpress.com/2015/08/09/photos-danimaux-anecdote/ <br /> Bises et belle journée à vous deux!
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B
Je partage cette belle lettre !
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F
Après une randonnée en montagne ou en plaine, nous rédigeons des comptes rendus (nécessaires au bon fonctionnement de notre club) dans lesquels nous mentionnons la plupart du temps quels animaux et quelles plantes nous avons eu le plaisir d'observer. Certes les plantes ne manquent pas (quoique...), mais rien ne nous semble plus triste qu'une journée passée sans pouvoir apercevoir le moindre animal ou au moins la trace de son passage. Et lorsque nous croisons des ânes alors nous sommes ravis, tout autant que lorsque nous croisons des chamois (qu'en général nous observons de loin) ou encore des marmottes (qui se méfient et surveillent les environs). Mais il me semble quand même que l'affection qui nous lie aux ânes est porteuse d'un sens supplémentaire, comme si inconsciemment nous ressentions le besoin de leur faire des excuses, de leur dire que non ils ne sont pas bêtes, et pourquoi le seraient-ils ? Par contre celui qui a inventé le bonnet d'âne est un idiot.
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D
Ah j'adore l'initiative parfaitement justifiée, même si drôle au niveau des excuses, de ce maire qui a tenu à susciter le respect dû aux ânes en préservant leur "honorabilité"; en cela il nous fait penser à "L'âne Culotte" d' Henri Bosco, que tu connais Jean-Louis; lui aussi parle de dignité. Je n'ai pas le texte sous les,yeux, je me rappelle cependant qu'il écrit "un regard de bête libre, de bête associée" . Il est vrai qu'il évoque cet âne particulier et se moque un peu de ceux "qui braient comme douze trompettes" mais avec beaucoup d'affection.<br /> Et on pense aussi au beau et long poème de Francis Jammes, dont voici juste le début:<br /> <br /> J’aime l’âne si doux/<br /> marchant le long des houx//<br /> <br /> Il prend garde aux abeilles/<br /> et bouge ses oreilles //<br /> <br /> et il porte les pauvres/<br /> et des sacs remplis d’orge//<br /> <br /> Il va, près des fossés/<br /> d’un petit pas cassé//<br /> <br /> Mon amie le croit bête/<br /> parce qu’il est poète//<br /> <br /> Il réfléchit toujours/.<br /> Ses yeux sont en velours// etc.....................................
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