Des conditions de vie peu roses pour les porcs de la « filière préférence » d’Herta

Publié le par Jean-Louis Schmitt

L’association L214 publie, mercredi soir, des images tournées dans un élevage porcin qui fournit la gamme « préférence » d’Herta, censée être la filière la« plus responsable » de la marque.

Naissances à la chaîne : les truies mettent au monde des porcelets à la chaîne. Elles donnent naissance à une trentaine de porcelets chaque année. Photo : L214 (Cliquez pour agrandir)

Naissances à la chaîne : les truies mettent au monde des porcelets à la chaîne. Elles donnent naissance à une trentaine de porcelets chaque année. Photo : L214 (Cliquez pour agrandir)

Cela fait quelques années qu’« Herta s’engage ». Avec ce slogan lancé en 2001, la marque de produits de charcuterie et traiteur, qui vante « le goût des choses simples », promet d’agir pour une production plus durable et meilleure pour la santé. En 2013, Herta pousse la démarche plus loin et lance une « filière préférence » qui « signe les prémices d’un élevage moderne et plus responsable » : améliorer les conditions de vie des animaux, repenser la nutrition animale en la relocalisant, engager des démarches environnementales… la « filière préférence » prend la forme d’un partenariat entre Herta, des éleveurs et des abattoirs, qui passe par un « guide de bonnes pratiques ».

Mais derrière ces promesses de « plus de bien-être animal » qui s’achent sur certains emballages de jambons de la marque, quelles sont les conditions de vie des cochons dans cette filière « premium » ? L’association L214 rend publiques, mercredi 2 décembre, des images tournées dans un élevage porcin engagé depuis 2014 dans la démarche « préférence » d’Herta, qui montrent une réalité nettement moins rose. Située à Limoise, dans l’Allier, cette exploitation compte 600 truies reproductrices (la moyenne nationale se situant autour de 250 truies) et produit 15 000 porcs chaque année. Les images tournées par L214 sur trois journées en juin et septembre dévoilent des conditions qui ne distinguent guère cet élevage. Pire, plusieurs manquements à la réglementation y sont observés. Comme dans beaucoup d’autres exploitations porcines en France, les porcs sont entassés dans des bâtiments fermés, dont ils ne sortent pour la première fois que pour aller à l’abattoir. Le sol est en caillebotis dur, sans paille. Seul objet de manipulation visible : une chaîne accrochée au plafond, quand la législation oblige les éleveurs à « enrichir » l’environnement des porcs avec de la litière, des sciures de bois, de la tourbe… Certains cochons se coincent les pattes dans la grille du caillebotis, d’autres ont des hernies protubérantes qui touchent presque le sol, un cochon mort commence à se faire manger par ses congénères, alors que la législation oblige à isoler les cadavres.

Queue coupée

En raison de la promiscuité, les cochons ont tous la queue coupée sur les images, une mutilation très courante pour éviter les blessures entre animaux, mais dont l’usage en routine est néanmoins prohibé par la réglementation européenne et n’est autorisé qu’en dernier recours.

Dans une autre séquence, un employé assomme un porcelet en le frappant contre une barrière, une pratique dite de « claquage » autorisée dans certains cas (quand les truies donnent naissance à plus de petits qu’elles ne peuvent nourrir et quand les porcelets sont trop petits), dénoncée par L214. « On observe aussi des défauts au niveau de la tenue de la pharmacie, poursuit Sébastien Arsac, cofondateur de l’association L214. Normalement, les antibiotiques doivent être rassemblés dans une armoire. Là, ils traînent un peu partout, et on a pu constater la présence d’une boîte périmée depuis dix ans. »

L’association a déposé plainte, mercredi, auprès de la procureure de Moulins, contre l’élevage, pour mauvais traitements envers animaux et sévices graves, et contre Herta pour « tromperie auprès des consommateurs ». « On est censés être sur la gamme vitrine en matière de durabilité et de bien-être animal, or il y a un décalage net entre les engagements achés par Herta et la réalité de cet élevage », argue Sébastien Arsac.

De nombreux produits médicamenteux sont présents dans cet élevage, dont des antibiotiques périmés depuis 10 ans. Photo : L214 (Cliquez pour agrandir)

De nombreux produits médicamenteux sont présents dans cet élevage, dont des antibiotiques périmés depuis 10 ans. Photo : L214 (Cliquez pour agrandir)

Un étiquetage sur le bien-être animal

Ces images jettent un doute sur le cahier des charges d’Herta pour sa filière « préférence », d’autant que cette exploitation précise est mise en avant par une vidéo promotionnelle de la marque. Quels sont les engagements concrets pris par les éleveurs et comment sont-ils contrôlés ? Dans son dernier rapport RSE, la marque de charcuterie la plus achetée en France, propriété de Nestlé et du groupe espagnol Casa Tarradellas, indique qu’une centaine d’audits ont été réalisés sur l’année 2016, la dernière pour laquelle des données sont disponibles. Mais la nature de ceux-ci n’est pas précisée et le « guide de bonnes pratiques » n’est pas rendu public. Seul engagement concret en matière de bien-être animal mis en avant par la marque : un tiers des éleveurs inscrits dans la démarche ont arrêté de castrer leurs porcelets, une pratique qui sera interdite d’ici 2021 en France quand elle est pratiquée à vif – mais qui restera autorisée sous anesthésie. Contactée par Le Monde, la nouvelle maison mère d’Herta, Casa Tarradellas, n’était pas en mesure, mercredi soir, de répondre à nos questions.

Pour une meilleure transparence vis-à-vis des consommateurs, des organisations travaillent à la mise en place d’un étiquetage sur le bien-être animal, qui pourrait être apposé sur les emballages sur le modèle du score nutritionnel Nutri-score, avec une échelle allant de A à E. La Fondation Droit animal, éthique et sciences (LFDA), ainsi que les associations Compassion in World Farming (CIWF) France et Welfarm, plaident pour la mise en place d’un tel système, avec des critères précis par filières et des contrôles indépendants. Interrogé lors d’un colloque de LFDA fin octobre, le ministre de l’agriculture Julien Denormandie s’est dit ouvert à un tel principe sur la base du volontariat. « C’est une responsabilité collégiale : si on veut que le consommateur ait un rôle, il faut qu’il soit éclairé », indiquait M. Denormandie le 22 octobre, en nuançant : « Il y a certains écueils dans lesquels il ne faut pas tomber : trop d’information tue l’information et il faut que toutes les initiatives soient bien coordonnées ».

Sans soins et sans attention de leur mère, totalement bloquée, de nombreux porcelets meurent à la naissance. Photo : L214 (Cliquez pour agrandir)

Sans soins et sans attention de leur mère, totalement bloquée, de nombreux porcelets meurent à la naissance. Photo : L214 (Cliquez pour agrandir)

L’initiative de la marque Héna

Pour L214, « un étiquetage bien-être animal indépendant peut être intéressant, car quand les labels sont contrôlés par les marques, c’est du greenwashing de protection animale ». L’association souligne toutefois qu’il existe déjà des labels qui garantissent des densités d’élevage réduites et un accès des animaux au plein air : les Labels rouge pour la filière poulet (pour la filière porcine, le Label rouge est contesté, car il autorise l’élevage sur caillebotis) et le label biologique. « L’étiquetage permet d’avancer, mais il ne sura pas seul à avoir un impact de masse sur les filières », estime Sébastien Arsac, pour qui les changements doivent passer par l’ensemble des acteurs impliqués (coopératives, grande distribution, législateurs…).

L214 salue ainsi l’initiative de la marque Hénaff, qui s’est engagée à un plan ambitieux pour 2030, avec un cahier des charges en matière de bien-être animal plus strict que celui des élevages bio. Reste à convaincre les consommateurs. Si ces derniers ont pris l’habitude de décrypter les boîtes d’œufs et les indications d’élevage en plein air ou pas, les achats de jambons ne répondent pas à la même logique. De fait, Herta a vu ses ventes progresser de 10 % sur les premiers mois de 2020.

Mathilde Gérard/Le Monde (02.12.2020)

Vidéo : Herta : le (dé)goût des choses simples. Enquête dans un élevage de cochons Herta. (5 :01)

 

 

 

 

 

 

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Commenter cet article
L
quelle horreur ; ces photos me font penser au " Nègre de Surinam " dans Candide de Voltaire ; et là on peur dire c'est à ce prix là que vous mangez du jambon :( et quand on voit le regard de ces pauvres animaux on y voit le désespoir de ceux qui nous ressemblent tant ;
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D
Au consommateur d en tenir compte
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Z
Horrible ! Suis contente d'être végétalienne .<br /> Merci à L214 pour leur travail d'alerte et d'information qui , je l'espère, fera évoluer les mentalités .
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D
Végétarienne, quel bonheur !
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B
C'est affreux...
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A
Merci Jean-Louis de relayer. J’ai signé mais la force la plus active est celle du consommateur qui doit apprendre à déchiffrer les étiquettes et à savoir détecter le greenwashing. Pour arrêter les productions contestables il suffit de ne pas acheter.
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J
Tout à fait Anne !<br /> Je sais que je ne vais pas convaincre grand monde qui passe sur ce blog car, la plupart d'entre nous sont bien conscients qu'il est impératif de modifier notre manière de consommer et qu'il faut, pour cela, absolument bannir de nos assiettes toutes ces productions animales qui génèrent tant de souffrance. Parfois, j'ai tout de même de très bon retour à l'image de Claire (ci-dessous) qui a cessé de manger de la viande (et maintenant aussi des produits laitiers) grâce aux différentes découvertes qu'elle a faite ici... C'est un de mes plus beaux cadeaux depuis la création de ce blog !
C
Encore un article "utile" (ô combien) !<br /> Je trouve particulièrement positif -outre le travail fantastique de ces associations et en priorité L214- que le Journal Le Monde rende si brillamment compte de ce scandale !<br /> Merci à vous de l'avoir relayé.
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J
J'ai toujours grand plaisir à vous lire et j'apprécie le fait que vous passiez nous voir (le blog et moi) aussi régulièrement !<br /> Merci à vous !