Claude et Lydia Bourguignon, agronomes : « Il faut remettre de la connaissance et de la science naturelle dans l’agriculture »

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Ça n’a l’air de rien comme ça, le sol. On le foule, on le piétine sans y faire attention, sauf quand nos godasses sont pleines de boue et qu’on râle un bon coup. Pas Claude et Lydia Bourguignon, agronomes et chercheurs, spécialistes de la pédologie, la science de la formation et de l’évolution des sols. Complexe, composé d’organismes vivants, le sol est la base de tout. Sans lui, point de survie. Et, mauvaise nouvelle, il ne pète pas la forme. A l'occasion de la Journée mondiale des sols Charlie Hebdo republie cet article paru dans le Hors-Série ‘’Aux armes, paysans !’’

EXCLU WEB

Illustration : Coco/Charlie Hebdo

Charlie Hebdo : Comment en êtes-vous venus à créer le Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols?

Claude: Lydia et moi, on travaillait à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). À l’époque, l’établissement entamait le virage OGM et justifiait l’usage des farines animales pour nourrir les vaches et augmenter la production laitière. Pour nous, il était hors de question de cautionner ces pratiques. On a démissionné, décidé de s’implanter en Côte-d’Or pour s’intéresser de près aux sols, en créant le Laboratoire d’analyses microbiologiques des sols (Lams). On effectue des analyses chimiques et biologiques des sols. C’est une approche scientifique de terrain.

Qui vous consulte et pourquoi?

Claude et Lydia : Des maraîchers, des agriculteurs…, mais nos principaux clients sont les viticulteurs qui se rendent compte que la qualité de leurs vins baisse. Quand ils viennent nous voir, c’est qu’ils ont déjà idée que la chimie déversée sur les vignes fait des dégâts. On leur fait prendre conscience qu’elle altère la qualité de leur sol et donc de leur terroir. Ils nous demandent de faire revenir de la vie dans leurs sols pour produire un vin de meilleure qualité et pouvoir mieux vendre.

Pour vous, qu’est-ce qu’un bon sol, une bonne terre arable?

Claude: Un bon sol suppose un équilibre entre de l’eau, de l’air, de la matière minérale et de la matière organique. On parle d’humus (la matière organique), de limon et d’argile. Un bon sol doit avoir de la faune comme les vers de terre, de la microfaune comme les collemboles, les acariens, mais aussi héberger des microbes, des champignons, des bactéries… Bref, toute une vie souterraine qui travaille la terre. Entre 1950 et 2020, les sols ont perdu la moitié de leurs matières organiques, passant de 4% à moins de 2%. Une grande partie des sols en France est en déséquilibre. Cela a des conséquences sur les cultures, mais aussi sur tout un environnement. Les sols qui n’ont plus assez de matières organiques absorbent moins d’eau, et par voie de conséquence les argiles se fixent moins. D’où le fait que, dès qu’il pleut, les eaux ruisselantes charrient l’argile et les limons. Vous dites finalement que lorsqu’il pleut dans les zones rurales, ça fait de la boue.

Mais c’est normal, non?

Lydia: Ben non, justement, ce n’est pas normal. Imaginez : depuis les millénaires que l’on pratique l’agriculture, si à chaque fois qu’il pleuvait fort il y avait des torrents de boue, on vivrait sur la croûte terrestre! Cette boue que lon voit à la télé se déverser en torrents dès quil pleut devient la norme, mais il est erroné de croire que cela a toujours été comme ça. Ces torrents de boue sont des révélateurs de l’instabilité des sols. La quantité de limon et d’argile qui se retrouve dans ces eaux est totalement anormale. Ce phénomène désormais systématique devrait nous inquiéter.

On accuse donc un peu trop rapidement le dérèglement climatique?

Lydia: On ne va pas nier le fait qu’il y a un dérèglement climatique, mais cela n’exclut pas de se poser la question de la stabilité des sols et de leur mauvais état général en France. Ils sont trop et mal travaillés. Ils sont tellement tassés qu’ils sont presque aussi durs que du béton! Sans matière organique, les sols nont plus la porosité suffisante pour éponger leau. Un sol avec compost retient 300 fois plus deau quun sol sans compost. Quand on va sur le terrain, on peut mesurer cette perméabilité ou non du sol.

Avant même de faire des analyses, comment appréhendez-vous un sol? Existe-t-il une approche sensible du sol?

Lydia: Quand on arrive dans un champ, on « écoute » avec nos pieds. Il y a des sols qui ont une sensation de moelleux, de moquette… Une terre souple nous donne un indice de bonne santé du sol. Il y a aussi l’odeur : la matière organique sent la forêt, puisque c’est de l’humus. Enfin, quand on effrite la terre entre ses doigts, un sol vivant est grumeleux, un peu comme du couscous.

Comment les paysans devraient-ils labourer leurs terres?

Claude: Ils ne devraient plus labourer! Le labour date dun peu moins de mille ans. Ce nest pas grand-chose, comparé aux sept mille ans de pratiques agricoles. Dans le monde, il y a 1,3milliard dagriculteurs, dont 1 milliard qui travaillent à la main, 200millions qui utilisent la traction animale et 30millions qui possèdent des machines. La traction animale est un moindre mal parce quelle retourne peu les sols, ce qui convient bien à la matière organique. Mais après la guerre, on a dit aux ­paysans : « Vendez vos chevaux, achetez des tracteurs. » Ces labours de plus en plus profonds ont pillé la matière organique. Sans compter qu’un labour, c’est 1 tonne de CO2 à l’hectare, ce qui participe au réchauffement climatique planétaire…

Quelle solution de remplacement voyez-vous?

Claude: Une solution radicale : arrêter le labour et se convertir au « semis direct sous couvert ». C’est une technique de permaculture sophistiquée qui nécessite un engagement de l’agriculteur, mais qui a fait ses preuves. L’idée est de laisser tranquilles les sols. En pratique, le paysan sème un couvert végétal dans son champ, puis va le faucher en même temps qu’il va semer ses céréales, par exemple. En un seul passage, il protège son sol, le nourrit et sème sa future récolte. En France, la technique a émergé en 1999. Depuis, sur les 300000 agriculteurs recensés, environ 3000 se sont convertis au semis direct sous couvert. Ce qui représente seulement 1% du monde rural. Cest donc très marginal.

Si cela est si efficace, où sont les freins?

Claude: D’abord, c’est un engagement financier. Il faut que les agriculteurs s’équipent d’un semoir à disques, qui coûte cher. La plupart étant déjà financièrement pris à la gorge, ils ne veulent pas entendre parler de nouveaux investissements. L’autre frein est psychologique. Les agriculteurs adorent « casser des mottes », comme ils disent. Le « bon » agriculteur est encore celui qui effectue quatre ou cinq passages de tracteur dans son champ. Avec le semis direct sous couvert, un seul passage suffit. De quoi faire des économies de fioul! Mais non, ça ne passe pas. Beaucoup auraient limpression de perdre leur honneur, de régresser socialement en abandonnant un matériel surdimensionné pour revenir à quelque chose de plus simple. Ceux qui font ce choix ont le courage psychologique d’affronter les railleries des voisins qui prédisent la faillite. C’est d’autant moins évident que les chambres d’agriculture n’enseignent pas cette technique, qu’il n’y a pas d’aides financières pour s’équiper. Le paysan qui fait ce choix est seul.

Est-il encore possible de « soigner » les sols dont vous dites qu’ils sont bien malades?

Lydia: Il faut ramener de la vie sur des sols qui sont épuisés. Pour ça, on doit amender la terre avec du compost et restituer de la matière organique, replanter des haies pour abriter la faune et protéger du vent… Ce qu’il faut comprendre, c’est que le sol, c’est complexe. On ne change pas de technique comme on change de chemise. Il faut redécouvrir tout un savoir agronomique que l’agriculture conventionnelle a effacé. Comment fonctionne un sol? Pourquoi vaut-il mieux planter telle céréale sur cette parcelle que telle autre? Quelle rotation et quelles associations de cultures mettre en place? Il faut remettre de la connaissance et de la science naturelle dans les sols. Au lieu de compenser les faibles rendements à grand renfort dengrais, on doit se poser la question de savoir pourquoi ça va si mal.

Natacha Devanda/Charlie Hebdo (4.12.2020)

 

Illustration : Coco/Charlie Hebdo

 

 

 

 

 

 

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B
Très intéressant...
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O
Nous autres à la FNSEA savons bien que ces histoires de vers de terre, de bactéries, d'équilibre des sols ce sont des foutaises pour bobos rêveurs. Un sol productif est vide et plat, dopé aux engrais azotés et propre grâce aux pesticides, point. C'est simple, moderne, productif, scientifique et ça a quand même une autre allure que ces niaiseries sentimentales. Et j'allais oublier, c'est imparable, que c'est cette agriculture moderne et compétitive qui permet de nourrir depuis 3 générations les pauvres pour presque rien et les autorise à consacrer l'argent durement gagné à des futilités.
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J
Cher Pierre, tu vas finir par faire croire à certains de mes lecteurs que tu n'es qu'un pauvre désaxé ce qui, bien sûr, est loin d'être le cas ! Heureusement : nous sommes un certain nombre à te connaitre et à apprécier ton sens de l'ironie provocatrice... Pour autant, je préfère rappeler une fois de plus que telle n'est pas ta vraie personnalité et que, de tout temps, tu as été à nos côtés pour les combats menés pour la préservation de l'environnement et la protection des animaux !
Z
C'est en connaissance de cause que les choix ont été faits pour des raisons de profits immédiats . Ah si les lombrics votaient... ou devenaient actionnaires ... ça changerait tou!!!
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M
On voit que les techniques respectueuses des sols existent ,le seul problème mais il est de taille, est leur mise en œuvre sur le terrain et comme les gouvernants et les syndicats agricoles ne veulent faire aucun effort dans ce sens ce n'est pas gagné. Comme d'habitude on réagira quand une bonne partie des terres agricoles seront incultivables mas ce sera bien tard...
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J
En effet Mario : le "chantier" est immense et, alors que la prise de conscience semble pourtant bien amorcée, "on" s'obstine à poursuivre dans le productivisme à outrance et des techniques pourtant connues pour être désastreuses pour les sols ! <br /> La question est donc : à qui profite le crime ?<br /> En creusant un peu, on pourrait découvrir de nombreuses accointances gouvernementales mais aussi avec la puissance FNSEA et les lobbies de l'agrochimie ! Les fabricants de machines agricoles ont eux aussi tout intérêt à ce que le massacre se poursuive...<br /> Bref, tout cela tourne atour d'un seul point : le pognon ! <br /> Et pour s'en faire un max, certains sont prêts à tout...
J
L'article est intéressant. Les informations sont nombreuses et claires. La solution proposée semble simple. L'est-elle vraiment?
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J
Après le lombric présenté il y a quelques jours par Allain Bougrain-Dubourg, Lydia et Claude Bourguignon continuent eux aussi leur croisade pour des sols que l'on respecterait davantage ! Beaucoup sont hélas biologiquement morts et il faudra beaucoup de temps pour que la vie y revienne... si tant est qu'on la laisse y revenir ce qui est loin d'être la tendance actuelle...
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