Apprivoise-moi, dit le renard
La célèbre citation du Petit Prince de Saint-Ex devient réalité en Sibérie où une expérience sur la domestication de l’espèce est menée depuis 1959… Oui, depuis donc plus de 60 ans, la Russie s’adonne à cette expérience dont je me demande à quoi elle peut bien servir ! Pour moi, ce n’est ni plus, ni moins que de l’expérimentation animale qui, au passage en laisse un certain nombre sur le carreau…
Tatyana Abramova, son fils Tomofei et leur renard blanc Plombir. Photo : Alexander Nemenov/AFP
Tenu en laisse, Plombir se précipite sur des poules dans leur cage. « Oui, il a déjà essayé de les manger », raconte Sergueï Abramov, 32 ans, heureux propriétaire du renard blanc, avec sa femme Tatiana et leurs deux enfants en banlieue de Novossibirsk. Voilà un an et demi que la famille a adopté ce renard né dans une ferme-laboratoire où depuis 61 ans une expérience exceptionnelle est menée pour comprendre la domestication.
Tatiana Abramova, 33 ans, biologiste de profession, a toujours rêvé de vivre avec un renard. Plombir se laisse caresser, donne la patte et joue. Il est « amical » et « farceur ». Mais pas très obéissant : « Il saute sur les tables, ouvre le frigo et saute dedans. Il vole des choses et les cache ». Impossible d’avoir un tel animal en intérieur. Plombir vit dans une niche spacieuse construite dans le jardin. Ce renard est loin d’être ordinaire. Lui et ses aïeux ont été sélectionnés et élevés pour leur sociabilité.
Pour comprendre, il faut revenir à 1959, début de cette expérience soviétique lancée par les généticiens Dmitri Beliaïev et Lioudmila Trout dans une ferme d’Akademgorodok, pôle scientifique d’excellence. Leur objectif était de domestiquer des renards pour comprendre comment l’ancêtre des loups, autre canidé, a évolué, devenant un chien fidèle. Et ce que cela dit de l’évolution génétique des espèces.
Depuis, les scientifiques choisissent chaque année les renards les plus amicaux et les font se reproduire entre eux. Les autres sont euthanasiés ou vendus, en faible nombre, comme animaux domestiques.
Cette sélection artificielle « change tout dans leur organisme », pointe Iouri Guerbek, l’un des quinze scientifiques travaillant dans cette ferme aux 1 000 renards. « Nous essayons de comprendre quels gènes changent et comment ». L’expérience a des conséquences physiques : la pigmentation des renards se modifie, leurs museaux raccourcissent… On conserve aussi un cheptel de renards non-domestiqués comme source de comparaison.
L’homme se serait-il domestiqué lui-même?
Après la mort de Dmitri Beliaïev en 1985, l’expérience a failli disparaître faute de financement. Elle a survécu et même gagné en importance car les techniques de séquençage des gènes ont ouvert des possibilités d’études inédites.
L’équipe russe étudie les changements qu’entraîne la domestication sur le cerveau des renards mais aussi le lien avec les niveaux d’ocytocine. Des études montrent que cette « hormone de l’amour » favorise les comportements protecteurs, l’empathie. Sa sécrétion pourrait jouer un rôle clé dans la domestication.
Les renards apprivoisés pourraient même permettre de mieux comprendre l’évolution de l’Homme : une théorie veut que les êtres humains se sont domestiqués eux-mêmes pour survivre et limiter les violences au sein de l’espèce…
AFP (5.12.2020)
En Sibérie, des renards apprivoisés interrogent la science | AFP (1 :36)
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