Sabrina Krief, primatologue : "Les chimpanzés sont mes frères ; j’ai appris à faire partie de leur famille"
Des canopées et des chimpanzés, tels sont les environnements et individus que côtoie la vétérinaire et professeure Sabrina Krief la plupart de son temps. Elle est notamment autrice de l’ouvrage "Chimpanzés, mes frères de la forêt" publié en 2019 chez Actes Sud, fruit des observations de ses journées particulières…
Le livre de Sabrina Krief '’Chimpanzés, mes frères de la forêt'’, a paru aux éditions Actes Sud. Photo : Jean-Michel Krief
Une « Jane Godall » contemporaine
Depuis une vingtaine d’années, Sabrina Krief met tout son savoir au service de l’étude des chimpanzés. Vétérinaire, professeure au Muséum national d’histoire naturelle de Paris et primatologue, elle s’est tout d’abord intéressée au régime alimentaire des chimpanzés orphelins remis en liberté au Congo, sujet qui a irrigué sa thèse soutenue en 2003.
Tout a débuté à la fin des années 1990 alors qu’elle voyage une première fois au Congo. Ses études tournent à leur fin et l’expérience sur le terrain se fait sentir au cours d’un stage de six mois. L’objectif de la mission : observer et étudier de jeunes primates orphelins de retour dans la canopée. Une des chimpanzés s’approche et l’étreint. Le pacte est scellé : Sabrina Krief sera l’interlocutrice sensible et passionnée des primates.
« Ce sont mes frères, ceux en particulier que j’étudie parce que j’ai appris à faire partie de leur famille. Mais plus généralement les chimpanzés en tant qu’espèce. »
Quelques années plus tard, plus précisément en 2008, elle franchit les portes boisées et verdoyantes du parc national de Kibale en Ouganda : elle y rencontre ses « frères de la forêt », des chimpanzés qu’elle suit parmi les lianes et les feuillages, à mi-chemin entre ciel et terre.
Le 23 juillet 2013 : son entrée dans la communauté des chimpanzés
Des silhouettes furtives. Des ombres entre les branches. Des empreintes et des cris. Pendant cinq ans, Sabrina Krief observe, repère, enquête sur ses « frères » qui se font distants et inatteignables. Elle se fait patiente et modeste.
« Ce jour-là, Elliott, a pour la première fois accepté d’échanger un regard, de pouvoir l’observer sans qu’il ne manifeste ni crainte ni curiosité… »
Le 23 juillet 2013, un chimpanzé prénommé Elliot et qui occupe le rôle de mâle dominant dans sa communauté la regarde pour la première fois droit dans les yeux et ne s’enfuit pas. Sabrina Krief devient leur sœur et est acceptée.
« Le moment où le mâle Alpha accepte de nous avoir proche de lui, il apaise en même temps le reste des individus qui sont proches et qui partagent l’arbre »
Il lui a donc fallu de la patience, de la persévérance et de l’humilité pour apprivoiser son terrain. Au cœur du processus : établir des liens de confiance, là où l’humain avait trop souvent été symbole de braconnage violent et avide.
Les primates : des humains comme les autres
Sa nouvelle famille se montre foisonnante et complexe en termes de recherches scientifiques. À son contact, Sabrina Krief étudie les identités, les tempéraments, les caractères qui singularisent chaque primate et offre un panorama varié d’individus.
« Jane Godall a livré des informations avec une certaine naïveté qui a permis de faire passer cette information très importante que les individus ne sont pas tous les mêmes, qu’ils ont des personnalités, qu’ils ont des émotions, qu’ils utilisent des outils, et on parlera plus tard de culture »
Ses analyses sur les différences comportementales la transportent également sur le champ des pratiques culturelles inhérentes à chaque groupe. Qu’ils s’agissent de danse, de confection d’outils ou encore de communication (entre vocalisations, gestes et expressions corporelles), la primatologue tente de décrypter leurs habitudes et leurs modes de vie sans se faire intrusive.
Jean-Michel Krief, le mari de Sabrina, photographe, accompagne la primatologue et immortalise ses moments avec ses frères de la forêt. Photo : Jean-Michel Krief
Enfin, elle met en avant la vulnérabilité virale des primates. D’une part ils sont parfois sujets à des infections apportées par l’homme. De l’autre, ils ont développé une véritable grammaire des symptômes qui leur permet de s’auto-médicamenter. Les chimpanzés sont donc une source inépuisable d’observations et d’études afin de repenser l’être humain.
« Même au milieu de la forêt tropicale, la pollution environnementale est extrêmement forte et a des effets probablement sur la santé de nos plus proches parents comme les grands singes… »
Voilà ce qui tient à cœur à la primatologue et vétérinaire Sabrina Krief : décloisonner le monde animal et humain pour une meilleure compréhension et cohabitation.
« On a tout dans nos mains pour essayer de faire changer les choses, nous en tant que citoyens, en tant que participants à des entreprises et des sociétés, à la vie politique, etc. Il est urgent d’agir ! »
*Chaque dimanche à 14 h, Zoé Varier présente ‘’Une journée particulière’’ sur France Inter !
Quelques références autour de Sabrina Krief et des primates
- Sa thèse « Métabolites secondaires des plantes et comportement animal: surveillance sanitaire et observations de l’alimentation des chimpanzés (Pan troglodytes schweinfurthii) en Ouganda. Activités biologiques et étude chimique de plantes consommées » disponible en ligne, Muséum National d’Histoire Naturelle, 2003.
- Les Chimpanzés des monts de la lune, Belin / Museum, 2014 (avec Jean-Michel Krief).
- Chimpanzés, mes frères de la forêt, Actes Sud, 2019.
- Le dossier « Singeries », revue de la BnF, (numéro 61).
Vidéo : Sabrina Krief : "Il est encore temps de faire bouger les choses" (3 :03)
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