Redonner vie et espace à la nature et que faire de la chasse ?

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Je livre aujourd’hui un texte d’Alain Tamisier à votre réflexion : ancien chercheur au CNRS, spécialisé dans l’écologie des oiseaux d’eau, Alain est également un fidèle lecteur de ce blog. C’est sa première contribution : j’espère que vous lui ferez bon accueil…

Cerf en velours… Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

Cerf en velours… Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

Pendant plus de deux mois de confinement strict entre la mi-mars et la mi-mai, nous avons été contraints de modifier sensiblement nos comportements, et par-delà les privations engendrées, nous avons souvent goûté à de nouvelles aspirations. Le silence, le calme, un moindre stress, une plus grande proximité avec les richesses de la nature ont provoqué chez beaucoup d'entre nous un désir de changement. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, nous nous sommes promis que nous ne pourrions pas recommencer comme "avant", qu'il y aurait un "après".

Nous avons aussi entendu le Président de la République annoncer solennellement le 20 mars : "Mettons l'environnement au cœur de la reprise économique". Voilà une révolution dans le discours politique. Oui M. Macron, nous vous soutiendrons sans faille dans cette démarche nouvelle, si vous la tenez.

Pendant la période présente de déconfinement relatif, en dépit des réels problèmes économiques et financiers, nous mesurons mieux tout ce que nous avons gagné en découverte de ce que pourrait être notre vie quotidienne. Sans nous en apercevoir, nous avions perdu le sens du silence, nous ne savions plus qu'il était souvent grandiose et toujours gratuit. Nous avons observé un exode urbain au profit de différentes formes de "retour à la nature". Nous avons vu le temps s'allonger, laissant de l'espace libre pour la contemplation. Nous sommes entrés dans une nouvelle quête de sens, un besoin d'avancer avec plus de sagesse, de se recentrer sur l'essentiel, avec l'envie, le besoin de changer de repères, de paradigmes : la croissance à tout prix n'est plus, pour beaucoup d'entre nous, le graal annoncé par le modèle économique régnant. Il faut d'abord sauver notre planète, par tous les moyens : le dérèglement climatique nous en dit l'urgence absolue. 

Nous avons également pris le temps de nous laisser imprégner par les découvertes récentes, les courants de pensée actuels qui parlent de souffrance animale (élevages intensifs, actes de cruauté ...), d'interrelation et même de communication entre les arbres, voire de conscience chez les mammifères les plus évolués. L'homme ne peut plus se dire "au-dessus de la nature" au prétexte qu'il s'est baptisé l'animal le plus intelligent ! Les philosophes contemporains nous rappellent que l'homme n'est jamais qu'un élément parmi des millions d'autres dans la nature, et que la relation entre tous les individus, entre toutes les espèces, est respectueuse par essence, elle intègre la différence de l'autre, son altérité (voir par ex. V. Maris, La part sauvage du monde, le Seuil, 2018, et B. Morizot, Manières d'être vivant, Actes Sud, 2020). Des biologistes nous expliquent combien l'agression permanente des humains sur les milieux a totalement perverti la relation homme-vie sauvage (voir par ex. F. Sarano, Le retour de Moby Dick, Actes Sud, 2017). C'est un peu comme si la nature appelait au secours pour rétablir avec nous la relation qui nous a fait ce que nous sommes.

Dans ce contexte, et pour bâtir cet "après" appelé de nos vœux, que faire concrètement ? Il y a de nombreuses pistes à suivre, et plus particulièrement celles qui portent sur la nature : en effet,  l'urgence des problèmes induits par le changement climatique appelle à une urgence d'actions en faveur d'une meilleure protection de la nature au sens large. Aujourd'hui, la nature est comme assaillie par les effets délétères de nos actions : surexploitation des ressources fossiles terrestres et marines, pollution de l'air, de la terre et des eaux par l'industrie, l'agriculture, le transport et toutes nos activités, surexploitation de l'espace par artificialisation croissante des milieux dits "naturels". Toutes ces actions, et leurs conséquences donc, sont une réponse à une demande de besoins jamais satisfaits, sans cesse accrus, qui est une "demande" collective. Mais dans le même temps, d'autres activités agressent aussi la nature pour la seule satisfaction de leurs auteurs : la chasse. Certes, la chasse fait partie intégrante de toute espèce animale, elle a été vitale pour l'homme à son origine car il faut tuer pour vivre, mais aujourd'hui en France, la chasse n'est plus qu'un loisir. Certes, les forestiers l'utilisent pour tenter de réduire les dégâts causés par la surpopulation des cervidés, mais il suffirait de laisser revenir loups et lynx dans les massifs pour obtenir une régulation efficace. Désormais la chasse représente une activité de plus en plus décalée par rapport aux aspirations essentielles des humains. Aujourd'hui, les notions de bien-être animal, de respect du vivant sont devenues prioritaires. Il faut repenser la place que la chasse peut encore trouver dans notre société en France au XXIème siècle.

Déjà en 2004, JP. Raffin (Conseiller auprès du Min. de l'Environnement, 2004) faisait valoir que, si le cadre juridique assure le respect des animaux chassés, "la chasse est un loisir qui induit la mort d'animaux", et cela implique "une réflexion plus vaste" (JP Raffin,). Yannick Jadot, député européen et Président de la Commission Environnement au Parlement Européen, va plus loin encore en affirmant sur France Info (27 août 2020) : provoquer "la mort d'un animal ne peut pas être un loisir".

A mon sens, cette indispensable réflexion sur la chasse devrait porter a minima sur plusieurs points :

  • L’éthique. Le principe de la chasse, admis par certains, ne l'est pas pour tous. Les chasseurs représentent aujourd'hui 1% de la population française, alors que plus de 80 % des français sont hostiles ou peu favorables au principe de la chasse (sondage IPSOS 2018). Quelle place est accordée à ces derniers citoyens dont le pourcentage ne cesse de croître depuis plus de 70 ans ?
  • La biologie. Parmi les 64 espèces d'oiseaux chassées en France (2 fois plus qu'en Europe), 20 sont en mauvais état de conservation, et plusieurs ont un statut d'espèces à protéger ! De nombreux modes de chasse sont considérés comme non compatibles avec les exigences biologiques des espèces : chasse de nuit, chasse pendant la période de reproduction, chasse sous terre .. Ils sont également peu ou pas compatibles avec la Directive Européenne.
  • La sécurité. Les progrès balistiques font qu'une balle dite "perdue" tirée par un chasseur peut tuer un homme à 3-5 km de distance... Or la législation actuelle permet de chasser jusqu'à la limite de votre propriété, d'un espace public, au bord d'une route nationale !
  • Le partage de la nature (milieux et espèces). La chasse, étant une activité exclusive pour des raisons de sécurité, interdit de facto le partage de l'espace avec les autres utilisateurs de nature qui sont de plus en plus nombreux.

Un moyen de mener cette réflexion générale sur la chasse est de faire appel au mouvement citoyen en favorisant le débat public à tous les niveaux géographiques et sociologiques. En effet,  dans ce domaine comme dans tous ceux relatifs à la cause environnementale, le politique est sous la coupe des lobbyistes et des économistes, et le citoyen est le seul, dans une démarche collective, à pouvoir faire avancer les idées et contraindre le politique à les mettre en œuvre. Jusqu'à ce jour, le lobby de la chasse a fait de ce thème, la chasse, un tabou quasi absolu.

Il nous appartient, à nous citoyens et organismes de protection de la nature, de le briser et de permettre cette indispensable réflexion commune. Le parti EELV et les ONG de protection de la nature, avec tous leurs groupes associés, à l'échelle nationale comme à l'échelle locale, peuvent en prendre l'initiative : instaurer des débats publics, dans les petites villes comme dans les métropoles, pour mettre la lumière sur la situation actuelle et favoriser l'émergence d'idées et d'applications nouvelles en faveur d'un partage équitable entre tous les utilisateurs de la nature dans la reconnaissance et le respect de la vie. Cette démarche pourrait utilement déboucher sur une Conférence citoyenne et/ou un referendum national sur la chasse.  L'actualité nous y invite plus que jamais : en juin dernier, 64 députés et sénateurs ont courageusement demandé l'arrêt des chasses dites "traditionnelles" (déterrage des blaireaux, chasse à la glu, chasse aux tendelles); en janvier 2021, l'UICN (Union Internationale pour la Protection de la Nature) tient son Congrès annuel  à Marseille; en 2021, la Chine doit accueillir le Congrès sur la Biodiversité dans le cadre de la COP 15.

C'est le moment de soutenir les rares élus qui osent monter au créneau, le moment  d'inciter les ONG internationales de protection de la nature à aborder ouvertement la question de la chasse en France. C'est toute la nature, homme inclusivement, qui le réclame et qui en sera bénéficiaire.

Alain Tamisier*

*Chercheur CNRS à la retraite

 

 

 

 

 

 

 

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R
Très bonne analyse que je partage... Côté politique, inutile de rêver mais il faut aller voter pour des personnes qui prendront en compte le vivant dans les décisions et les projets au niveau communal et intercommunal. La chasse est pratiquée par les humains depuis la nuit des temps pour se nourrir et c'est légitime comme un rapace attrape une proie ! Ce qui dénature la question, c'est l'argent à tous les niveaux car les chasseurs paient des droits de chasse pour avoir le droit de tuer, les communes ont souvent des élus chasseurs et les forestiers les considèrent comme des "clients" qui rapportent plus que le bois....sans compter les élevages de faisans et autres bestioles ! Non seulement je pense que c'est un devoir de citoyen d'aller voter pour le moins pire mais la participation à la vie publique permettra d'influencer les décideurs si nous sommes nombreux à manifester et à exprimer notre conviction. Par exemple la marche pour la biodiversité à Metz a eu un impact au niveau régional et a booster les manifestants, pour agir via les associations qui se sont regroupées. Nous ne devons pas capituler et je pense à la chanson de Joan Baez : "We shall overcome someday".<br /> https://fr.wikipedia.org/wiki/We_Shall_Overcome
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D
Il est aussi question ici des espèces d'oiseaux très nombreuses chassées en France , même si en danger de disparition même en opposition aux directives européennes.<br /> Alors relevons la perversité des chasseurs de quelques départements qui contestent les autorisations préfectorales de chasse du grand gibier en période de confinement ; tiens me dis-je pourquoi .....et sûre de ne pas y trouver une raison éthique ou compassionnelle, je lis; en fait ils voient une injustice à l'égard des chasseurs au oiseaux d'eau qui eux n'ont pas de dérogation...dans le but inavoué mais clair d'obtenir la dérogation pour ces derniers !<br /> Je pensais connaître la duplicité et la perversité au service du Mal mais là .....chapeau !!!
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Z
Texte très intéressant . Mais ne rêvons pas , le lobby de la chasse fera barrage à tous les référendums et les débats et son pouvoir de nuisance s'étend bien au delà du gouvernement actuel .
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B
Un beau texte...
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D
Une très belle analyse suivie de conseils compétents et argumentés....réfléchir à la place de la chasse dans notre société....moi aussi viscéralement préfèrerais plus de chasse du tout mais on n'y arrivera pas, tout au moins à court terme . Aussi j'applaudis à ces propositions de débats citoyens, de référendum que nous pourrons obtenir si le président suivant (ou présidente) ne reçoit pas le lobby chasse avant l'élection qui à nouveau lui promettra les voix de tous les chasseurs (car ils sont organisés à la Fédération) en échange de faveurs même iniques une fois leur candidat élu ; à nous d'y veiller en suivant la campagne électorale de près. Merci pour ce très bel article empreint de respect pour tout le Vivant et qui propose des solutions .
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A
Merci pour ce beau texte plein de sagesse et de mesure. Je suis tout à fait d’accord avec Mario «en espérant que les nouveaux élus ne trahirons pas leurs promesses à peine élus »...
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A
Oups ci dessus c’est Anne : avec 2 N c’est mieux :) !
L
Beau texte ; je ne pense pas que les élections changeront quelque chose ;les électeurs votent pour un ensemble ; mais l'instauration d'un référendum sur la chasse serait sans doute utile
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F
Je rejoins la conclusion de Alain Tamisier. Néanmoins, je suis bien plus perplexe quant à la mobilisation des humains. Les grandes mobilisations ont toujours une visée individualiste : mon portefeuille, mes intérêts, mes avantages, moi, moi et encore moi. Les politiques ? Ceux au pouvoir dans les différentes strates, sont ceux que nous avons élus. Une fois en place, c'est la recherche du maintien qui prime pour beaucoup. <br /> Le monde d'après ? Certes, beaucoup en ont parlé. Mais une fois le 1er confinement passé, combien se sont rués à nouveau dans cette course effrénée à la consommation en faisant fonctionner le e-commerce au détriment du local et sans regarder l'utilité réelle ou non des achats ? C'est un peu la chanson de Jacques Dutronc "et moi, et moi, et moi". "J'y pense puis j'oublie, c'est la, c'est la vie!". <br /> Et la chasse ? Comme Jean-Louis, je serais plus radicale. Second confinement = dérogations pour les chasseurs. Le loups, le lynx pour réguler ? Les agriculteurs, même le citoyen moyen s'y opposent beaucoup. Les habitudes de travail à changer, la peur, le refus de partage de l'espace, comme il est compliqué de changer. Et si déjà, pour éviter les éventuels ravages, on arrêtait le nourrissage des animaux par les chasseurs ? D'ailleurs, comment peut-on nourrir sa prochaine victime ? Comment peut-on abattre des proies enfermées dans des enclos ? Et effectivement, comment peut-on avoir comme hobby le fait de tuer, de pourchasser jusqu'à épuisement pour achever ? Car la chasse, c'est cela ! <br /> Les sondages ? Oui, bien sûr mais quand il faut passer à l'action, au concret, combien sont encore présents et mobilisés ?<br /> L'Homme a été trop loin. Interrogeons-nous sur les zoonoses ? Nous récoltons ce que nous semons, c'est triste pour les victimes mais qu'avons-nous fait ?<br /> J'ai bien conscience du pessimisme de mon discours. Et, me direz-vous, que fait-on ? Laisse-t-on faire pour autant ? Non, bien sûr, chacun ses responsabilités. Et si le peuple se soulève pour des valeurs plus levées que son petit moi mais pour la Nature, l'avenir de la planète en tant que planète viable pour le vivant, j'en serai. Mais force est de constater, pour faire partie d'associations, que nous sommes plus forts pour mobiliser des paroles que pour nous unir et agir concrètement ! Les paroles d'une chanson de Dalida me viennent encore à l'esprit en ce dimanche : "Paroles, paroles , paroles, rien que des paroles que tu sèmes au vent".<br /> Le soleil est là avec un léger vent, splendeur des couleurs,<br /> Je vous souhaite un bon dimanche
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D
Superbe texte, Merci. A nous de rester clairvoyant lors des prochaines élections ! Personnellement j'ai décidé de ne plus voter, sauf si une personne forte, d'aucun parti politique, se présente aux élections pour agir pour la nature, la biodiversité, le bien-être animal : le respect du vivant et de toute la planète.
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S
Bravo je suis d accord un référendum sur la chasse serait une bonne chose.les chasseurs ne sont pas des protecteurs de la faune. Et il est grand temps de prendre conscience que nous détruisons tout.avec l agriculture intensive.la faune la flore ...etc
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H
Instaurer des débats publics ! Oui mais les chasseurs n'en veulent pas de débat public. Ils savent très bien que leurs arguments (mensongers) ne tiendront pas 10mn face face à des Charollois, Bougrain-dubourg ou Rigaut. Ils préfèrent être face à un journaliste qui en a rien à faire ou pire, qui a été brieffé pour ne pas poser les questions qui fachent.<br /> C'est pour cette raison qu'ils vont faire tout ce qui est en leur pouvoir (qui est très grand) pour ne pas aller jusqu'au RIP et ainsi éviter les débats contradictoires.
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M
Une réflexion rationnelle sur ce que devra être la chasse tôt ou tard de préférence le plus tôt possible. Comme dit J. Louis inutile de compter sur les politiques actuels tous plus ou moins vendus au lobby de la chasse. Mais pensez y aux prochaines élections en espérant que les nouveaux élus ne trahirons pas leurs promesses à peine élus car quand on voit le comportement de certains ex EELV on peut avoir des craintes.
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J
Voilà une réflexion pertinente sur la nature en général et la chasse en particulier : je suis, pour ma part, bien plus radical que l'auteur de cette chronique mais, il est évident que c'est lui qui a raison : mon sentiment personnel se base davantage sur l'affect, le sentiment, le refus de cette suprématie de l’homme sur la nature et ses habitants que les porteurs de fusil s’auto-attribuent… Là, il s’agit d’une vision nettement plus scientifique ! Il n’empêche que nos conclusions se rejoignent globalement : la chasse DOIT être réformée impérativement ! Ce n’est pas le président Macron qui le fera : il est bien trop ‘’cul et chemise’’ avec Schraen et le sinistre et surtout fourbe Thierry Coste, lobbyiste des chasseurs dans la sphère politique qui est entre autres à l’origine de la démission de Nicolas Hulot ! Cet homme-là qu’on entend peu mais qui agit beaucoup, a une capacité de nuisance incroyable ! <br /> Espérons donc que le prochain président sera celui qui agira pour la nature, la biodiversité et non pas, comme actuellement, contre le vivant en général…
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