Ménager le loup et l'agneau, une cohabitation à l'italienne
En Italie, dans le parc national des Abruzzes, le loup n'a jamais disparu. Les éleveurs et bergers composent depuis longtemps avec le grand prédateur. Une cohabitation intrigante pour le maire d'un village de montagne alsacien confronté au retour du loup et qui est allé sur place percer le mystère…
Les loups qui ont commencé à repointer le bout de leur museau dans l'hexagone, dès 1992 par le parc du Mercantour, sont issus des meutes des Abruzzes, le plus ancien parc national italien, sur la chaîne montagneuse des Apennins, entre Rome et l'Adriatique. Dans les Abruzzes, les loups dits des Apennins n'ont jamais disparu, contrairement à la France où les tirs et les empoisonnements encouragés par les primes ont abouti à son extermination dans les années 30. Son retour dans l'hexagone suscite inquiétude et colère des éleveurs dont les troupeaux peuvent être attaqués, comme dans le massif du Champ du Feu, dans les Vosges bas-rhinoises où plusieurs prédations de moutons, chèvres et daims d'élevage ont eu lieu depuis le printemps 2019.
A Ranrupt, l'un des villages de la vallée de la Bruche concerné par le retour du loup, un groupe de travail consacré au loup a été mis sur pied à l'initiative du maire Thierry Sieffer. Il réunit élus, éleveurs et naturalistes. ‘’Il ne s'agit pas d'être pour ou contre le loup", explique le maire, "il est de retour et il faut tenter de trouver la meilleure cohabitation possible". C'est dans cet esprit que l'élu, accompagné d'un ingénieur agronome, Jean-Sébastien Laumond, et d'un forestier, Frédéric Preisemann, membre du réseau loup-lynx, a mis le cap sur le Parc National des Abruzzes. Un voyage d'études soutenu par le fonds européen "Leader".
Un loup immortalisé par un piège photo sur les hauteurs de Grendelbruch dans le Bas-Rhin. Photo : OFB-SD 67/Réseau-Loup-Lynx
Le petit groupe en route vers une bergerie des Abruzzes où une prédation a eu lieu. Photo : Olivier Vogel/Radio France
Dans les Abruzzes, le loup n'est pas un sujet. Tout comme l'ours il fait partie du quotidien et les éleveurs composent depuis longtemps avec le grand prédateur. Dans ce parc de 500 kilomètres carrés, on dénombre une cinquantaine de loups, ils sont répartis en 7 meutes. Le petit groupe de la vallée de la Bruche a enfilé ses chaussures de randonnée pour rejoindre la bergerie d'Isidore, à 1 650 mètres d'altitude. Le berger, visage buriné par le soleil, cigarettes aux lèvres, vit du printemps à l'automne dans une petite maison de pierre au confort rudimentaire, une batterie de voiture pour l'électricité, un jerrican pour l'eau, ses chiens berger des Abruzzes et ses 150 brebis laitières. La veille, l'une des bêtes a été dévorée par des loups alors que le troupeau regagnait la bergerie pour y passer la nuit.
C'est la sixième attaque de l'été pour Isidore. "Une vie sans les loups serait plus facile", dit-il, "mais je ne vois pas pourquoi le loup ne pourrait pas rester dans le massif". Comme tous ses collègues de la région, Isidore met en fin de journée son troupeau à l'abri dans un enclos électrifié et surveillé par des chiens, des bergers des Abruzzes. Isidore en a 6. La brebis attaquée la veille par le loup n'était pas rentrée avec le troupeau. Pour cette prédation, Isidore touchera une indemnisation de 190 euros versée par le Parc, elle correspond au prix de la bête et de son produit, fromage ou viande. Le Parc enregistre ainsi une moyenne de 400 prédations de loups chaque année.
Gregorio Rotolo est l'un des plus importants éleveurs des Abruzzes. Sa ferme-auberge labellisée "agro-tourisme" implantée à Valle Scannese propose fromages et charcuterie. "J'ai soixante ans mais ça fait soixante-dix ans que je suis avec les moutons", rigole-t-il. Pour vivre avec la présence du loup, lui aussi insiste sur l'importance des enclos électrifiés de protection nocturne et des chiens qui alertent les éleveurs quand le loup approche. Et quand le petit groupe alsacien demande si ça ne serait pas plus facile sans le loup, Gregorio leur répond : "Les loups sont ici et il faut faire avec. Qui sommes-nous pour tuer tous les loups ? Si tu as un voisin qui met la télé très fort, tu vas tuer le voisin ou casser la télé, ou faire avec ? Avec le loup c'est un peu pareil".
Davantage de problèmes avec les touristes qu'avec les loups
Alessandro Tamburo élève les des moutons et des vaches pour la viande, il explique à la petite délégation alsacienne que ce ne sont pas les loups et les ours qui sont un problème pour lui, mais le tourisme que génère la présence des grands prédateurs. L'éleveur cite l'exemple d'un grand hôtel implanté pas très loin de sa ferme et qui attirait les ours et les cerfs avec du miel ou du sel, pour que les clients puissent aisément les photographier et les plantigrades ont causé d'importants dommages sur ses clôtures, tout comme les randonneurs qui traversent ses pâtures en effrayant ses taureaux. A Pescasseroli, le siège du Parc National des Abruzzes, Roberta Latini, la biologiste de la structure confirme que le développement du tourisme peut causer des problèmes. Elle raconte par exemple que le parc a dû intervenir auprès d'éleveurs qui attiraient les loups avec des carcasses d'animaux pour que les photographes puissent les immortaliser. La biologiste explique que ces loups ont commencé à changer de comportement, en s'attaquant par exemple à des chiens.
Le tourisme reste toutefois la ressource principale des 12 communes du Parc, comme Civitella Alfedena, un village de 260 habitants perché à 1 123 mètres d'altitude, avec ses vieilles maisons de pierre, son musée du loup et son parc dans lequel on peut venir observer plusieurs de ces grands prédateurs en semi-liberté. Cet été 2020, 40 000 touristes ont visité le village dont les habitants sont cinq fois moins nombreux que les capacités d'hébergement pour les touristes.
Le loup, un super régulateur
Mais le loup, en tant que grand prédateur au sommet de la chaîne alimentaire, joue surtout un rôle essentiel dans l'équilibre de la faune. Dans les Abruzzes, les autorités du parc ont même réintroduit des cerfs dans les années 70 pour que le loup chasse plutôt dans les forêts que dans les pâturages. Or les forêts vosgiennes sont justement concernées par une surdensité de sangliers et d'ongulés sauvages, lesquels causent d'important dommages sur les jeunes pousses notamment, ce qui empêche la forêt de se régénérer. Et le loup peut justement contribuer à la régulation de ces animaux.
"Je suis allée dans le bois, je voulais rencontrer le loup pour lui dire de faire attention aux humains". Photo : Olivier Vogel/Radio France
La voie du milieu
Pour Thierry Sieffer, le maire de Ranrupt, ce voyage dans les Abruzzes a permis de démontrer qu'une cohabitation est possible entre l'homme et le loup, l'élu appelle ça la voie du milieu. Reste à convaincre les éleveurs de la vallée de la Bruche…
Aurélie Kieffer et Olivier Vogel/France Culture (09.10.2020)
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