Les choix des végans mettent en lumière la dissonance cognitive du reste de la population

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Les militants végans sont souvent la cible de quolibets et d’injures, mais il est pourtant bien difficile de défendre le sort fait à des milliards d’animaux qui éprouvent eux aussi de la douleur et de la crainte, explique dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

‘’Lorsque je vois des animaux dans un pré, je ne peux m’empêcher de penser à leur devenir…’’. Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

‘’Lorsque je vois des animaux dans un pré, je ne peux m’empêcher de penser à leur devenir…’’. Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

Rarement communauté aussi numériquement minuscule aura autant fait parler d’elle. Les végans ne forment qu’une fraction de pour cent de la population française, mais leur activisme parvient à peser sur l’opinion et, d’une certaine manière, à la faire évoluer sur la question animale. Depuis moins d’une décennie, celle-ci s’est inscrite dans la conversation publique, même si une large part du monde politique y demeure aimablement sourd. Jeudi 8 octobre, la proposition de loi « relative à des premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrance chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers », présentée par Cédric Villani, Delphine Batho et une vingtaine de députés, n’a eu droit qu’à deux heures d’examen à l’Assemblée nationale. Le texte n’a finalement pu être voté.

Le militantisme vegan –qui repose principalement sur la médiatisation d’images insoutenables, dérobées dans les abattoirs ou les élevages intensifs– fait bouger et sensibilise l’opinion mais, de manière paradoxale, les végans eux-mêmes demeurent une catégorie méprisée, voire vilipendée, par la majorité. Le fait de refuser, outre la consommation de toute chair animale, toute forme d’exploitation des bêtes et des produits issus de cette exploitation (laine et cuir, laitages, œufs, etc.), n’est pas interprété comme la pointe avancée et nécessairement radicale d’un combat juste, mais comme une mode grotesque, une extravagance contre laquelle il faudrait lutter. Les végans sont considérés, au mieux comme des doux dingues, au pire comme des fous furieux. Et dans l’espace public comme en société, ils sont au mieux l’objet d’une curiosité légèrement malveillante, au pire la cible de quolibets et d’injures.

Ces gens sont-ils à ce point fous ? Un ouvrage collectif paru ces jours-ci sous la direction de Renan Larue (Université de Californie à Santa Barbara), ‘’La Pensée végane, 50 regards sur la condition animale’’ (PUF, 656 p., 29,50 euros) entreprend d’explorer la question végane sous une grande diversité de perspectives et de disciplines avec, en filigrane, une tentative de répondre aux questions critiques qui se posent et ont historiquement été posées –depuis le VIe siècle avant notre ère au moins !– à ceux qui prônent le végétarisme ou la fin de l’exploitation des animaux.

Des taux de mortalité inférieurs

« On a toujours mangé de la viande », dira-t-on. Certes. L’exploitation et la consommation des animaux sont en effet des institutions très anciennes –de même que la guerre, l’esclavage ou le patriarcat–, mais est-ce une raison justifiant à elle seule leur perpétuation ? Bien sûr, « il est naturel de manger de la viande » : les lions mangent bien les antilopes. Certes, mais quelle étrange idée de légitimer notre comportement en se comparant à des animaux ! « On risque des carences en se privant de produits animaux », ajoutent certains. En effet, mais pourquoi l’écrasante majorité des études épidémiologiques indiquent des taux de mortalité inférieurs pour les végétariens et les végans, par rapport aux mangeurs de viande ?

Ce que montrent collectivement les cinquante entrées de ce volumineux abécédaire c’est que, à la vérité, il est bien dicile dargumenter contre un vegan. Le sort fait à des milliards d’animaux qui, comme Homo sapiens, éprouvent de la douleur, de la crainte, et cherchent avec autant d’âpreté que nous à échapper à la souffrance et à la mort, est dicilement défendable. Pourquoi donner à un chat des droits que l’on refuse à un cochon ? Et surtout, quelle raison pourrait-il bien y avoir à attribuer des droits en fonction de la capacité à raisonner plutôt qu’à celle de ressentir, demande Renan Larue. Qui pour répondre ?

Erosion de la biodiversité

La colère que déclenchent les végans est sans doute le fait de la dissonance cognitive que leurs choix mettent impitoyablement en lumière chez le reste de la  population. Nous autres, « carniste », n’avons sans doute pas le courage moral de croire ce que nous savons. L’écrasante majorité des lecteurs de cette chronique -ainsi que son auteur– consomment ou ont consommé de la viande à peu près chaque jour sans trop y penser, parce que c’est savoureux et qu’on a toujours fait ainsi. Mais les mêmes ne peuvent soutenir plus de quelques secondes des images qui sortent de nos abattoirs et qui mettent crûment en évidence ce que l’industrialisation de la mort peut produire. Sur les animaux mais aussi sur les hommes affectés à la tâche de les tuer à la chaîne.

Nous pleurons la destruction de l’Amazonie, tout en remplissant nos assiettes de la chair d’animaux nourris avec le soja qui remplace là-bas la forêt pluviale. Nous nous alarmons de l’érosion de la biodiversité et du réchauffement, mais nous perpétuons une pratique qui remplace les espaces naturels et les puits de carbone par des millions d’hectares de grandes cultures dévolues à nourrir des animaux qui seront abattus sans avoir jamais vu le jour. Et sans qu’il n’y ait d’autres motifs à cela que le plaisir et l’habitude.

Se mettre à la place d’un vegan, c’est probablement se sentir très seul dans un monde de fous. Olga Tokarczuk, Prix Nobel de littérature en 2018, le donne à comprendre dans l’un de ses derniers romans (Sur les ossements des morts, trad. Margot Carlier, Libretto, 2014). « Confectionner des chaussures, des canapés, des sacs avec un ventre, s’envelopper d’un pelage pour se réchauffer, manger un corps, le découper en morceaux puis le faire frire dans l’huile…, explose la narratrice au cœur du récit. Est-ce possible que ces monstruosités aient vraiment lieu ? Cette tuerie gigantesque organisée, cruelle et impassible, mécanique, sans aucun remords, sans la moindre réflexion (…) Quel est ce monde où la tuerie et la souffrance sont érigées en norme ? Avons-nous perdu la tête ? »

 

Stéphane Foucart/Le Monde (10.10.2020)

 

 

 

 

 

 

 

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B
Merci pour cet texte...<br /> Idem lorsque je vois des animaux dans les prés, je ne ne peux m'empêcher de penser qu'ils auront une triste fin...
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A
Nos contradictions comme le dit Jacky, effectivement... pour ma part je ne peux manger de la viande sans penser à l’animal qui était vivant et ne demandait qu’à vivre mais ... si personne ne mange plus de viande alors adieu veau vache cochon brebis agneau poules et ... dans les prés. Il faudrait donc peut être une petite consommation de viande d’animaux nés élevés et abattus dignement : là est ma grande contradiction
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Z
Tellement vrai ! Espérons que des graines sont semées mais cela suffira-t-il? En tout cas , je suis bien plus heureuse avec moi-même d'avoir choisi cette voie.
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J
Cet article nous amène droit à nos contradictions. Elles sont bien nombreuses. Je vais y réfléchir.
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D
L'évolution passe par une nourriture saine et non une nourriture carnée. Une vie heureuse passe par l'acte conscient d'amour et de compassion. "Nous devons bannir tous les produits animaux de notre assiette. Nous devons aimer tous les animaux, les fleurs, les arbres, les rochers, les pierres. Tout ce qui est sur ce plan est un acte d'amour. En aimant ainsi on aimera nos semblables aussi.Et la Vie nous bénira, car la Vie n'est que de la Conscience, la Conscience est la Vie, La Vie est consciente ! Extrait d'un livre de Loup Blanc / Plaidoyer des animaux" La grande loi de la vie : "TU NE TUERAS POINT" Enlever la Vie est le plus grand crime contre la Divinité qui siège en chacun de nous. Personnellement je crois que tant l'homme n'aura pas compris cela, régneront les guerres, les maladies.......!
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J
Les végétariens -et a fortiori, les végétaliens- font peur non pas en raison de leur nombre qui reste relativement faible en comparaison des adeptes de la malbouffe mais parce que leur manière de s’alimenter dérange un certain conformisme ! Cet article du Monde le décrit du reste fort bien… J’aimerai croire que notre monde peut véritablement changer mais n’est-ce pas utopique face aux puissants groupes de pression et à une opinion publique pour le moins rétive à certains changements qui seraient pourtant fort souhaitables ?
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D
si encore les humains respectaient leur propre espèce...
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