Le lièvre variable se raconte…
Expert du camouflage et aventurier hors-pair, le lièvre variable a pourtant une espérance de vie très courte -3 ans en moyenne-. La faute à qui ? Aux belettes, hermines, rapaces, et... chasseurs…
Le Lièvre variable (Lepus timidus) est aussi appelé « Monsieur Blanchot » ou « Blanchon »… Photo : La Salamandre
« Comme vous, je blanchis avec le temps. Différence notoire, ce n’est pas l’âge qui m’amène à m’habiller d’immaculé, mais la saison. L’hiver s’annonce et ma robe grise de l’été fait place à un poil plus long, plus riche en duvet et surtout mimétique avec le décor enneigé qui s’annonce. Autant l’avouer, je suis un opportuniste.
C’est peut-être cette qualité, souvent décriée, qui m’a permis de surmonter les épreuves du temps. Mes ancêtres côtoyaient les ours des cavernes, les tigres à dent de sabre ou les mammouths et me voilà toujours présent. Ma longévité s’explique peut-être par des facultés que beaucoup m’envient. D’abord, à peine venu au monde, je grandis sans attendre. Les yeux grands ouverts et le poil prometteur dès la naissance, je suis capable de donner la vie lors de ma première année. Je possède aussi un estomac à toute épreuve. Il me permet de digérer des écorces d’arbres, tandis que je me purge en avalant des graviers ou de la terre. Même mes crottes ne me rebutent pas. Vous appelez cela ‘’cæcotrophie’’, une technique qui consiste à manger les excréments riches en sucre, en protéines, en vitamines mais aussi en eau. J’aurais tort de ne pas profiter d’un tel menu !
Dans leur excellent livre « Le lièvre invisible » Olivier Born et Michel Bouche (édition La Salamandre) racontent –photos à l’appui– que c’est grâce à nos crottes que vous avez évalué notre population. Seuls témoignages avec nos empreintes dans la neige rapidement effacées, nos excréments nous trahissent. C’est ainsi que vous avez constaté notre bougeotte obsessionnelle. Mon domaine hivernal, par exemple, peut couvrir jusqu’à 100 hectares. Quant à notre effectif, il atteint 1 à 4 individus au km2, ce qui est finalement assez peu lorsqu’on constate que 200 à 300 de nos cousins occupent le même espace en Écosse ou en Scandinavie.
Rompu aux contraintes de la nature, je n’en reste pas moins fragile. Il me faut déjouer la dextérité de la belette, l’aisance de l’aigle ou l’aptitude de l’hermine tandis que bien d’autres prédateurs se réjouissent de mettre fin à mes courses folles. Vous figurez au tableau. En me désignant « blanchon » ou « blanchot », vous autorisez mon tir en ce moment, alors que de l’aveu même de la fédération des chasseurs des Alpes, je reste « très mal connu dans le département comme au niveau national ». J’apprécie quand cette même fédération ajoute : « la prudence suggère de préserver des zones de quiétude ». Alors, cessez le feu !
En attendant, nous les lièvres variables, souhaitons tracer la montagne durant 6 à 7 ans, c’est notre longévité estimée. En réalité, notre espérance de vie ne dépasse guère les 2 ans. Au fond, nous ne sommes que des lièvres fantômes… ».
Allain Bougrain-Dubourg (27.10.2020)
Illustration : Coco/Charlie Hebdo
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