Ils produisent du lait « qui ne tue pas la chèvre »
Moins connus que les œufs « qui ne tuent pas la poule » de la start-up ‘’’Poulehouse’’, au moins trois éleveurs laitiers français ont arrêté d’abattre leurs chèvres. Un choix peu rentable mais porteur.
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L’expérience de trois éleveurs français qui ont décidé de ne plus abattre leurs chèvres pourrait servir de prototype pour une nouvelle segmentation de la filière laitière, face à un marché végétarien grandissant. Photo : Pascal Leclerc/Archives Ouest-France
Jean-Yves Ruelloux dans le Morbihan, Alexandra Dupont en Touraine, et Aline De Bast en Côte d’Or. Ces trois éleveurs ne se connaissent pas, mais ils ont décidé, sans se concerter, de prendre une décision très originale : produire du lait sans tuer leurs chèvres, sauf en cas de maladie.
Alexandra Dupont ne l’avait pas prévu au moment de son installation en 2010 : « Au premier automne suivant mon installation, il a fallu décider quelles chevrettes et chevreaux allaient partir à l’abattoir. J’ai essayé trois fois de suite. Une semaine de nuits blanches, puis une autre, et j’ai fini par me rendre malade. »
De son côté, Aline De Bast, végétarienne, savait dès son installation qu’elle ne s’y résoudrait pas : « On n’y arrive pas, donc on préfère trouver d’autres solutions. » Plus âgé, Jean-Yves Ruelloux a pris cette décision en cours de carrière, ne voulant plus faire subir à ses animaux le stress du transport et des abattoirs.
Enjeu : la taille du troupeau
Voilà pour les motivations. Depuis son installation en 2011, Alexandra Dupont et Aline De Bast n’ont donc jamais envoyé d’animaux à l’abattoir, toutes les chevrettes et les chevreaux restent sur l’élevage. Le risque : agrandir considérablement la taille du troupeau.
Pour limiter le phénomène, Alexandra Dupont et Jean-Yves Ruelloux ont décidé que leurs chèvres n’iraient, au possible, voir le bouc qu’une fois dans leur vie. Une décision, là encore, très originale, les engageant vers un terrain inconnu. Combien de temps leurs chèvres continueraient de produire sans nouvelle mise bas ?
Bonne surprise : les chèvres continuent de produire du lait pendant de nombreuses années ! Sans tarissement, la durée de lactation moyenne est de quatre à cinq ans chez Alexandra Dupont, moyennant une production faible, d’environ deux litres par jour, contre quatre litres pour une chèvre en début de carrière.
De son côté, Jean-Yves Ruelloux affiche de meilleurs résultats. « J’ai une chèvre cette année, en huitième année de lactation, qui est remontée à 4,8 litres par jour. Je pense qu’elle serait bien placée dans beaucoup de troupeaux » expliquait-il dans l’émission ‘’Les pieds sur terre’’ de France Culture, début 2019.
Et combien de temps vivent ces chèvres ? « Les plus productives ont huit et neuf ans, et certaines ont fait jusqu’à douze années de lactation » rapporte-t-il. « Il y en a une qui a seize ans cette année. »
Dans la ferme des Croq’Epines d’Alexandra Dupont, leur longévité est d’une dizaine d’années. Si bien que le troupeau d’Alexandra est retombé sur l’équilibre suivant : 100 chèvres « productives » (chevrettes, boucs, chèvres en lactation…), contre 100 animaux « à la retraite » (chèvres taries et boucs castrés).
Difficile à valoriser
Le point faible d’Alexandra, c’est la commercialisation. Si PouleHouse vend ses œufs à un euro, soit deux fois le prix du bio, grâce au marché des centres villes de métropoles, Alexandra peine à valoriser ses pratiques : « Je ne suis pas dans une région où je peux me permettre de tels prix, il y a trop de concurrence. »
Pour compenser, elle a développé une association en sus de la ferme. Cela lui permet de créer des dispositifs que ne supporte pas légalement l’exploitation agricole : travail bénévole et dons (parrainage de chèvres). De même, Aline de Bast confie ses animaux à une association de protection des animaux.
Pour l’heure, l’expérience d’Alexandra Dupont fait plutôt office de preuve de concept, selon l’expression en vogue dans le monde des start-up. « Économiquement, c’est très dur » et « j’ai fait quasiment toutes les erreurs », concède-t-elle. Mais le concept paraît porteur : « De plus en plus de personnes m’appellent, des vegans, mais pas fanatiques, qui me disent que j’élève de telle manière qu’ils veulent manger mon fromage. »
Mathieu Robert/Ouest-France (08.10.2020)
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