Les herbivores sont davantage menacés d’extinction que les carnivores et omnivores
Une étude révèle que les mammifères, oiseaux et reptiles dont le régime alimentaire repose essentiellement sur les végétaux présentent un risque accru d’extinction...
La cigogne blanche a été réintroduite en Angleterre après plus de huit cents ans d’absence. Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)
En matière de vulnérabilité, herbivores, carnivores et omnivores ne semblent pas logés à la même enseigne. Une étude publiée mercredi 5 août dans la revue Science Advances révèle que les espèces herbivores seraient les plus à risque d’extinction, qu’il s’agisse de mammifères, d’oiseaux ou de reptiles. Les raisons de cet effet différentiel sont encore peu comprises, mais certains facteurs comme la présence d’espèces invasives ou la dégradation des habitats pourraient y contribuer.
« La relation fortement médiatisée et parfois tendue que nous entretenons avec certains prédateurs, comme le lion ou le loup, a conduit à la perception infondée que nous perdons davantage de carnivores que d’espèces appartenant à d’autres groupes trophiques [animaux partageant le même régime alimentaire], commente Trisha Atwood, coauteure de l’étude et chercheuse à l’université d’Etat de l’Utah. C’est donc avec surprise que nous avons constaté que les herbivores regroupaient la plus forte proportion d’espèces menacées. »
Les reptiles particulièrement menacés
L’analyse des chercheurs repose sur les données de 22 166 espèces vivantes – dont 4 858 de mammifères, 10 910 d’oiseaux et 6 398 de reptiles –, répertoriées sur la liste rouge établie en 2019 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui permet de suivre l’état de la biodiversité dans le monde. Ce travail n’a pas porté sur les espèces de poissons, car seules 59 % d’entre elles ont été évaluées par l’UICN (contre 100 % pour les oiseaux, 91 % pour les mammifères et 70 % pour les reptiles), ce qui est « insuffisant », selon Trisha Atwood, pour permettre une analyse à large échelle de leurs risques d’extinction.
Après avoir classé les espèces en deux catégories (d’un côté, celles en danger critique, en danger et vulnérables ; de l’autre, celles quasi menacées ou faisant l’objet d’une préoccupation mineure), l’équipe a calculé que 18 % de l’ensemble des espèces étaient à risque d’extinction.
Parmi les herbivores, définis par un régime alimentaire composé d’au moins 90 % de plantes, fruits, graines et/ou nectar, la part d’espèces menacées était d’environ 25 % − un taux significativement plus élevé que celui observé chez les carnivores et les omnivores –, et atteignait même les 52 % pour les reptiles herbivores.
Cette vulnérabilité accrue a été le plus souvent retrouvée aussi bien dans les différentes zones géographiques étudiées qu’au sein des divers habitats, qu’ils soient aquatiques ou terrestres. Dans les écosystèmes forestiers, par exemple, un tiers des mammifères herbivores, un cinquième des oiseaux herbivores et les trois quarts des reptiles herbivores étaient menacés ; c’est plus que pour les carnivores et les omnivores. Dans les milieux aquatiques, les reptiles, notamment, étaient sujets à un risque particulièrement élevé d’extinction, qui concernait dans certains cas la totalité des espèces herbivores présentes.
Une vulnérabilité difficile à comprendre
Néanmoins, avertit Trisha Atwood, « si notre étude a mis en évidence une vulnérabilité accrue des herbivores, il n’en reste pas moins que des milliers d’espèces de prédateurs sont menacées. Nous avons aussi constaté que les charognards et les animaux piscivores, comme les oiseaux marins, présentaient un risque plus élevé d’extinction ».
Difficile à ce stade de comprendre pourquoi les herbivores semblent plus touchés que les autres. Leur masse corporelle, qui est dans l’ensemble plus élevée, pourrait y contribuer, mais cela n’explique pas tout, estime la chercheuse.
Si l’équipe creuse donc toujours le sujet, ses résultats suggèrent déjà que certains facteurs d’origine anthropique pourraient affecter ces animaux de façon préférentielle. On sait qu’aux Etats-Unis, les fourmis de feu, une espèce invasive originaire d’Amérique du Sud, consomment les œufs et les juvéniles de beaucoup de reptiles, explique Trisha Atwood à titre d’illustration. Autre exemple : alors que 10 % des espèces de colibris sont menacées, des études récentes ont suggéré que la présence de pesticides dans le nectar que ces oiseaux consomment était un facteur majeur de leur déclin.
Zones « mises sous cloche »
Pour Christophe Bonenfant, chercheur du CNRS au sein du Laboratoire de biométrie et biologie évolutive de Lyon, cette étude a « le mérite de comparer les risques d’extinction de manière générale dans les grands taxons ». Il regrette toutefois que les chercheurs n’aient pas creusé le rôle de la démographie et notamment du temps de génération, connu pour être corrélé au risque d’extinction.
Afin d’améliorer la conservation des espèces, dont les herbivores, souvent exploités, il suggère de « faire un petit moins partout, plutôt que beaucoup dans des endroits très restreints en taille », déplorant qu’à l’heure actuelle certaines zones soient « mises sous cloche », alors qu’autour « trop peu d’actions de gestion et de conservation sont engagées ».
Frédéric Jiguet, écologue au Muséum national d’histoire naturelle, estime pour sa part qu’il faut désormais « réfléchir en termes d’écosystèmes et d’habitats » et ne plus avoir une approche centrée sur les espèces emblématiques, comme l’ours ou le vautour. Le besoin est celui d’une « réflexion globale sur la nature ordinaire et les habitats communs pour que chacun retrouve sa place, les herbivores comme les autres », conclut-il.
Sylvie Burnouf/Le Monde (05.08.2020)
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