Lettre des animaux aux humains déconfinés : le veau
Sangliers en goguette dans les rues, renards peinards faisant les poubelles avant les éboueurs, oiseaux qui chantent sans s'époumoner pour couvrir la pollution sonore des villes... Les bêtes ont adoré le confinement des humains. Qui mieux qu'Allain Bougrain-Dubourg, journaliste animalier, militant écologiste et grand protecteur de la faune sauvage pour se mettre dans leurs têtes ? Aujourd'hui c'est au tour du veau qui se fait trimbaler durant des heures pour satisfaire les estomacs…
« En 2018, 1 305 549 veaux nourrissons ont été transportés entre pays européens. Parmi les veaux qui transitent au sein de l’Union européenne, la majorité part d’Allemagne, de France, de Pologne ou d’Irlande pour être engraissés notamment aux Pays-Bas, en Italie ou en Espagne… » (L214). Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)
Né pour souffrir, tel est le destin que vous m’imposez. À peine familiarisé avec les mamelles de ma mère, vous m’avez arraché à notre complicité. J’avais à peine 15 jours lorsque vous nous avez séparés. Ça meuglait dans les bâtiments d’élevage mais nos appels déchirants n’ont pas ébranlé votre détermination.
J’ai vu le jour en Irlande, qui compte presqu’autant de vaches que d’habitants, et comme mes semblables je vais subir le calvaire d’un voyage odieux. Objectif : atteindre les Pays-Bas, soit quelques 2 000 km parcourus en plus de 50 heures de transport. Après 18 heures de traversée de la Manche, notre première escale est à Couville, près de Cherbourg. Ce centre de transit peut héberger 2 700 veaux non sevrés, comme moi, ou 300 bovins. Ici on ne traine pas. Rappelé à l’ordre à coups de bâton ou de pied, on doit reprendre la route.
Une enquête conduite par L214 et Eyes on Animals témoigne de votre violence. Bien naïvement, nous espérions pourtant une trêve. Durant le temps de confinement, le gouvernement Français n’avait il pas assuré que les déplacements devraient être réduits au minimum ? Virus ou pas, les bétaillères ont tournées à plein pour rejoindre les élevages intensifs. Outre l’Irlande, nous devons traverser la France et la Belgique avant d’atteindre les Pays-Bas. Beaucoup d’entre nous ne résistent pas à cet exode accablant. Notre jeune âge nous rend fragiles. Nous n’avons pas encore le cuir tanné. Du reste, l’aurons nous un jour et peut-on le souhaiter ? Stressés, usés de fatigue, sous alimentés et pas davantage abreuvés, nous encaissons les kilomètres en espérant que nos faibles forces parviennent malgré tout à nous préserver. Les plus affaiblis d’entre nous sont euthanasiés en chemin. Quant aux survivants, ils vont rejoindre ce pays qui se flatte d’avoir la plus grande densité de veaux au monde. J’arrive chez les pionniers de l’engraissement intensif, les rois de l’importation avec plus de 700 000 veaux venus également d’Allemagne et de Belgique. Mon avenir est tout tracé. Après avoir été « engraissé », je serai abattu sur place puis ma pauvre carcasse repartira vers l’Italie, la France ou l’Allemagne.
Sensibles à notre détresse, 38 ONG européennes de défense des animaux et 42 eurodéputés ont adressé une lettre à la Commission Européenne pour rappeler les risques sanitaires à transporter des animaux vivants durant une pandémie. Témoins de notre adversité, ils ont souligné également que l’on ne pouvait pas garantir l’absence de souffrance durant ces temps de crise. Par conséquent, ils conjurent d’interdire immédiatement le transport d’animaux de plus de 8 heures, d’interdire immédiatement le transport des animaux par voies maritimes, et enfin d’interdire immédiatement les exportations d’animaux vers des pays tiers…
De plus, pour mobilier l’opinion publique, l’association L214 a lancé une pétition qui invite chaque citoyen à s’engager : de grâce, soutenez cette initiative. Vous avez le pouvoir de mettre un terme à ces exodes insupportables…
Allain Bougrain-Dubourg/Charlie Hebdo
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