Illégal, le barrage de Caussade présente aussi des défauts de sécurité
Construite sans concertation par la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, cette retenue d’eau est destinée aux irrigants, qui la défendent vigoureusement…

Travaux de construction de la retenue d’eau de Caussade (Lot-et-Garonne), en février 2019. Photo : Mehdi Fedouach/AFP
En deux ans, elle n’a servi qu’à aiguiser les tensions. Pour cause de printemps pluvieux, la retenue de Caussade n’a pas eu à délivrer d’eau jusqu’à présent. Aussi a-t-elle eu le temps de se remplir : d’une contenance de 920 000 m3, elle est pleine à ras bord. Mais l’ouvrage, « qui n’a pas été réalisé conformément aux règles de l’art », comme l’indique un courrier du 12 mai signé de quatre ministres, ne serait-il pas dangereux en plus d’autres tares originelles ?
La digue de 12,5 mètres qui barre la vallée dans la commune de Pinel-Hauterive (Lot-et-Garonne) a été érigée illégalement par la chambre d’agriculture du département pour desservir 28 exploitations, sans concertation avec les autres usagers de l’eau. Ses promoteurs ont en outre refusé avec constance de se plier aux multiples injonctions de la justice et des services de l’Etat jusqu’à il y a peu. Depuis ce printemps, la direction générale de la prévention des risques a obtenu qu’une visite de contrôle soit organisée deux fois par semaine, afin d’anticiper une éventuelle évacuation des habitants en aval en cas de gros orage.
Car la retenue de Caussade est scrutée de près par les pouvoirs publics. En juin 2019, la préfète du Lot-et-Garonne, Béatrice Lagarde, a tenté une concertation a posteriori avec la chambre d’agriculture. Elle lui demande de faire réaliser une expertise sur la solidité de l’ouvrage par un cabinet agréé. Antea Group est retenu en septembre. Mais lorsque, à l’hiver suivant, le niveau d’eau atteint 5 mètres après de fortes pluies – alors que les vannes étaient censées rester ouvertes –, la préfète s’inquiète de ne pas avoir reçu les conclusions de cette société. Elle obtient finalement une synthèse peu rassurante du rapport d’Antea Group rendu plusieurs mois plus tôt.
La fédération France Nature Environnement dénonce une « récompense de la délinquance environnementale »
« Oukases »
Ce document évoque des coefficients de sécurité nettement plus faibles que prévus et insuffisants, l’utilisation de matériaux pas homogènes, le besoin de sondages à réaliser dans la retenue − vide −, et conseille de ne pas la mettre en eau. L’évacuateur de crue, surtout, pose un vrai problème : trop pentu et trop rapproché du pied de la digue, il pourrait la fragiliser. Bref, il y a risque de rupture. La préfète ordonne donc la vidange. Les tracteurs bloquent immédiatement le site.
« Les oukases des Parisiens, ça n’a pas vexé que nous-mêmes, mais aussi tous les élus du Lot-et-Garonne », rapporte Serge Bousquet-Cassagne, le président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne. De fait, les élus locaux se démènent pour soutenir les agriculteurs, écrivent au président de la République et finissent par être reçus par le gouvernement le 10 mars. Il n’est alors plus question de vider l’ouvrage autoritairement, une inspection est envoyée sur le terrain pour faire le point sur ces questions de sécurité et… préparer une voie de sortie.
Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la transition écologique, accepte que les irrigants utilisent l’eau de Caussade cet été. Cependant, la retenue devra être vidée à l’automne, puis un dossier de régularisation pourra éventuellement être déposé à l’issue de nouvelles inspections. La fédération France Nature Environnement (FNE) dénonce cette « récompense de la délinquance environnementale ». Du côté de Mme Wargon, on assure que la retenue pourra éventuellement être déplacée, ou réduite.
En attendant, ce sont des ingénieurs-conseils du cabinet IES qui se chargent de la surveillance rapprochée du barrage. Fissures, suintements, circulation interne de l’eau inexpliquée, fuites importantes peuvent laisser craindre une instabilité de l’ouvrage, observaient-ils en avril. Certains travaux ont été faits depuis. Une autre étude, réalisée à la demande de l’Etat, a modélisé l’onde de submersion en cas de rupture de la retenue : une dizaine d’habitations (et non 70 comme annoncé dans un premier temps) pourraient être sévèrement et rapidement inondées en cas de crue millénale. « De quoi noyer trois taupes et deux vers de terre en cas de crue “décamillénale” », traduit M. Bousquet-Cassagne, qui promet une inauguration et une bénédiction du « lac de Caussade » le 7 juillet.
Audience pénale
D’ici là, il a rendez-vous vendredi 3 juillet au tribunal judiciaire d’Agen, pour une audience pénale. FNE, l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières − Truite, ombre, saumon et Sepanso Aquitaine se sont constitués partie civile. Les trois prévenus − la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, son président et son vice-président, Patrick Franken, qui a dirigé la coordination rurale dans le département − comparaissent pour avoir, en 2018-2019, fait exécuter des travaux « susceptibles de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource, d’accroître le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique » et d’avoir pollué la rivière en y déversant terre et sédiments. Ils risquent deux ans d’emprisonnement et jusqu’à 100 000 euros d’amende.
« J’y vais droit dans mes bottes, fier du devoir accompli, assure M. Bousquet- Cassagne. L’Etat se mélange les pinceaux avec ces chefs d’accusation de troubler l’eau. On n’est pas dans une fable de La Fontaine ! » « Quand les deux ministres, Travert à l’agriculture et de Rugy à l’environnement, ont ordonné qu’on nous retire l’autorisation de construire la retenue de Caussade obtenue trois mois plus tôt, nous sommes allés à Bordeaux trouver le préfet coordonnateur de bassin, Didier Lallement, pour qu’il nous explique, expose le président de la chambre d’agriculture. Il nous a répondu que c’était politique, qu’il ne pouvait rien faire, alors on a décidé de la construire quand même. Il fallait bien que l’Etat y trouve quelque chose à redire. C’est pour ça qu’ils prétendent qu’elle n’est pas solide. »
Martine Valo/Le Monde (03.07.2020)
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