L’éradication illusoire de la peste endémique
Quelle pandémie ne laisse pas une empreinte à long terme ? Une empreinte en premier lieu historique : il n’est guère besoin de fouiller longtemps dans les archives, la littérature ou l’art pictural pour y trouver trace de la grippe espagnole, de la peste noire, ou de celle de Justinien.

Désinfection de tentes dans un centre de tri et de traitement de personnes atteintes de la peste géré par Médecins sans frontières, à Toamasina (Madagascar), le 20 octobre 2017. RIJASO/MSF/AFP
Mais ces fléaux de grande ampleur ne continuent pas uniquement de vivre dans nos mythes, sous nos plumes ou nos pinceaux. En particulier pour les maladies infectieuses d’origine animale (les zoonoses), l’existence de réservoirs animaux entraîne, une fois la crise passée, leur persistance à l’état endémique. Les foyers locaux d’infection sont à l’origine de cas sporadiques et, lorsque les conditions écologiques, sanitaires et climatiques propices sont réunies, on constate la reprise de flambées épidémiques meurtrières, comme ce fut le cas en 2017 pour la peste à Madagascar.
Selon l’OMS, la peste sévit encore dans plusieurs régions d’Afrique, d’Amérique et d’Asie, trace durable de la dernière pandémie, qui prit sa source dans la province chinoise du Yunnan vers le milieu du XIXe siècle, avant d’essaimer par voie portuaire dans le monde entier. Un article de synthèse paru dans la revue PNAS en mai 2019 dressait le bilan de l’expérience apportée par un siècle de lutte contre la peste dans l’ancienne Union soviétique. A partir des années 1920, différentes mesures furent mises en œuvre en vue d’éradiquer la maladie du territoire, avec des résultats mitigés malgré des moyens hors du commun.
La bactérie responsable de la peste, Yersinia pestis, est transmise par des insectes vecteurs, les puces, qui parasitent les rongeurs sauvages, en particulier les espèces sociales. Leur rencontre avec les animaux domestiques ou lʼhomme conduit à des infections accidentelles mais potentiellement fatales. La contagion directe entre humains est, comparativement, peu fréquente. Partant de ce constat, l’URSS entreprit de « liquider » à la source aussi bien les populations de rongeurs sauvages que celles de puces.
Changement d’approche
A partir des années 1920, les grandes campagnes d’intensification agricole dans les steppes d’Asie centrale s’accompagnèrent de l’emploi massif d’insecticides organochlorés, comme le DDT, toxiques à long terme pour la population et la faune, et dont l’efficacité déclinait au fur et à mesure de la sélection d’insectes plus résistants. En parallèle, gerbilles et gerboises furent décimées, ce qui mit en évidence quelques effets contre-intuitifs de l’opération ; par exemple, si l’on réduit drastiquement la population de rongeurs, les puces survivantes tendent à rechercher de nouveaux hôtes à infester, et l’on constate ainsi transitoirement une recrudescence des contaminations d’animaux domestiques ou d’humains.
Bien qu’un responsable soviétique ait assuré en 1959 l’Organisation mondiale de la santé que lʼURSS n’avait pas connu de cas humains de peste depuis 1928, pour le seul Kazakhstan les registres attestaient de 400 cas sur la période. Dans les années 1970, l’abandon de ces efforts illusoires d’éradication complète en faveur d’une stratégie de contrôle permit de réallouer les moyens à des objectifs plus abordables et efficaces — seulement 33 cas au Kazakhstan entre 1974 et 2003.

Distribution des foyers naturels de peste dans le monde, d’après l’Organisation mondiale de la santé (situation au 15 mars 2016). OMS
Ce contrôle implique une excellente connaissance écologique, géographique et sociale du terrain : la surveillance précise et la modélisation des populations de vecteurs et d’hôtes sauvages afin de détecter les flambées au plus tôt, leur contrôle ciblé en préservant l’équilibre des écosystèmes, l’investissement dans un réseau d’assainissement et de santé réactif et correctement équipé, ainsi que la prévention, par l’information, l’éducation de la population et la formation du personnel soignant. Un changement d’approche qui aide aujourd’hui à vivre avec la peste… malgré la peste.
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