Jair Bolsonaro, pêcheur impénitent
Grand amateur de pêche à la ligne, le président brésilien est prêt à se débarrasser de la législation environnementale. Une ordonnance autorisant la pêche dans toutes les zones protégées du pays a d’ores et déjà été émise…

Jair Bolsonaro, le 15 janvier, à Brasilia. Photo : Fotoarena/Sipa USA
C’est devenu un rituel : une fois par semaine, lors d’un live retransmis sur les réseaux sociaux, Jair Bolsonaro s’adresse à ses concitoyens. Assis à une simple table, entouré de ministres ou de conseillers, l’homme fort de Brasilia revient sur l’actualité et tente de convaincre des bienfaits de sa politique. Pourtant, surprise : depuis le début de son mandat, le sujet le plus évoqué n’est ni la violence ni la corruption, encore moins le chômage, mais… la pêche à la ligne.
Selon le journal Estadão, rien qu’entre mars et juillet 2019, sur un peu plus de 9 heures de live, le président aurait consacré 45 minutes et 33 secondes de temps d’antenne au sujet, devançant Internet (41 minutes et 20 secondes) et les armes à feu (36 minutes et 55 secondes). Sur les 50 thèmes les plus évoqués, les privatisations n’arrivent qu’en 28e position et l’emploi, à la 44e place. Le « sous-thème » de la pêche au tilapia, espèce de carpe exotique, aura occupé à lui seul 15 minutes et 47 secondes, loin devant la santé publique (7 minutes et 33 secondes), par exemple.
Épaulé par son chouchou
Car Bolsonaro est un mordu d’hameçon. Sportif expérimenté depuis sa jeunesse, habitué à tâter le poisson dans la baie de Rio, il aime à se mettre en scène, canne à la main : comme en décembre 2019, lorsque, en vacances à Bahia sur une base militaire, le « pêcheur président », un maillot du club Tubarão FC (« requin FC ») sur les épaules, a sorti des eaux un énorme tambaqui de 18 kilos.
Simplicité et virilité : Bolsonaro cultive son image d’homme du peuple. Mais le hobby présidentiel a des conséquences politiques. Sous la pression du pouvoir, l’institut gouvernemental Chico-Mendes (ICMBio), chargé de la protection des réserves nationales, a émis, le 5 février, une ordonnance autorisant la pêche dans toutes les unités de conservation du pays, jusque dans l’Amazonie et le Pantanal.
La mesure a épouvanté les défenseurs de l’environnement, déjà échaudés par l’action du chef de l’Etat. Elle n’a pourtant rien de surprenant : depuis le début de son mandat, Jair Bolsonaro n’a cessé de clamer sa volonté de révoquer les lois réglementant le secteur de la pêche et de revoir à la baisse les amendes jugées « injustes » qui pèsent sur les amateurs. « On ne peut pas vivre dans une telle terreur au Brésil ! », a lancé le président lors d’un live, en croisade contre les « chiites environnementalistes » et autres « talibans verts ».
Bolsonaro est épaulé en cela par Jorge Seif Júnior, secrétaire à la pêche du gouvernement. Âgé de 42 ans, l’homme est connu comme le « chouchou » du président, qui le considère comme son fils et l’a affublé du surnom flatteur de « 06 », le chef de l’Etat ayant déjà cinq enfants, à qui il a attribué un chiffre. Lui-même est issu d’une riche famille d’entrepreneurs, propriétaires d’une firme de pêche industrielle au thon et à la sardine dans l’Etat de Santa Catarina, et soutien de la première heure du président.
« Cancún brésilien »
La cible des deux partenaires de pêche se trouve dans la baie d’Angra dos Reis, dans l’Etat de Rio, à une centaine de kilomètres de la Ville merveilleuse. Là, au milieu des eaux cristallines, se trouve la station écologique de Tamoios, exceptionnelle réserve de biodiversité abritant, sur 9 300 hectares parmi 29 îles, plus de 200 espèces de poissons rares et plantes marines.
Dans cette zone fragile, la présence humaine est interdite et la pêche, totalement prohibée. Qu’importe : pour Jair Bolsonaro, la réserve « ne préserve absolument rien ». Le président souhaite au contraire développer cette « région merveilleuse » et la transformer en un mégaresort touristique, afin de faire sortir des eaux tropicales un véritable « Cancún brésilien », qui donne déjà des sueurs froides aux ONG et aux défenseurs de la biodiversité.
Jair Bolsonaro connaît bien les lieux : en 2012, celui qui était alors député avait été pris en flagrant délit de pêche illégale en pleine station de Tamoios. Repéré par l’Ibama, la police environnementale, il avait écopé d’une amende salée de 10 000 reais (2 000 euros environ) mais a toujours clamé son innocence, affirmant avoir été « massacré » par la justice pour un acte qu’il n’aurait « pas commis », malgré l’évidence. Est-ce un hasard ? En décembre 2018, quelques jours avant sa prise de fonctions, la direction de l’Ibama, à Rio de Janeiro, a tout simplement « annulé » l’amende (jamais réglée) de celui qui allait devenir président. Quelques mois plus tard, le fonctionnaire de l’institution ayant sanctionné Jair Bolsonaro a été démis de ses fonctions.
Bruno Meyerfeld/Le Monde (09.03.2020)
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