Les ailes, système de climatisation du papillon
Les scientifiques ont toujours aimé les papillons, et tout particulièrement leurs ailes. Comme chacun d’entre nous, ils se sont émerveillés devant la beauté de leurs couleurs. Mais comme ils ne sont pas comme chacun d’entre nous, Charles Darwin, Alfred Wallace, Henry Bates ou encore Fritz Müller en ont tiré certaines des plus belles théories de l’histoire naturelle : la sélection sexuelle, la communication d’avertissement vis-à-vis des prédateurs, la science du camouflage, ou l’art du mimétisme.

Les parties vivantes des ailes (veines des ailes et organes androconiaux) ont une émissivité thermique élevée (image infrarouge). Photo : Nanfang Yu & Cheng-Chia Tsai
Des générations de biologistes, de généticiens, de physiciens des matériaux, et même de climatologues ont suivi leurs pas, souvent animés par l’éblouissement.
Professeure d’écologie à l’université de Californie-Irvine, Adriana Briscoe se souvient de ses premières randonnées dans les Rocheuses, il y a trente ans : « Je me demandais souvent comment ces fragiles créatures pouvaient réchauffer leurs ailes alors qu’il me fallait un pull et un blouson pour supporter le froid. » La réponse, deux études, rendues publiques à quelques jours d’intervalle, viennent de l’apporter. Publiées dans les Comptes rendus de l’Académie nationale des sciences américaine (PNAS) et dans Nature Communications, elles expliquent la présence des papillons sous presque toutes les latitudes, de l’équateur aux régions arctiques.

Courant aux Etats-Unis, le papillon Amiral (Limenitis arthemis) est adapté aux climats tempérés… Photo : Parker Backstrom
Moustiquaire microscopique
L’équipe d’Adriana Briscoe et de son collègue Anirudh Krishna, du département d’ingénierie mécanique d’Irvine, s’est penchée sur la structure des ailes de quatre espèces.
Au microscope à balayage électronique, elle a observé les écailles qui en recouvrent la surface et découvert que celles-ci variaient en taille et en forme en fonction de la température de la zone habitée par les insectes. Elle a constaté qu’une sorte de moustiquaire microscopique recouvrait ces écailles, là encore avec un maillage plus ou moins serré. Avec un seul et même objectif : contrôler la circulation des infrarouges.
Les images des caméras thermiques l’ont montré : c’est bien ce rayonnement qui réchauffe les papillons lorsque leur corps l’absorbe et qui, surtout, permet de doser la quantité de chaleur qu’il convient d’évacuer : peu par temps froid, beaucoup lorsque le thermomètre monte. Une histoire de géométrie donc, et non de couleur. « Je pensais qu’une teinte bleue ou noire affecterait la quantité d’énergie thermique émise, avoue Adriana Briscoe. L’expérience a monté qu’il n’en était rien. »
Les ailes se révèlent être « non pas des membranes relativement inertes mais des structures vivantes et dynamiques »
Cette adaptation, le vivant l’a sculptée au long des générations. Mais chaque animal doit également réagir au fil des heures, des jours, des saisons. Un processus physiologique qu’une équipe mixte des universités Harvard et Columbia a mis en évidence.
Son étude établit l’ensemble des éléments qui permettent d’éviter la surchauffe comme le refroidissement. Sous les fameuses écailles, la biologiste Naomi Pierce et ses collaborateurs ont découvert un réseau de capteurs mécaniques et thermiques. Un ensemble de cellules vivantes nourries par des réseaux respiratoires et circulatoires qui font des ailes « non pas des membranes relativement inertes mais des structures vivantes et dynamiques », souligne la chercheuse de Harvard.

Un Porte-queue du caryer (Satyrium caryaevorus), photographié à l’aide d’une caméra thermique et un appareil photo traditionnel. Photo : Nanfang Yu & Cheng-Chia Tsai
Les biologistes ont ainsi mis au jour, dans les ailes, un autre « cœur », qui, au rythme de quelques dizaines de battements par minute, soutient la circulation de l’hémolymphe, le sang de l’insecte, vers des organes dits « androconiaux », réserves à phéromones.
En soumettant ensuite, en laboratoire, les ailes à différentes conditions naturelles (lumière, température, vent…), ils ont montré comment les parties vivantes, dont le « cœur », conservaient toujours une température plus clémente. Une protection que l’animal renforce en écartant ses ailes des sources de grandes chaleurs, comme l’a montré une dernière série d’expériences, conduites sur quelque cinquante espèces.
Autant de découvertes que les deux équipes rêvent d’utiliser pour inventer de nouveaux matériaux. Ou encore – beaucoup plus ardu – pour protéger les papillons contre leur plus récent ennemi : le réchauffement climatique.
Nathaniel Herzberg/Le Monde (02.02.2020)
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