L’effondrement de la vie sous nos latitudes reste largement sous le radar médiatique

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Selon une étude publiée fin octobre, la biomasse d’arthropodes a chuté de 67 % au cours de la dernière décennie, relève Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

Des gendarmes (Pyrrhocoris apterus) dans la réserve naturelle de Prioksko-Terrasny, le 12 juillet à Serpukhov, Russie. Photo : Yuri Kadobnov/AFP

 

La probabilité est forte que l’information la plus importante de la semaine écoulée vous ait échappé. On cherche en vain sa trace dans la conversation publique : elle en est complètement absente. Et pour cause, en France, à peu près aucun média, ni audiovisuel, ni imprimé, ni électronique, n’en a rendu compte (à l’exception du Monde). Elle a pourtant été publiée dans l’édition du 31 octobre de la revue Nature, la plus prestigieuse des revues scientifiques, mais l’attention médiatique était alors, semble-t-il, ailleurs.

La revue britannique publiait ce jour-là l’étude la plus ambitieuse et la plus précise conduite à ce jour sur le déclin des insectes (et des arthropodes en général) ; elle montre, au-delà du doute raisonnable, que le crash en cours des populations d’invertébrés terrestres est plus rapide encore que les estimations publiées jusqu’à présent. Ses résultats sont à vous glacer le sang.

Les auteurs – une vingtaine de chercheurs appartenant à une dizaine d’institutions scientifiques d’Allemagne, de Suisse et d’Autriche – ont analysé l’évolution des captures d’arthropodes sur 300 sites (en prairie ou en forêt) de trois régions allemandes, entre 2008 et 2017.

Le travail qu’ils ont accompli est considérable. Les chercheurs ont analysé un million d’individus capturés au cours de cette décennie, et ont recensé les quelque 2 700 espèces auxquelles ils appartiennent. Ils ont ensuite estimé l’évolution de ces populations grâce à plusieurs indicateurs : le nombre d’individus capturés, leur biomasse et la diversité des espèces représentées. Quelle que soit la métrique considérée, le désastre est à peu près total, les chiffres sidérants.

Tout désigne les pratiques agricoles

Au cours de la dernière décennie, sur l’échantillon de 150 prairies analysées par Wolfgang Weisser, Sebastian Seibold (Université technique de Munich, Allemagne) et leurs collègues, la biomasse d’arthropodes a chuté de 67%. Le nombre d’individus capturés s’est effondré de 78% et leur diversité a chuté d’un tiers. En moyenne, dans les milieux forestiers, la biomasse de ces bestioles volantes et rampantes a perdu 41% et la diversité des individus capturés a décliné de 36%.

« Il y a vingt ans, je n’avais pas cru qu’un tel effondrement fût possible. Je pensais que la plus grande part du déclin des insectes avait eu lieu dans les années 1950-1960, avec la grande période de transformation de l’agriculture européenne. » Professeur Wolfgang Weisser

Ces travaux confortent et complètent une étude d’octobre 2017, de plus petite ampleur, restreinte à une soixantaine de zones protégées d’Allemagne. Celle-ci indiquait une réduction de plus de 75% de la biomasse d’insectes volants entre 1989 et 2016. (…)

En France, de rares données non encore publiées, indiquent que l’effondrement des arthropodes est d’ampleur similaire à ce qui se produit en Allemagne. Et, en France comme ailleurs, toute la faune insectivore s’effondre à une vitesse vertigineuse. Les oiseaux des champs ont perdu près d’un tiers de leur effectif en quinze ans, les chauves-souris disparaissent plus vite encore, avec un déclin de 30% en une décennie, et les amphibiens ne se portent pas beaucoup mieux.

Le requiem pour les insectes sera celui de pans entiers de l’arbre de la vie. Rien ne semble en mesure d’infléchir le cours de ce désastre et celui-ci se produit à une cadence telle qu’une stérilisation à peu près complète des campagnes d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord n’est sans doute pas une perspective si farfelue, à plus ou moins brève échéance.

« Agriculture de précision »

Pendant que la vie disparaît de nos paysages, les semi-vérités et les éléments de langage distillés par les communicants de l’agro-industrie font diversion, ils sculptent et orientent la conversation publique avec une efficacité qui force l’admiration. Agriculture intensive ? Il faut plutôt parler d’ « agriculture de précision », expression inlassablement ressassée, destinée à bâtir de la confusion en abolissant le sens des mots – la « précision » invoquée étant plutôt celle du tapis de bombe.

La critique du modèle dominant ? Il s’agit en réalité d’« agribashing », mot-valise inventé par les propagandistes de l’agro-industrie qui, après quelques mois d’incubation sur les réseaux sociaux, a fini dans la bouche du ministre de l’agriculture lui-même. Le but recherché est là encore la confusion : parler d’« agribashing », c’est assimiler la stigmatisation injuste des agriculteurs à la critique du système qui les a paupérisés, menace leur santé et celles de leurs voisins et qui compromet leur avenir en détruisant la biodiversité.

La raréfaction des grands mammifères emblématiques d’Afrique ou d’Asie nous passionne, mais l’effondrement, sous nos latitudes, des formes de vie les plus communes reste, ainsi, largement sous le radar médiatique et politique. Comme pour le climat, il faudra sans doute attendre que la situation soit devenue critique pour que disparaissent le déni et l’indifférence. Et, de la même façon que la lutte contre le réchauffement est aujourd’hui partiellement perdue, il sera alors trop tard.

 

Stéphane Foucart/Le Monde (09.11.2019)

 

 

 

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D
Sans être un éminent "scientifique" chacun d'entre nous a pu constater qu'à une époque pas si lointaine, dans les stations-services, on vous demandait "je vous fais le pare-brise ?" Puis, en même temps que les pompistes, les insectes ont disparu... A une époque, pas question de rouler à moto sans lunettes ou visière relevée sans avaler des quintaux de bestioles en tout genre ! De même, pas deux jours sans gratter calandre et pare-brise constellés de victimes de la route et pas une semaine sans refaire le plein du réservoir de liquide lave-glaces… L’époque en question correspond exactement aux décennies évoquées par les "scientifiques"…<br /> Merci donc à ces "scientifiques" de confirmer ce que, de manière empirique, nous avions constaté, à savoir la disparition de 67 % des insectes qui s'accompagne malheureusement aussi de celle de la plupart des oiseaux dont ils constituaient le menu (il n'en vient pratiquement plus dans mon jardin).<br /> Seuls les moustiques tigre et les frelons asiatiques ont, par chez nous (47), considérablement prospéré...
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K
Que désastre ! Cette info glaçante, je n'en avais pas eu connaissance.<br /> Merci Jean-Louis de nous en faire part.<br /> Ma journée avec la LPO de la Creuse, sur le site de l'étang des Landes a été très enrichissante... On avait un jeune passionné de 17 ans dans notre groupe, d'une maturité époustouflante. Un puits de savoir sur les oiseaux. Nous avons eu la chance en fin de matinée de voir passer une petite troupe de grues retardataires, filer vers le sud, portées par un vent du nord glacial. Quelques unes s'étaient détachées un peu, semblant vouloir descendre pour faire une pause... Mais elles ont vite rejoint les autres et repris de l'altitude On a parlé aussi du lac de Der... Je vais préparer un article sur mon blog... <br /> Bonne soirée.
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K
Merci Jean-louis pour ta réponse...<br /> Ma journée d'hier est racontée ce jour sur mon blog avec un clin d’œil vers ta plaine aux grues...
J
Merci pour les nouvelles Kimcat, c'est sympa ! Belle expérience que cette journée entourée de passionnés : voilà qui fait du bien ! La rencontre de ce jeune fait effectivement plaisir et nous prouve -si besoin était- qu'il y a de bien belles personnes autour de nous : il suffit d'aller au bon endroit, au bon moment... et, ça, ce n'est pas toujours évident ! Fort heureusement, de temps à autres, le "petit miracle" se produit et, là, c'est juste du bonheur ! Au plaisir d'autres échanges...
Z
Aveuglement et profit vont de pair d'un côté, indifférence et déni de l'autre!
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D
ah si les "gendarmes" pouvaient verbaliser les fauteurs de troubles dans la nature
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F
« Il faudra sans doute attendre que la situation soit devenue critique pour que disparaissent le déni et l’indifférence », une phrase étonnante dans ce contexte, juste avant le couperet final. Mais on ne lui en veut pas, il essaie tout comme nous d'y croire encore un peu. Pourtant la situation est critique depuis longtemps, comme il vient de nous le montrer concernant les insectes, etc. et le déni et l'indifférence ne disparaîtront sans doute jamais. Quelle tristesse !
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D
dans certains domaines le point de non retour est atteint
J
L’effondrement de la vie, un sujet sur lequel nous reviendrons encore très souvent par la force des choses ! Cet article est éloquent et souligne à juste titre le déni de notre société face à ce qui, pourtant, constitue indéniablement, un problème majeur ! Au même titre qu’on "ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif", c’est bien connu : il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre…
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