Le leurre de la méthanisation
Régulièrement présenté comme méthode alternative et naturelle de production de méthane utilisable -autrement dit de biogaz- la méthanisation est loin d’être la panacée d’un point de vue environnemental…
Si le principe de la méthanisation permet de recycler utilement de grandes masses de déjections animales, des boues d’épuration, des déchets ménagers ou encore des déchets biologiques, de plus en plus d’exploitations agricoles se tournent vers cette méthode pour accroître leurs revenus… Et c’est là que le système, initialement vertueux, se transforme en véritable « usine à gaz », au propre comme au figuré !
Le principe de la méthanisation
Pour faire simple, la méthanisation est un procédé de décomposition de matières putrescibles par des bactéries naturellement présentes dans les déjections animales. Ce processus de décomposition est appelé « fermentation anaérobie »… Ce procédé permet de produire une énergie renouvelable –le biogaz- qui peut être transformé en chaleur, en électricité ou encore en carburant pour des véhicules. Assez complexe, le principe de la méthanisation est issu d’un phénomène tout ce qu’il y a de plus naturel : c’est en effet ce qui se produit depuis des millions d’années dans les marais où se décomposent les matières végétales ou animales. Les bactéries responsables de cette décomposition constitueraient du reste les premiers organismes vivants apparus sur Terre…
La matière digérée après méthanisation –le digestat- est, en grande partie recyclable sous forme d’engrais facilement assimilable par les végétaux. En bref, c’est une excellente affaire pour le secteur de l’agriculture qui, grâce à la méthanisation, pourrait ainsi non seulement recycler les déjections animales, bon nombre de déchets agricoles divers, des résidus céréaliers, des céréales intermédiaires mais, par ailleurs, faire de substantielles économies d’intrants chimiques… Tout cela est, au final, très alléchant et, pour le coup, de plus en plus nombreux sont ceux qui se lancent dans cette pratique subventionnée dans le fol et oh combien légitime espoir de garantir leurs revenus !
Un succès qui fait tache d’huile
Dotée de nombreux atouts, la méthanisation a sérieusement le vent en poupe et nombreuses sont les nouvelles unités qui poussent comme des champignons… soulevant au passage d’abondantes interrogations voire, parfois, localement, de virulentes oppositions ! Et c’est principalement autour de ce fameux digestat que se cristallisent les questionnements : est-il vraiment aussi inoffensif qu’on veut bien nous le faire croire ? « L’engrais » épandu dans les champs est-il réellement sans conséquences sur la santé humaine, les sols, l’eau, l’air…? Autant de questions qu’il n’est pas vain de poser ! (1)
Autre sujet d’inquiétude : avec la méthanisation, on cultive de plus en plus de ces céréales dites « intermédiaires », récoltées avant leur maturité et qui, grâce à leur teneur élevée en sucre et en carbone en font un excellent ingrédient pour la méthanisation ! Résultat : on plante et on récolte désormais d’immenses parcelles de maïs qui est ensuite ensilé pour approvisionner les « monstres » qu’il faut alimenter en permanence (2). Bref, une fois de plus, on ne cultive pas pour assurer la nourriture des humains, pas même celle des animaux d’élevage mais, de plus en plus, pour produire de l’énergie ce qui est tout de même un non-sens alors que les terres arables se font de plus en plus rares !
Selon Pierre Aurousseau, agronome à la retraite et membre du Collectif scientifique national pour une méthanisation raisonnée (CSNM) : « Avec le CSNM, nous avons fait le calcul à partir des projections de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Si les objectifs gouvernementaux sont atteints, l’équivalent de trois départements seront consacrés à 100 % aux cultures intermédiaires (avoine, orge, etc.) pour alimenter les méthaniseurs. Et lorsque nous n’aurons plus assez de place pour les élevages, nous importerons des effluents à l’étranger. C’est ce qu’a fait l’Allemagne en achetant des effluents en Pologne. On marche sur la tête ! » (3). En somme, au lieu de créer des unités de méthanisation pour recycler des déchets existants on va produire (ou importer) des déchets voire créer de nouveaux élevages gigantesques (de poulets par exemple…) dans le seul but d’alimenter les gigantesques digesteurs qui, partout, fleurissent d’autant plus que la production de méthane semble plus rémunératrice que l’élevage lui-même… L’exemple de la « Ferme-usine des Milles vaches » est, en ce sens, symptomatique des dérives possibles grâce principalement à la méthanisation et aux importantes aides perçues pour leur installation !
« Avec une méthanisation rentable, il sera possible de tirer les prix de vente des porcs et du lait vers le bas. Ce qui va accélérer la disparition des fermes les plus fragiles et accroître la concentration des autres. » Pierre Aurousseau
Et que penser des agro-carburants ?
Si la méthanisation est susceptible de produire du biogaz, ne rêvons pas pour autant puisque cette énergie ainsi obtenue ne sera pas davantage « propre » que ne le sont les carburants actuels ! C’est donc, là encore, un leurre qui occulte les vrais problèmes à savoir notamment l’indispensable décroissance des besoins ! La réduction des véhicules routiers, le fait également de complètement repenser l’usage des voitures individuelles seraient des préalables essentiels pour lutter efficacement –pour autant que cela soit encore possible…- contre les effets du changement climatique qui, lui, n’est pas un mirage mais bel et bien une réalité qui, chaque jour, se fait plus prégnante !
L’utilisation par l’agriculture de plus en plus d’espace naturel pour cultiver des plantes -comme le soja, le colza…- qui seraient destinées à la production d’agro-carburants ou à la méthanisation, ne ferait qu’accroître un peu plus encore le déséquilibre déjà considérable : la préservation de la biodiversité devrait, en revanche, être une priorité universelle… Or, cela semble être loin d’être le cas malgré le fait que tous les voyants soient au rouge ! Sous couvert de "Transition Énergétique", on fonce actuellement tête baissée vers des structures largement surdimensionnées alors que, déjà, la Nature n’en peut plus…
JLS
- Lire à ce sujet : « Les digestats de la méthanisation : un ‘fertilisant écologique’ empoisonné ? » Consoglobe (2.02.2019)
- Un gros méthaniseur de 610 kW ingurgite une bonne trentaine de tonnes de matières par jour… Certains, bien davantage encore !
- Source : « La méthanisation risque d’accélérer la concentration des fermes » Reporterre (25 janvier 2019)
Article publié dans le n° d’octobre 2019 de la revue "Vivre en Harmonie"
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