CETA et farines animales : comment le gouvernement s’est trompé

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Contrairement à ce qu’affirment les pouvoirs publics, un trou dans la législation autorise les éleveurs canadiens à nourrir leurs bœufs avec des farines animales.

Bovins en stabulation… Photo : JLS

Programmée au creux de l’été, la ratification parlementaire de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) s’annonçait comme une formalité pour la majorité. C’était sans compter sur la mobilisation d’un front aussi hétéroclite qu’inédit, agrégeant députés de l’opposition de gauche comme de droite, syndicats agricoles et ONG. Début juillet, à quelques jours du vote, le débat se cristallise sur les farines animales, bannies en Europe après qu’elles eurent provoqué la crise de la « vache folle ».

D’un côté, les détracteurs du CETA relèvent le risque que des bœufs canadiens nourris avec des farines animales arrivent dans l’assiette des consommateurs européens. De l’autre, le gouvernement et la majorité démentent catégoriquement. Les deux camps s’écharpent par voie de presse et sur les bancs de l’Assemblée nationale, en s’accusant mutuellement de propager des « fake news ». Le débat est suffisamment technique pour en perdre son latin.

En épluchant les réglementations vétérinaires canadiennes et européennes avec l’aide d’experts, une conclusion finit par se dessiner : les pouvoirs publics se sont trompés en jurant que l’interdiction des farines animales était absolue. Un trou dans la législation autorise en fait les éleveurs canadiens à nourrir leurs bœufs avec des farines produites à partir de ce qu’il reste de leurs congénères une fois découpés à l’abattoir – le sang, les poils, le gras – et à les envoyer sur le sol européen sans que le consommateur en soit informé.

Comment le doute a commencé à s’installer

Le 15 juillet, à la veille du vote au Palais-Bourbon – finalement repoussé au 23 juillet –, le cabinet du ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, tente d’éteindre l’incendie en conviant une vingtaine de journalistes pour un « brief informel » matinal autour d’un juge de paix nommé Loïc Evain, chef des services vétérinaires français. Ce pilier de la direction générale de l’alimentation est présenté comme le haut fonctionnaire qui maîtrise le mieux ces questions sanitaires.

Devant les journalistes, il se veut rassurant : « Non, il n’est pas possible que des ruminants arrivent dans l’UE après avoir été nourris par des farines de ruminants au Canada. » En aparté, à la fin de son intervention, le doute commence pourtant à s’installer chez Loïc Evain lorsqu’il est confronté aux références précises des textes réglementaires. Admettant pour la première fois, entre les lignes, que le gouvernement a pu se tromper, l’expert du ministère promet d’approfondir ses recherches. Contacté à nouveau par Le Monde lundi 22 juillet, il n’a pas souhaité donner suite.

Entre-temps, les autorités canadiennes ont pourtant reconnu le 19 juillet auprès d’Agra Presse que, « malgré une interdiction de principe de l’alimentation des ruminants à base de farines issues de ruminants, la législation canadienne autorise l’utilisation de certaines protéines, comme les farines de sang et la gélatine ». Or, comme nous l’écrivions à l’issue du « brief » de Loïc Evain, aucune règle européenne ne permet de refouler à la frontière les bœufs canadiens nourris avec ces « protéines ». Aussi étonnant que cela puisse paraître, toutes les normes sanitaires applicables sur le sol européen ne valent pas automatiquement pour les produits importés. Les règles applicables à l’importation sont généralement définies à part, avec des « clauses miroirs », qui peuvent parfois être moins exigeantes, pour ne pas contrevenir aux grands principes de l’Organisation mondiale du commerce.

Cannibalisme intra-espèce

Quelques heures plus tard, le député (La République en marche) Jacques Maire, chargé par la majorité de préparer l’examen du CETA, est contraint de rectifier in extremis son rapport parlementaire, en admettant son erreur. En séance, il dit avoir été « victime » d’une « grande confusion des termes extrêmement technocratiques ». La majorité tente alors de minimiser l’importance du couac, en insistant sur le fait que ces farines ne présentent aucun danger pour la santé. En écartant la moelle épinière et en chauffant les restes bovins à très haute température, les fabricants éliminent en effet tout risque de transmission des maladies comme l’encéphalopathie spongiforme bovine (la maladie de la « vache folle »).

Il n’empêche que cette alimentation n’est pas interdite par hasard en Europe : vingt ans après une épidémie que les farines animales avaient largement alimentée, l’UE préfère toujours les proscrire pour éviter les risques de contamination croisée, rassurer les consommateurs et éviter le cannibalisme intra-espèce des bovins. Les laisser pénétrer par la fenêtre canadienne n’est donc pas si anodin.

Si personne n’est à l’abri d’une erreur, c’est l’attitude du gouvernement français qui interroge dans cette « affaire des farines ». Il avait en effet été alerté sur ce problème dès septembre 2017 par la commission indépendante d’évaluation du CETA, puis interpellé pendant des mois par des ONG comme la Fondation pour la nature et l’homme ou l’Institut Veblen pour clarifier la législation applicable, sans jamais fournir de réponse satisfaisante. Sur des questions aussi techniques, le ministère de l’agriculture dispose pourtant d’un quasi-monopole sur l’information, compliquant toute contre-expertise citoyenne.

Il aura fallu attendre l’avant-veille du vote de ratification à l’Assemblée nationale pour que le gouvernement admette enfin le problème, sans en tirer de conséquences particulières. Sur le site du gouvernement, une page qualifie toujours de « faux » le fait que le CETA favorisera l’importation de bovins nourris aux farines animales.

 

Le Monde/Maxime Vaudano (22.07.2019)

 

 

 

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C
j'avais lu un article là dessus, il n'y a pas longtemps. c'est affolant. bon fin de journée
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J
Non ! Comment il nous a encore trompé !
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J
C’est un avis tout personnel mais je ne crois pas que le gouvernement se soit trompé, les textes ont été volontairement alambiqués bien en amont et en fait pour tromper tout le monde.
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J
J'abonde dans ton sens JP : à ce niveau, ça m'étonnerait qu'il s'agisse d'une simple erreur... Depuis le début de cette affaire, on nous mène allègrement en barque !
B
Et malgré tout ça, la ratification a quand même été validée par 266 voix contre 213 et 74 abstentions. <br /> Nous avons les politiques qu'on mérite??? ici, vous verrez comment a voté votre député, c'est toujours intéressant de savoir à qui on confie son avenir...<br /> https://www.francetvinfo.fr/economie/commerce/ceta/votre-depute-a-t-il-vote-pour-ou-contre-le-ceta-decouvrez-le-dans-notre-moteur-de-recherche_3549159.html
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J
Absolument : merci pour ce lien !
Z
"On admet l'erreur sans en tirer de conséquences particulières" C'est absolument consternant ! <br /> Suis bien contente d'être végétalienne, au moins je n'aurai pas à me demander si mon assiette contient ou non de ces importations!
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K
C'est effarant !!! Consternant...
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D
https://www.mesopinions.com/sondage/politique/ceta-ecologie-pensez-reaction-emmanuel-macron/11543?source=speedo<br /> Je me suis trompée de lien, voici celui qui permet éventuellement de voter et commenter
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D
Lien du sondage, au cas où ça intéresserait: <br /> https://www.mesopinions.com/sondage/politique/ceta-ecologie-pensez-reaction-emmanuel-macron/11543?commentaires-list=true
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D
C'est affolant, bien sûr que toutes les dérives sont permises, ce qui me choque le plus est "le cannibalisme entre espèces" ; ce ministre de l'agriculture je me rappelle bien avoir lu son portrait quand il a été nommé, l'écologie ça le fait rire alors pensez....Macron que cherche-t-il en allant toujours plus loin dans une adaptation à une mondialisation destructrice, je commence vraiment à me demander s'il n'a pas un problème psychologique, et ses justifications sont écoeurantes; ça a l'apparence et le goût de la vérité mais c'est complètement fallacieux et tordu ...justement je reçois un sondage demandant notre avis sur sa réaction à la prise de position anti CETA de Hulot, <br /> possibilité de mettre un commentaire; voici le mien et les autres vont quasi tous dans le même sens:<br /> "Hulot, compétent et sincère était alors sous la coupe de Macron ; justement s'il a démissionné c'est pour pouvoir dire et faire ce qu'il ne pouvait comme ministre d'un président rétrograde qui au lieu de nous faire entrer dans un nouveau monde plus moral et plus écologique, fait pire que ses prédécesseurs: et le CETA est passé....pauvres de nous, de nos petits éleveurs qui déjà souffrent énormément, un suicide tous les deux jours..dans l'indifférence alors qu'un seul suicide aurait dû nous alerter, nous catastropher ! "
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