Biodiversité : l’affligeant écart entre le discours et les actes
En matière d’écologie, le hiatus entre les discours et les actes du gouvernement Macron s’avère de plus en plus béant. Dernière en date à en faire les frais, la biodiversité, qui est pourtant un enjeu majeur, au moins autant que le climat. Il en va «seulement» de la survie de l’humanité. Pêche, agriculture, bois, médicaments, filtration de l’eau, régulation du climat…

La loutre d’Europe est l’une des 37 espèces particulièrement menacées. Photo : J De Meester. Arterra. Andia
Que fait l’exécutif ? Il parle, un peu, il était temps. Mais il agit à contresens.
Nous dépendons tous des services que nous rend gratuitement le vivant. Et il est urgentissime d’agir en encourageant enfin «un changement profond» des modèles de production et de consommation. C’est ce que vient de marteler le groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES) dans un rapport historique détaillant l’accélération sans précédent de la disparition des espèces, publié lundi (Libération du 6 mai).
Or, que fait l’exécutif ? Il parle, un peu, il était temps. Mais il agit à contresens. Après avoir omis de prononcer le mot «biodiversité» lors de sa conférence de presse du 25 avril, Emmanuel Macron n’a pas daigné assister à l’ouverture ou la clôture de la session de l’IPBES, pourtant organisée à quelques encablures de l’Elysée. Ni de s’y faire représenter par son Premier ministre. Macron s’est contenté de recevoir des scientifiques de l’IPBES lundi. Et, comme pour rattraper le coup, ou comme s’il découvrait le sujet, d’improviser une conférence de presse dans la cour de l’Elysée à l’issue de cette rencontre. Certes, il a mentionné une série d’actions, mais plusieurs sont déjà prévues, comme la lutte contre le gaspillage et l’objectif de 100 % de plastique recyclé d’ici à 2025. Certes, il a estimé qu’il fallait «changer notre manière de produire et de nous organiser». Et annoncé une «revue des aides fiscales et budgétaires» à l’aune de ces objectifs, ainsi qu’une extension des aires maritimes et terrestres protégées.
Au même moment, au G7 Environnement à Metz, le gouvernement a certes signé une toute nouvelle «Charte sur la biodiversité» internationale, s’engageant à «[renforcer] et à [améliorer] nos stratégies, politiques, plans d’action et programmes de recherche en matière de biodiversité».
Mais ces belles annonces cachent mal des manœuvres sapant un peu plus la biodiversité française, déjà très mal en point. Car côté actes, l’exécutif tente, en toute discrétion, de réduire drastiquement les compétences d’une instance-clé de préservation de la biodiversité, le Conseil national de la protection de la Nature (CNPN). Cela au profit des projets d’aménagement industriel. Via un projet de décret, le gouvernement prévoit en effet de «mettre au placard» cette institution scientifique indépendante, s’alarment une vingtaine de membres du CNPN dans une tribune publiée par Mediapart. A juste titre, car ce qui se joue ici est tout sauf anecdotique. Si ce décret venait à être publié, le CNPN se verrait largement privé d’une de ses missions centrales : l’examen des dérogations à la protection des espèces protégées.
Concrètement, aujourd’hui, si un projet d’aménagement (zone d’activité, parc éolien, aéroport, autoroute, etc.) porte atteinte à une chauve-souris protégée par exemple, le porteur de projet doit faire une demande de dérogation et l’entité saisie pour avis est par principe le CNPN. Mais sous couvert de simplification et de décentralisation, le décret prévoit de couper l’herbe sous le pied de l’instance nationale. Pour les projets soumis à autorisation environnementale (décharge, incinérateur, usine chimique, éolien, barrage… mais non les autoroutes, aéroports ou ZAC), les dossiers seraient examinés par le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN). Le CNPN ne conserverait sa compétence que pour des travaux qui affecteraient 37 espèces jugées particulièrement rares et emblématiques… issues d’une liste datant de 1999, donc obsolète.
Or les CSRPN sont «déjà surchargés», dénonce la même tribune. Surtout, ces conseils régionaux ne sont pas des instances indépendantes mais sont nommés et gérés par les préfectures et les élus locaux. Ce qui les rend plus vulnérables aux pressions politiques et économiques locales et aux conflits d’intérêts. Le projet de décret en question est donc un joli cadeau offert aux industriels. Et peut-être, à terme, à tous les aménageurs, y compris ceux de zones commerciales ou des autoroutes.
Rappelons-le, la principale cause de l’effondrement de la biodiversité est la disparition des milieux naturels. Las, en France, les terres sont artificialisées à un rythme ahurissant : un département disparaît tous les dix ans, soit 7 m² par seconde… Le projet de décret est déjà qualifié de «coup de poignard» et de «chèque en blanc aux bétonneurs» par EE-LV.
Libération/Coralie Schaub et Aude Massiot (6 mai 2019)
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