Matthieu Ricard : "La souffrance d'un animal est plus importante que le goût d'un aliment"

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Le moine bouddhiste soutient le manifeste de 26 ONG pour imposer la cause animale dans le débat politique. Ce combat sert aussi la cause des hommes, explique-t-il.

Le moine bouddhiste Matthieu Ricard soutient le manifeste lancé mardi 22 novembre par 26 ONG pour imposer le bien-être animal dans le débat politique à l'occasion des élections. Photo : Borgen Magazine

 

Nous sommes tout, ils ne sont rien. La valeur de la vie humaine est, à juste titre, infinie. La valeur de la vie animale est-elle pour autant nulle ? Chaque heure dans le monde nous tuons 120 millions d'animaux terrestres et marins. Cela fait beaucoup : en une seule semaine, davantage d'animaux tués que toutes les victimes humaines de toutes les guerres !

Nous avons fait d'immenses progrès de civilisation. Nous n'acceptons plus ce qui a pourtant longtemps semblé normal : l'esclavage ou la torture. Nous avons adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous continuons d'améliorer le statut des femmes et des enfants. Nous réduisons la pauvreté dans le monde. Mais quand nous en venons aux animaux, le massacre en masse reste la règle.

Les 8 millions d'espèces qui peuplent encore notre planète sont nos concitoyens. Ils aspirent à vivre, à éviter la souffrance. Nous aimons les chiens, mais mangeons les porcs et nous nous vêtissons des vaches. Il y a là une incohérence fondamentale. La valeur des vies innocentes est non négociable.

Il n'y a aucun excès de sentimentalisme à être choqué par les horreurs révélées par les vidéos tournées dans les abattoirs.

Certains affirment que la production de viande est un mal nécessaire. Aujourd'hui, n'étant plus nécessaire, c'est un mal tout court. De fait, tout le monde y perd : la production industrielle de viande est la deuxième cause d'émission de gaz à effet de serre (15 %), après les habitations et avant les transports. Elle entretient la pauvreté dans le monde : 750 millions de tonnes de céréales, qui pourraient nourrir localement un milliard de personnes, sont expédiées d'Amérique latine et d'Afrique vers les pays du Nord, pour nourrir nos animaux destinés à devenir de la viande. Cerise sur le gâteau, plusieurs centaines d'études épidémiologiques montrent que la consommation régulière de viande est nocive pour la santé (source OMS 2015).

Il m'est arrivé de demander à une assemblée : « Êtes-vous en faveur de la justice et de la morale ? » Tout le monde a levé la main. J'ai demandé ensuite : « Est-il juste et moral d'infliger des souffrances non nécessaires à des êtres sensibles ? » Personne n'a levé la main. En vérité, aucun argument moral ne permet de justifier nos comportements à l'égard des animaux.

Ôter la vie par plaisir

Récemment, un dimanche matin un groupe de chasseurs fusil à l'épaule s'était rassemblé sur la place de l'église d'un petit village du sud de la France. Un enfant, fils d'amis, s'arrêta devant eux et leur demanda ingénument : « Vous allez tuer ? » Il n'eut droit qu'à un silence gêné, des sourires de connivence et des regards en coin. Tuer par plaisir, c'est préférer la mort à la vie. Est-ce là ce que l'humanité peut offrir de mieux ?

Vingt millions de Français se promènent dans les bois. Il ne reste plus que 1,2 million de chasseurs. Pourtant, ce sont ces derniers qui font la loi. Sont-ils, comme ils l'affirment, les meilleurs protecteurs de l'équilibre biologique ? En 1974, l'interdiction de la chasse dans le canton de Genève fut approuvée par référendum par 72 % de la population. Malgré les cris d'alarme des chasseurs, tout s'est bien passé : la faune du canton a retrouvé sa richesse et sa diversité – fort appréciées par les promeneurs – et son équilibre naturel. Les sangliers et cervidés n'ont pas envahi les forêts et les champs cultivés.

Mieux aimer l'ensemble des êtres

En incluant tous les êtres sensibles dans le cercle de la bienveillance, nous n'aimons pas moins les humains, nous les aimons mieux, car notre bienveillance est plus vaste. L'association humanitaire que j'ai cofondée, Karuna-Shechen, aide chaque année 300 000 personnes en Inde, au Népal et au Tibet dans le domaine de la santé, de l'éducation et des services sociaux. Le fait de m'occuper aussi des souffrances infligées aux animaux ne diminue en rien ma détermination à soulager les souffrances humaines. Bien au contraire. Et ne pas se soucier des animaux n'améliorerait en rien le sort terrible des victimes d'Alep en Syrie ou du Darfour.

Les bonnes nouvelles

La bonne nouvelle est que le végétarisme et le véganisme sont en plein essor parmi les jeunes. J'ai récemment déjeuné à la cantine de la grande université de Princeton : les 50 premiers mètres du self-service étaient surmontés de panneaux « Végan ». Près de 20 % des étudiants américains sont végans.

Cette transition vers une alimentation non-violente est possible et économiquement viable. Considérez votre envie d'un steak saignant : elle aboutit à la production industrielle de viande. À l'inverse, une pensée de compassion pour les animaux conduit à un monde meilleur et à une économie qui emploi tout autant de personnes, occupées à produire des aliments sans souffrance animale et préférables pour la santé humaine.

Nous sommes à court d'excuses. La souffrance d'un animal est plus importante que le goût d'un aliment. La façon dont nous traitons ceux qui sont, comme nous, des êtres sensibles porte dans le monde un message d'obscurité et de mort ou un message de lumière et de vie.

 

Le Point.fr/Matthieu Ricard (21/11/2016)

 

 

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‘’Les animaux sont mes amis... et je ne mange pas mes amis.’’ George Bernard Shaw

 

 

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C
Je suis végétarienne depuis 10 ans et je ne recommencerais pas à manger de la viande, par respect pour les animaux. J'adore ce billet! @mitiés ! Bon week-end !
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C
Un homme foncièrement bon que j'admire beaucoup ! A Domi : on peut difficilement être plus tolérant que ne l'est Matthieu Ricard !
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J
En attendant de perdre certaines addictions, je les diminue peu à peu. Même si je ne sais pas bien séparer ma mémoire du goût et de l'odeur de ma culture !
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J
Aucun changement n'est vraiment aisé puisque, par définition, il bouleverse nos habitudes ! Cela dit, c'est tout à votre honneur d'essayer d'en introduire des nouvelles et, notamment, une certaine sobriété qui ne peut faire de mal à personne !
D
à propos de la citation de George Bernard Shaw je dirai que je ne mange pas non plus mes ennemis ! Beurk !
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P
Je ne mange pas mes amis, mes ennemis pourquoi pas, ça a le goût du veau paraît-il, comme les enfants. Topor, manuel de cuisine cannibale, si mes souvenirs sont exacts.
P
Difficile de taquiner Matthieu Ricard, l'argumentaire est sans failles. Mais les addictions sont lourdes. il semblerait que le goût et la mémoire olfactive soient inscrits très profondément dans notre cerveau primitif, sans évoquer l'aspect culturel. Donc pas facile de se débarrasser des mauvaises habitudes. Et ne suis pas certain que Mrs. Mac Donald, Burger King et les producteurs de soja brésiliens voient les choses sous le même angle. Nous avons à convaincre non seulement une ou deux générations de jeunes peu habitués à une nourriture traditionnelle de qualité, sobre, éventuellement végétarienne ici, mais ailleurs des millions de crèves la faim déjà bien conditionnés à singer nos excès. Toutes mes félicitations à Mr Schneider pour les 5kg. perdus, j'ai moi aussi perdu 7kg. en renonçant héroïquement à diverses addictions, j'essaie maintenant de renoncer à la dernière en cessant d'écrire des bêtises sur ce blog, c'est difficile aussi. Mais on ne peut pas dire non plus que cela fasse vraiment prendre du poids. Le sevrage sera long, je vous tiens au courant de mes progrès.
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J
Comme je te connais, je suis intimement persuadé que, en ce qui te concerne, les "mauvaises habitudes" ne seront pas bien difficiles à supprimer : il y a belle lurette que tu es sur la bonne voie ! Quant aux états d'âmes de MM Burger King, MacDo et consort, ne te biles pas trop pour eux : ils ont un large éventail de consommateurs qui ne sont pas prêts à changer quoi que ce soit dans leurs habitudes alimentaires ! L'avenir de toutes ces enseignes sera encore rose (ou rouge sang ?) durant un bon moment...
D
c'est un point de vue respectable, mais comme tout point de vue religieux, il doit se montrer tolérant des autres
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J
Comme tu as raison Domi : tout point de vue est éminemment respectable... y compris sans doute celui d'un partie de l'humanité qui ne vit et n'agit que dans le mépris de tout le reste ! Après tout, qui nous dit que c'est nous qui avons raison ? En attendant, j'ai "choisi mon camp" et je me sens plutôt bien -tout au moins mentalement- d'avoir opté pour la direction prise même si, au quotidien, cela me rend souvent très malheureux de voir toute cette cruauté qui s’exerce au quotidien sur les bêtes exploitées pour notre seul plaisir gustatif… Il est certain, je le confesse, qu’en matière de tolérance, j’ai encore un sacré boulot à faire mais, comme exprimé plus bas : j’y œuvre !
L
coucou je partage complètement ces idées
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J
Comment ne pas les partager ? Il y a ainsi des penseurs qui nous proposent d’autres visions de notre monde et c’est assez réconfortant : on se sent un peu moins seul…
Z
Un texte culte pour moi.
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J
Il y a quelques très belles personnes qui portent un message d’humanité et de compassion que notre société n’est pas prête à entendre (pour le plus grand nombre) ! Matthieu Ricard est au nombre de celles-ci tout comme Aurélien Barrau, Guillaume Corpard et d’autres dont nous reparlerons forcément ici-même ! Il nous appartient de diffuser leur message… C’est hélas tout ce que nous pouvons faire : le reste c’est l’affaire de chacun d’entre nous et c’est un sacré melting pot qui est loin de former un ensemble harmonieux !
J
Je viens de consulter son parcours sur le net. Respect !
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J
Oui Jacky : respect ! Il est ainsi de ‘’sacrés bonhommes’’ dont le charisme est réellement exceptionnel ! Je pense souvent à Théodore Monod qui, avec calme et néanmoins fermeté, disait ce qu’il avait à dire… et c’était beau ! Dans verser dans un quelconque sectarisme (ou dogmatisme), il y a néanmoins de nombreux enseignements à retenir de ces êtres bien trop rares… à mon goût !
J
Que de belles vérités portées par Matthieu Ricard : sa bienveillance à l’égard des plus faibles et des opprimés –tous les faibles et tous les opprimés- est une merveilleuse leçon, certes pas facile à mettre en pratique au quotidien pour un non-initié comme moi… mais, j’y travaille !
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J
bonjour les amis es<br /> cette lecture matinale m'a fait du bien , cela me conforte dans mon choix très récent d'être <br /> " crudivore " j'ai perdu 5 kg et me sent beaucoup mieux , toi ami lecteur je te conseille de regarder une des vidéos de ma nouvelle amie de 88 ans : IRENE GROSJEAN<br /> tu tapes sur google recherche avancée : ( youtube irene grosjean philosophie de vie )<br /> et tu pourras me donner des nouvelles en m'écrivant à schneiderjo68@gmail.com<br /> cela me fera beaucoup plaisir , en retour je vous adresserai en cadeau mon dossier<br /> Santé ... a bientôt , très belle journée à tous ...