Non, 21 millions de kangourous australiens n’ont pas été tués par du blé génétiquement modifié

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Bien que l’info me semblait énorme, j’ai malgré tout relayé l’article des Moutons-Rebelles qui annonçait cette hécatombe monstre de marsupiaux en Australie (voir ici) ! Bien mal m’en a pris puisque, vérification faite, le « scoop » s’avère en effet un faux grossier et non moins stupide… Merci à Domi qui, en journaliste éclairé et prudent, a d’emblée émis des doutes quant à la source et à la réalité des faits décrits ! Avec mes excuses à mes lecteurs, je publie ci-dessous un article qui revient sur cette lamentable fausse nouvelle…

 

L’information selon laquelle 21 millions de kangourous australiens auraient été tués par du blé génétiquement modifié, relayée par des sites complotistes anglophones et francophones, est rapidement devenue virale. La culture de blé génétiquement modifié n'est pas autorisée en Australie. Par ailleurs, les recensements des populations de kangourous montrent que le chiffre de 21 millions de morts n’est pas plausible. La rumeur a été émise par un site américain connu pour ses théories loufoques et mystiques.

Un article viral du site lesmoutonsrebelles.com, ayant réuni plus de 10 000 partages et près de 30 000 interactions sur Facebook, prétend que plus de 21 millions de kangourous australiens ont été tués par du blé génétiquement modifié (OGM), en particulier dans l’Etat de Nouvelles-Galles du Sud. Cet article, directement issu d’un site complotiste américain affirme qu’un rapport du Service Fédéral Russe pour la Surveillance Vétérinaire et Phytosanitaire (ROSSELKHOZNADZOR) dénonce cette “hécatombe apocalyptique et historique pour les kangourous”. Il n’existe pourtant aucune trace d’un tel rapport.

Il n’y a pas de culture de blé génétiquement modifié en Australie.

Un document du département de la santé du gouvernement australien liste tous les OGMs dont la culture est autorisées sur le territoire : le coton, le colza, la rose et l’œillet. Le fait qu’il n’y ait aucune trace officielle de blé génétiquement modifié ne prouve pas que le “régime de plantations secret” mené par Monsanto en accord soi-disant avec le gouvernement australien n’existe pas. Il est strictement impossible de prouver sans équivoque la non-existence d’un tel accord secret comme évoqué par l’article des Moutons Rebelles. En revanche, il est possible de prouver que les chiffres avancés par l’article sont faux.

Le nombre de victimes kangourou 2016-2017 en Australie atteint maintenant un nombre stupéfiant: 21 687 258”, prétend l’article. Or il existe un recensement des kangourous australiens, selon lequel le nombre total de kangourous atteignait tout juste 46,1 millions en novembre 2017.

Le recensement ne couvre que les Etats de Nouvelles-Galles du Sud, de l’Australie-Méridionale, du Queensland et de l’Australie-Occidentale, qui couvrent 6,3 millions de kilomètres carrés sur les 7,7 millions de kilomètres carrés que représente l’Australie, et les chiffres donnés sont inférieurs au nombre réel de kangourous sauvages. Mais difficile d’imaginer que 21 millions de kangourous sont morts “principalement dans les vastes champs de blé situés dans la région de Nouvelle-Galles du Sud”, où la population totale recensée était de 14,4 millions fin 2017.

Difficile également de qualifier d’“hécatombe apocalyptique” l'évolution de la population de kangourous, qui est en constante augmentation. Celle-ci est passée de 27 millions en 2009 à 46,1 millions en 2017. L’Etat de Nouvelle-Galles du Sud a par ailleurs connu une croissance de sa population de kangourous supérieure à la moyenne, celle-ci ayant doublé, de 7,2 millions à 14,4 millions aujourd’hui.

Après une diminution en 2010 à 25,1 millions, la population de kangourous australiens a atteint son pic en 2013 avec 53,2 millions d'individus (Département de l'Environnement du gouvernement australien / AFP)

L’unique source sur laquelle l’article s’appuie pour parler de la mort de nombreux kangourous est un article de The Australian, datant de décembre 2017 et repris par The DailyMail et The Times. Celui-ci rapporte les propos du Docteur Greg Curran, vétérinaire australien menant des recherches sur les maladies touchant les kangourous et qui aurait remarqué une “une chute si importante (de la population de kangourous) qu’elle ne peut pas être uniquement due à la chasse”.

Le nombre de kangourous recensés a effectivement diminué de 3 millions d’individus entre 2016 et 2017, un phénomène que le Dr Curran attribue à une épidémie d’origine inconnue. The Australian rapporte que “ce n’est pas le premier cas de mortalité de masse ces dernières années. En 1997 et 1998, plus d’un million de kangourous rouges sont morts de façon inexplicable après une saison de pluies abondantes. En 2010, des chasseurs de kangourous ont rapporté avoir trouvé des animaux morts.

Une traduction directe d’un site complotiste anglophone

Le site lesmoutonsrebelles.com peut sembler très actif à première vue, car il publie en moyenne plus d’un article par jour. Pourtant, ces articles ne sont pas écrits par les “auteurs” du site mais directement copiés de sources extérieures, grossièrement traduits si la source est anglophone. Par exemple cet article est une copie d’un article du site « Oh Chouette ». La qualité des articles de lesmoutonsrebelles.com dépend donc directement de la qualité des articles qu’ils plagient. Il est donc intéressant de se pencher sur la source de l’information sur les kangourous : whatdoesitmean.com.

L’auteure de l’article original, Sorcha Faal, est bien connue des milieux complotistes, où même les habitués de forums complotistes moquent ses théories et la surnomment “Sorcha Fail” (mot anglais signifiant échec). Sorcha Faal, unique contributrice de whatdoesitmean.com, a une méthodologie bien huilée : elle commence par affirmer que ses informations viennent d’une source russe, dont elle dit systématiquement qu’elle “circule dans le Kremlin aujourd’hui”, sans jamais citer ni donner de lien vers cette source. Le corps de l’article inclut de nombreux liens vers des sources extérieures pour donner une impression de légitimité, mais ces liens ne contiennent souvent aucune information corroborant les théories défendues par Faal. Lorsqu’elle affirme qu’une étude d’une organisation soutient ses thèses, Faal ne donne qu’un lien vers la page d’accueil du site de cette organisation, et il n’existe généralement aucune étude de ce type sur le site en question.

Sorcha Faal figure parmi les créateurs de fausses informations les plus prolifiques au monde, avec plus de 1 000 articles à son actif sur son site depuis 2004. Elle est connue pour ses théories mêlant pseudo-science et mysticisme, qu’elle présente comme des faits sur son site. Par exemple, elle a dénoncé la prétendue éjection d’une planète du cœur d’un trou noir qui, “selon un rapport qui circule dans le Kremlin aujourd’hui”, serait en réalité le dieu babylonien infernal Nergal, destiné à être le “destructeur” de notre planète.

Sorcha Faal a également diffusé des rumeurs parmi lesquelles l’arrestation du président américain Barack Obama pour détention de cocaïne, une attaque du FBI sur un centre de recherche américain qui détiendrait la preuve que l’autisme serait causé par les vaccins, ou encore que l’ancien président américain Bill Clinton aurait été filmé alors qu’il violait une petite fille. Toutes ces théories, et bien d’autres, ont été jugées fausses par le site de fact-checking Snopes.

Jean-Gabriel Fernandez/Journaliste à AFP Factuel (9 mai 2018)

 

Publié dans Animaux

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C
ouf :)
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D
Merci l'ami pour cette réaction forte et pour ce rectificatif sans ambiguïté qui démontrent le sérieux de ton blog!<br /> En effet dans le monde de l'Internet il y a le pire et le meilleur et il ne faut pas croire n'importe quel site cherchant à faire du buzz, ni ceux qui mettent n'importe quoi sur les réseaux sociaux.<br /> Bien que rien ne soit parfait, pour vérifier les infos, il faut consulter les sites renommés, dépendant d'organes de presse ayant pignon sur rue et animés par des journalistes professionnels, mus par une éthique, une déontologie, il convient donc de consulter les sites de référence, même si nul n'est infaillible. Merci JL pour ton honnêteté
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J
Comme de nombreux autres lecteurs, je suis lamentablement tombé dans le panneau de l’article des Moutons Rebelles… J’ai du mal à comprendre les motifs de ces sites qui semblent n’avoir d’autre objectif que de faire le « buzz » afin d’avoir une audience maximale tout cela en publiant de fausses nouvelles ! Je fais ici amende honorable en regrettant de n’avoir pas poussé plus avant mes vérifications et en remerciant une fois encore l’Ami Domi qui, en journaliste consciencieux, examine scrupuleusement ses infos !
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