La recherche scientifique peut-elle s'affranchir des expériences sur les animaux ?
Près de deux millions d'animaux sont encore utilisés dans les laboratoires en France à des fins scientifiques. Ces dernières années, de multiples méthodes alternatives se sont pourtant développées pour éviter au maximum de recourir à ces tests.

Une souris au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, le 23 janvier 2014. - Philippe Merle - AFP
Souris, rats, poissons, chiens, chats, chevaux, reptiles ou encore singes-écureuils: en 2016, près de deux millions d'animaux en France ont subi des expériences scientifiques afin de faire progresser la recherche. Ce mardi 24 avril se tient la Journée mondiale des animaux dans les laboratoires, créée en 1979 par une association britannique. Si elle n'est pas officiellement reconnue par l'ONU, elle a néanmoins le mérite d'interroger les alternatives ou substitutions possibles à l'expérimentation animale dans la recherche scientifique.
Après plusieurs décennies de travail sur le sujet, la Commission européenne a inscrit dans la loi en 2010 le principe des "3 R": raffiner les expériences afin de minimiser la douleur animale, réduire l'emploi de ces êtres et remplacer leur usage là où c'est possible. La directive a été transposée dans le droit français en 2013.
La question est par ailleurs au cœur d'un débat sémantique. Là où certains considèrent que toutes les méthodes correspondant aux 3R sont des "alternatives" (même le raffinement, et donc préférer une espèce animale à une autre), d'autres vont plutôt utiliser ce terme en synonyme de "remplacement" des tests animaux - ce qui est considéré par les premiers comme de la "substitution".
In silico, in vitro
Les méthodes de substitution sont surtout de deux natures. Les expériences in silico consistent en des modèles informatiques qui permettent par exemple de "prédire la toxicité d'un composé chimique selon ses propriétés de base", explique le laboratoire dédié de l'Union Européenne. Les tests in vitro reposent quant à eux sur la création en laboratoire de tissus, de cellules ou parties de cellules.
C'est cette dernière approche que le Dr Samuel Constant a adoptée depuis plus de dix ans avec "l'ingénierie tissulaire". Il explique à BFMTV.com fabriquer "des tissus humains à partir de déchets opératoires".
"On est spécialisés dans les maladies respiratoires: on reproduit notamment les tissus qui recouvrent le nez, la trachée et les bronches", précise le scientifique. Cela leur permet à la fois d'observer l'efficacité de médicaments pour soigner les maladies respiratoires et d'évaluer la toxicité de composés que l'on peut respirer. A partir de tissus "normalement incinérés ou jetés à la poubelle", récupérés grâce au don d'organes et de tissus pour la recherche, le laboratoire "isole des cellules, les met dans un environnement adéquat et leur donne 'les bons signaux' qui vont leur permettre de re-fabriquer du tissu".
Des "mini-poumons"
C'est ainsi qu'avec son équipe, Samuel Constant a pu créer des "mini-poumons" permettant d'avoir "une réponse directement sur du tissu humain avant de tester (les médicaments) sur des humains". "Ça ne ressemble pas à un poumon", concède-t-il, par contre "si vous faites une coupe de ces tissus-là, et vous faites une coupe des tissus pulmonaires de l'homme, c'est exactement la même chose", ce qui permet d'avoir une réponse biologique identique. Cela leur permet aussi de travailler sur les cancers, en étudiant la progression des tumeurs intégrées à un tissu sain.
"Une souris n'a jamais été un homme de 70 kilos"
"Une souris n'a jamais été un homme de 70 kilos", relève par ailleurs Samuel Constant. Il donne l'exemple de la mucoviscidose, "qu'aucun animal ne reproduit de façon efficace", contrairement à ce qui est possible avec les tissus pulmonaires fabriqués in vitro. En termes de virologie, il rappelle aussi que les virus ont besoin de "récepteurs spécifiques à certaines espèces" pour pénétrer les cellules, ce qui limite dans ce cas l'efficacité des expérimentations animales. Tous les domaines de recherche ne permettent cependant pas d'éliminer les tests animaux pour le moment.
"Tout ce qui est préliminaire pour juger de la toxicité éventuelle des substances se fait sur d'autres modèles (que les animaux, NDLR), sur des cellules bien choisies, ou même végétales, etc.", appuie auprès de BFMTV.com le Dr Jean-Claude Nouët, co-fondateur en 1977 et président d'honneur de la Fondation Droit animal, éthique et sciences.
Néanmoins, "à la fin des tests, notamment médicamenteux, il faut obligatoirement passer par l'expérimentation sur un animal" avant une commercialisation, rappelle le médecin biologiste.
Le test animal, passage obligé pour un médicament
Un test obligatoire qui se retrouve parfois dans les arguments contre les méthodes alternatives, selon Arnaud Gavard, porte-parole du comité scientifique Pro Anima. "On va nous dire 'on n'a jamais réussi à sortir un médicament sans passer par les essais animaux', mais les essais animaux sont obligatoires", plaide-t-il. Une obligation internationale qui découle du code de Nuremberg de 1947 : après les expériences des médecins nazis sur leurs prisonniers, le tribunal a pris une dizaine de mesures dont le "consentement volontaire du sujet humain" et la nécessité d'un test animal avant un essai sur l'homme.
Pour d'autres domaines comme la recherche fondamentale (pour essayer de comprendre un mécanisme biologique inconnu par exemple), il est plus compliqué de se passer des animaux. "Dans la recherche fondamentale, il y a toujours un moment où il faut mettre en perspective", fait valoir le Dr Ivan Balansard, délégué scientifique à l'Institut des sciences biologiques du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) et membre du bureau Ethique et modèles animaux.
"Le jour où on aura créé un cerveau, c'est qu'on aura tout compris aux neurosciences", avance-t-il. Aujourd'hui, la recherche fondamentale concentre pourtant la plus grande partie (43%) des animaux de laboratoires, contre un quart pour "les recherches translationnelles ou appliquées".
La difficulté de "s'affranchir du test animal" dans certains domaines
Pour Ivan Balansard, il reste "très difficile de s'affranchir du test animal" dans des domaines, notamment là où "il y a besoin de comprendre le fonctionnement de certaines zones" d'un organisme. Samuel Constant prend aussi pour exemple l'étude du "développement d'un individu ou d'un être", qui serait "difficile" à reproduire "dans des boîtes de culture". "Pour tout ce qui est approche systémique, quand on va regarder des interactions sur tous les organes du corps à la fois, c'est un peu compliqué", concède-t-il.
Cela constitue d'ailleurs une partie de la recherche de son laboratoire, qui travaille aujourd'hui à connecter des morceaux de cœur, de foie, de poumon, de rein, tous générés en laboratoire.
Au CNRS, Ivan Balansard craint que les méthodes de substitution quasi-totale, comme la création in vitro de tissus humains, n'obscurcissent le volet "raffinement" des 3R. "On sait très bien qu'en termes de prédictivité, l'homme n'est pas une souris", concède-t-il. Il préfère toutefois mettre en avant l'utilisation de certains animaux plutôt que d'autres, qu'ils soient plus judicieux en fonction des tests ou moins sensibles à la douleur, au lieu d'une utilisation massive des rongeurs.
"L'expérimentation animale, un mal encore nécessaire" pour la FDA
Tout en assurant que le CNRS est "très sensible" à ces questions et que "tout le monde se réjouit" de la réduction de l'emploi des animaux dans les laboratoires, il fait plutôt valoir à l'heure actuelle une "complémentarité entre les méthodes".
De son côté, la Fondation Droit animal, éthique et sciences estime que "l'expérimentation sur l'animal est, malheureusement, encore un mal nécessaire", faute de pouvoir "assurer une sécurité suffisante" au patient. Une position qui fait écho à celle énoncée par le délégué scientifique du CNRS, en tout cas pour le moment: "Faire de la bonne science, tout en respectant l'animal".
BFM (24/04/2018)
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