La peur de la nature

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Les faits divers, les petites anecdotes du quotidien, les péripéties des gens ordinaires parlent pour une société et la révèlent. Ainsi, en Périgord, sur le territoire de la commune de Grignols, une querelle subalterne de voisinage s’est cristallisée sur une mare. Des voisins plaideurs ont assigné en comblement de ce gîte à amphibiens leurs ennemis locaux au motif que les grenouilles coassent trop près de leur maison au printemps, constituant un « trouble anormal du voisinage ».

Photo : Jean-Louis Schmitt

Un tribunal rejeta leurs prétentions « contre nature » mais la cour d’appel de Bordeaux infirma la décision et ordonna que la mare devait disparaître et ce sous forte astreinte par jour de retard, arrêt validé en cassation. Or les mares, naguère présentes partout dans les campagnes, se font très rares et représentent pour ce que la doctrine contemporaine qualifie de biodiversité, des milieux précieux, fragiles, menacés, des milieux accueillant des espèces ne pouvant pas vivre en dehors de ces points d’eau.

La mare de Grignols recèle plusieurs espèces intégralement protégées par la loi (loi 76 629), mais le chant des grenouilles perturbe nos plaideurs dont on ignore s’ils exècrent les amphibiens ou leurs voisins humains. S’agit-il d’une chronique de la haine ordinaire ou de cette peur de la nature qui habite trop de nos contemporains ? Les tribunaux ont ainsi à connaître fréquemment de requêtes de gens irascibles mécontents du coq, des chevaux ou des vaches du voisin, belle illustration de l’adage sartrien « L’enfer, c’est les autres ».

Il y a aussi ceux qui veulent faire abattre les arbres, les haies de leurs petits ennemis domestiques d’à côté. Ici, nous voyons que l’animal cupide s’avère volontiers belliciste, tare redoutable, aux effets locaux et parfois mondiaux sous forme de guerres justes, saintes, glorieuses avant de devenir, avec le recul du temps, dérisoires.

L’humain n’aime pas la nature dont il a peur. Peur des forêts non jardinées, des zones humides, des friches, des animaux sauvages, des herbes folles. Il y en a même pour se plaindre du chant du rossignol philomèle, des déjections des hirondelles, des chahuts d’une fouine dans un grenier. Sans doute, l’animal humain raté et dénaturé supportera davantage le vacarme des moteurs à explosions de son trafic routier et l’assourdissant vrombissement des avions aux abords des aéroports, la fumée de ses pollutions cancérogènes que la mélodie de la nature vivante.

Si la montagne et ses ravins, les cours d’eau et les océans ne lui offraient pas des occasions de spéculations financières, l’animal dénaturé demanderait l’aplanissement des pics et le comblement des fleuves car tout ceci est dangereux. Disons, en synthèse, que l’homme n’aime pas sa planète et que seul l’anime la quête insatiable du profit.

Alors, vous qui n’êtes pas formatés par ce système de pensées, respectez ou mieux créez des mares, sauvegardez les vieux arbres, plantez des haies, laissez la végétation spontanée envahir une partie de vos espaces. Changeons vite pour sauver la vie, ça presse !

Gérard CHAROLLOIS

Publié dans Point de vue, Environnement

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J
Nous pouvons ajouter les querelles de voisinage, le bruit, les cloches de l'église. Nous sommes tous compliqués.
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D
j'ajoute que les milieux humides sont peau de chagrin alors qu'ils sont essentiels à la vie et quand les milieux humides sont vivants, les larves de moustiques sont mangées par les têtards
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J
On en revient toujours à la même chose : c'est le bon sens qui fait cruellement défaut ! D'autres affaires mettent en lumière des destructeurs de mares qui sont condamnés -à juste titre- pour des faits de ce genre ! Lorsqu'un projet d'infrastructure (voierie, ZI ou ZA, lotissement...) menace une zone humide, les promoteurs sont tenus à recréer un peu plus loin des zones similaires et le déplacement des espèces protégées est obligatoire... <br /> Là, dans cette lamentable affaire de Grignols, c'est le tribunal lui-même qui ordonne la destruction des espèces : on marche vraiment sur la tête !
D
oui créons des mares, plantons des haies : assassiner une mare est un crime écologique<br /> quand nous avions encore un jardin c'était un petit paradis et s'il n'y avait pas de mare, il y avait des dizaines d'essences d'arbres et arbustes et quand même des batraciens, crapauds et parfois reinettes, ainsi que des hérissons<br /> Comment la cour d'appel a-t-elle pu prendre une telle décision ? Il faudrait aller en cassation, mais c'est compliqué et cher...<br /> Je suis d'accord avec la conclusion de l'article, chacun peut agir!!
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J
Oui, "L'enfer c'est les autres" ! En reprenant cette formule de Sartre, je n'oublie pas que, nous sommes également toujours"l'autre" de quelqu'un...<br /> Cela dit, en signant les pétitions l'an passé pour soutenir les propriétaires de la mare en question, j'espérais vraiment que le bon sens allait l'emporter et que cette lamentable affaire serait classée sans suite et qu'on ficherait par conséquent la paix aux habitants -bêtes et gens- des lieux ! <br /> Je me suis encore bercé d'illusions et l'épilogue judiciaire de la "mare de Grignols" nous le démontre clairement : dans notre beau pays, tout est possible, même l'impensable ! <br /> On vit vraiment une époque formidable !!!
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