Le véganisme, sacerdoce à ronger

Publié le par Jean-Louis Schmitt

En s’interdisant l’utilisation de tout produit lié à la maltraitance animale, les militants de ce mouvement peu répandu en France s’imposent de nombreux sacrifices.  

Clara, 27 ans, s’est engagée dans la cause végane il y a dix ans. Photo Pascal Parrot

Le véganisme, sacerdoce à ronger

Ils ne consomment aucun aliment d’origine animale. N’achètent ni cuir, ni laine, ni soie, ni fourrure. Choisissent des cosmétiques non testés sur les bêtes. Ne fréquentent ni les cirques ni les zoos. Jeunes précaires ou cadres quadras, retraités ou étudiants, le petit peuple végan est hétérogène mais soudé par une même cause : la lutte contre l’exploitation animale sous toutes ses formes. Un credo qui, au quotidien, change la vie. Et surtout, le contenu de l’assiette : «Au restaurant, c’est compliqué, raconte Olkan Elijah, 42 ans, végan depuis cinq ans. Lorsqu’il n’y a aucun plat végétalien sur la carte, ce qui est le cas le plus fréquent, je demande gentiment au serveur s’il peut m’aider. Souvent, on me rétorque : "Y a rien sans viande." Parfois, en cuisine, on me bricole un truc, genre menu de lapin : carottes et salade sans assaisonnement, sans épices… C’est pas grave, je m’adapte. Ailleurs, comme dans les buffets de gare, lorsque je cherche désespérément un sandwich sans animal, on m’en propose au thon ou au poulet. Car le thon et le poulet poussent dans les arbres, c’est bien connu.»

Si une offre destinée aux consommateurs végans existe déjà dans les pays anglo-saxons, ainsi qu’en Israël, la France ignore encore presque tout de ce mouvement né en Angleterre dans les années 50. Alors, dans les hypermarchés, les végans doivent chausser leurs lunettes pour décrypter les étiquettes : «Je choisis des produits sans aucun additif d’origine animale, mais la liste de ces additifs est longue, et la mention "arômes" est elle aussi suspecte, détaille Olkan. Quand on sait que les industriels sont capables de mettre du jus de viande dans des conserves de légumes, comme on l’a appris récemment, il y a de quoi se méfier.»

«Barbecue ou paella»

Si les novices déambulent dans les rayons armés d’une liste des additifs et de leur composition, les plus anciens n’en ont pas besoin. «Je suis végétalienne depuis quarante-cinq ans et donc habituée à déchiffrer les étiquettes, explique Joëlle, 65 ans. Mais en général, je vais directement au rayon diététique ou dans un magasin bio, c’est plus simple pour trouver ce qui nous convient.» Quant à dénicher un restaurant végétalien, Joëlle admet que ses chances sont quasi nulles : «Alors on choisit un libanais ou un indien : on est presque sûrs d’y trouver quelque chose à manger.»

«Face à ces contraintes, certains végans ont fini par se couper de toute vie sociale, regrette Olkan. Je refuse absolument d’en arriver là : je déteste les ghettos, les communautés. Se définir comme végan, végétarien ou omnivore, ça sépare les hommes. J’aime l’idée de les rassembler en toute convivialité. Quand j’invite des amis carnivores, je leur prépare une paella, un barbecue ou un couscous avec des produits simili-carnés[de la "viande" végétale, ndlr]. Ils découvrent que notre alimentation n’est pas fade, qu’elle est variée.»

Au-delà de ce strict régime végétalien, les végans boycottent les produits industriels testés sur les animaux, notamment les produits ménagers (également accusés d’être nocifs pour l’environnement). Là, pas de problème : ils sont remplacés par des méthodes «à l’ancienne» (bicarbonate, savon noir, vinaigre blanc…). Pour les vêtements, c’est la même chose : les végans choisissent coton, lin ou synthétique et privilégient les marques éthiques recensées par les associations véganes. «Le plus compliqué, c’est de trouver des chaussures sans cuir, regrette Joëlle. Celles en synthétique ne durent pas et, pour les jeunes, renoncer aux chaussures à la mode ou aux jolis sacs en cuir, c’est pas simple.»

Même en faisant ce sacrifice, la déception surgit parfois au tournant. Ainsi, Clara, 27 ans, regarde ses sandales synthétiques d’un air dépité : «J’ai appris qu’on utilisait de la colle à base de poisson pour fixer les lanières… Les industriels mettent de l’animal partout, tout le temps ! C’est compliqué pour nous au quotidien.»Chaque jour, Clara doit gérer un autre dilemme : «J’ai quatre chats mais je ne vais pas leur donner à manger des courgettes ! Alors oui, en achetant des croquettes, je participe à la maltraitance animale. Je ne vois pas comment faire autrement.» Pourtant, elle affirme que «choisir cette voie n’a rien d’un sacrifice». Un optimisme partagé par Olkan : «Etre végan, c’est la plus belle chose que je vis et celle dont je suis le plus fier. Quand on a des convictions, toute cette organisation est un plaisir.»

Olkan expose ses idées lors de la Vegan Wow, une manifestation trimestrielle et itinérante organisée par son association, baptisée Forces unies pour les droits des animaux (Fuda). Gastronomie, bien-être ou mode, les choix de la culture végane sont mis en valeur et expliqués aux passants afin de les convaincre qu’on peut vivre, et bien vivre, sans avoir recours à l’exploitation des animaux. «Tout est fait dans notre société pour que l’on oublie leurs souffrances, argumente Olkan. De nombreux consommateurs sont touchés et intéressés, ils ont envie de changer leurs habitudes mais ne savent pas comment s’y prendre. Avec la Vegan Wow, on essaie de les aider à consommer autrement. On n’est pas là pour les culpabiliser, mais pour leur montrer que d’autres solutions existent.»

Les militants rencontrés lors de la dernière Vegan Wow, à Montpellier, témoignent d’un même cheminement. Tous ont visionné sur Internet des reportages et des documentaires décrivant les conditions d’élevage, d’abattage ou de transport des animaux, détaillant les rouages de cette gigantesque industrie de la viande. Après, impossible d’oublier, de faire machine arrière, comme l’affirme Clara : «Quand on connaît les conditions d’élevage intensif, les mutilations infligées aux poulets ou aux porcs, on ne peut plus refermer les yeux. En ce qui concerne le lait, c’est pareil : les vaches sont traites non-stop durant des années, puis envoyées à l’abattoir.» «Le jour où on a vu les choses en face, on ne peut que lutter contre, confirme Olkan. J’y passe quasiment tout mon salaire d’infographiste : je travaille davantage pour mon association que pour mes propres clients.»

«Sorties de secours»

Dans l’entourage des végans, les réactions sont parfois peu enthousiastes. Clara a renoncé à la viande à l’âge de 17 ans mais dans sa Haute-Savoie natale, la pression familiale a remis des steaks dans son assiette : «C’est très compliqué de s’affirmer d’un point de vue alimentaire quand on vit encore chez ses parents, et qu’on ne fait pas les courses…» Idem pour Romain, 26 ans, coach sportif, né dans une famille de paysans et de chasseurs : «Ils m’ont dit : "T’es malade ! On a besoin de viande pour vivre !" Moi, je ne voyais plus du beefsteak au bout de ma fourchette, mais un animal mort. Un bout de cadavre.» Olkan dit lui aussi avoir été confronté à des réactions violentes de la part de ses proches : «Les gens qui me demandent d’expliquer mes choix sont souvent agressifs dès que je leur parle de souffrance animale. Au fond, je pense que mes explications les dérangent et les culpabilisent. Tout le monde se doute de ce qu’il se passe, mais la plupart des gens trouvent des sorties de secours pour ne pas affronter la réalité.»

Autrefois hippie, aujourd’hui militante, Joëlle, entrevoit quant à elle de multiples signes d’espoir dans les comportements de ses contemporains : «Depuis dix ans, les progrès sont énormes. Des personnalités osent dire qu’elles sont végétariennes, des intellectuels prennent position, les mouvements végans se multiplient. Les journaux parlent enfin de la viande, des livres d’enquête sortent… La prise de conscience est exponentielle.» Et un nombre croissant de jeunes viendrait rejoindre les rangs des végans : «La diffusion par Internet d’informations et de vidéos sur la condition animale les interpelle. Le seul bémol, c’est que les jeunes qui veulent militer à nos côtés sont parfois moins tenaces que les plus anciens : ils veulent que tout change tout de suite. Et quand ils s’aperçoivent que l’évolution des comportements prendra du temps, certains se découragent…»

Sarah Finger/Libération

Publié dans Portrait, Consommation

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D
L'article est intéressant et très bien fait. Tout en respectant ce courant, car certaines ambitions sont nobles, je pense que le véganisme est excessif, et je pense que son application totale et générale ne serait pas sans inconvénients<br /> Un exemple, si l'on n'utilisait plus de vaches, non seulement elles disparaîtraient, mais aussi les paysages et milieux qui dépendent de leur présence : le bocage par exemple.
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J
Tout cela est exact Domi mais, ne rêvons pas : l'humanité n'est pas (encore, loin de là) prête à se passer d'aliments carnés ! Il n'y a qu'à voir l'engouement de certains peuples pour la viande ! Les chinois par exemple en consomment de plus en plus (pour les plus aisés naturellement) voire même de manière largement excessive ! Bien sûr, cela entraînera fatalement de nouvelles pathologies quant à leur santé mais, voilà qui est un autre débat...<br /> Pour l'heure et en ce qui concerne notre civilisation occidentale : une réduction de la consommation de viande (mais pas que) ne pourrait être que salutaire pour la "condition animale" et tout ce que l'élevage induit ! <br /> Quant aux paysages il est vrai grandement façonnés par l'homme et l'agriculture en général, on ne peut évidemment pas nier l’impact positif en question ! Néanmoins, l’agriculture intensive provoque aussi des déserts (voir la Beauce par exemple mais il y en a d’autres) ! Tout est une question de dosage… Mais, quand il est question d’agro-alimentaire, il est fatalement question de business et c’est là tout le drame !<br /> Pour des questions d’éthiques, le végétarisme et le véganisme me semblent par conséquent dignes de la plus haute considération puisque ces courants d’idées et d’hygiène de vie respectent tout simplement la VIE sous toutes ses formes!
J
Très bel article sur les veganes. Personnellement, je vois bien que les choses changent : on n'en parle de plus en plus, il y a véritablement une prise de conscience et ce n'est pas un simple effet de mode mais cela ressemble bel et bien à des convictions…<br /> Mettre en adéquation sa pensée et ses actes, changer ses habitudes n'est pas une chose simple : comme pour toute chose, il faut de la volonté. <br /> En l’occurrence, il y a une réelle satisfaction à la mise en pratique de ses convictions profondes : je peux en témoigner !
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