Steak Machine

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Qu’y a-t-il de plus monstrueux qu’un abattoir, cette espèce de machine de mort à produire inlassablement, jour et nuit, de la viande, afin de nourrir des populations qui n’ont aucune idée de la souffrance qu’il y a derrière leur steak, leur poulet du dimanche, ou encore leur paquet de bonbons Haribo ?

Steak Machine

Pourtant, le voile se lève progressivement sur ces atrocités, notamment grâce à l’action d’associations, comme l’association L 214 qui, en diffusant des vidéos filmées au cœur des abattoirs, sur les chaines qui mènent chaque jour des dizaines de milliers d’êtres sensibles à la mort, ont permis de faire connaitre au grand public ce scandale qui ne trouve sa justification que dans notre gourmandise et la cupidité de l’industrie agro-alimentaire qui, dans l’après-guerre, nous a vendu le mythe de la protéine et de la viande à tous les repas pour générer, sur le dos des plus faibles, de ces animaux que nous élevons uniquement pour souffrir et mourir, toujours et encore plus de profit.

 

Bien entendu, l’opinion s’en est émue, et quelques mesurettes de façade ont été prises. Pourtant, personne ne sait, et personne ne veut savoir, en définitive, ce qui se cache derrière les murs de l’abattoir. Parce que c’est plus simple de ne pas savoir, en tous les cas de le feindre…

 

C’est dans ce contexte que s’inscrit Steak Machine de Geoffrey Le Guilcher, publié aux toutes jeunes éditions Goutte d’Or. Une enquête née d’un questionnement : si les images du traitement infligé aux animaux dans les abattoirs commencent à être diffusées aujourd’hui, notamment grâce au web, et si l’opinion publique s’en indigne, qui sont donc ces femmes et ces hommes qui travaillent dans les abattoirs ? Sont-ils des tueurs sanguinaires assoiffés de souffrance ? Quelles sont leurs motivations pour y travailler ?

 

Ainsi, Geoffrey Le Guilcher va opérer une véritable immersion : durant quarante jours, muni d’une nouvelle identité et d’une nouvelle apparence, celui-ci va s’infiltrer au cœur d’un abattoir breton pour partager le quotidien des ouvriers. De la défonce obligatoire, juste pour tenir le coup, aux cauchemars incessants, sans oublier le cortège de maladies professionnelles liées, mais dont très peu sont réellement reconnues, Geoffrey Le Guilcher nous dresse le portrait d’hommes et de femmes brisés par leur métier, mais qui tentent de tenir le coup malgré tout, quoi qu’il arrive, tout ça pour simplement vivre… Ou plutôt survivre.

 

« Pourquoi les conditions des ouvriers d’abattoirs, y compris dans les usines modernes comme Mercure, sont-elles si déplorables ? Avant toute chose, peu de gens ont conscience de la réalité. Le député Olivier Falorni, président de la commission parlementaire sur les abattoirs, reconnaît être entré dans le sujet « Par l’aspect animal ». « À une période où on dit que la classe ouvrière a disparu, ça a été un choc pour moi de découvrir que des ouvriers d’abattoir sont des hommes et des femmes cassés physiquement et moralement » constate l’élu. « On a auditionné des gens qui faisaient des cauchemars la nuit et voyaient des êtres humains pendus à des crochets »…

 

Oui, loin d’être uniquement cette machine de mort pour les animaux, l’abattoir se révèle être également, sous la plume de Geoffrey Le Guicher, une machine à broyer les individus, que ce soit physiquement ou moralement. Terrifiante création d’une modernité qui a fait de la consommation à n’importe quel prix, sans conscience, un idéal primant sur toute forme de raison, au point d’ancrer jusque dans nos têtes ce paradoxe qui nous pousse à corroborer ce système alors que nous prétendons tous aimer les animaux, l’abattoir est bel et bien le symbole d’un spécisme quasi ontologique élevé au rang de norme : peu importe les souffrances des Hommes comme des Animaux, tant que nous ne la voyons pas et que nous pouvons continuer à vivre comme si de rien était.

 

« L’abattoir est le dinosaure qui a permis la naissance de l’ère de la consommation de masse. Un vieil animal toujours bien vivant ».

 

Sauf si la vérité continue d’éclater au grand jour grâce à des associations ou encore à des journalistes comme Geoffrey Le Guilcher.

 

Et c’est pour cette raison que Steak Machine est un livre qu’il faut lire à tout prix et partager : parce que seule la vérité peut vraiment libérer ceux qui crèvent, qu’ils soient Hommes ou Animaux, derrière les murs des abattoirs.

 

 

Geoffrey Le Guilcher

Geoffrey Le Guilcher

Publié dans Bidoche, Lire

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