Chemin faisant
Voici un livre -qui date certes un peu- que notre ami René, lecteur fidèle de "Nature d'Ici et d'Ailleurs", nous invite à découvrir (ou à redécouvrir) tout comme il est grand temps de renouer avec nos paysages et nos villages. Savoir retrouver les saisons, les aubes et les crépuscules, l'amitié des animaux et même des insectes, le regard d'un inconnu qui vous reconnaît sur le seuil de son rêve. La marche seule permet cela. Cheminer, musarder, s'arrêter où l'on veut, écouter, attendre, observer. Chaque jour est différent du précédent comme l'est chaque visage, chaque chemin. Ce livre n'est pas un guide pédestre de la France, un inventaire touristique, un pèlerinage culturel, mais une invitation au vrai voyage, le journal d'un errant heureux, d'un libre divagant...
Depuis le temps que ce livre existe - la première édition date en effet de 1973 - la marche buissonnière et les chemins ruraux ont fini par devenir familiers à bien des lecteurs anciens et nouveaux. Et aussi la découverte (ou redécouverte) de ce que la nature, visitée en prenant tout son temps et en une suite de flâneries sereines , peut apporter d'enrichissant aux temps morts ou aux temps libres de notre vie. Ce livre n'a jamais eu d'autre ambition que de noter mon étonnement - et parfois aussi mon agacement ou mon émerveillement - quotidien devant les découvertes et les rencontres de chaque jour. Chemin faisant n'est donc pas un livre sur la marche, encore moins un guide des sentiers pédestres mais la chronique au jour le jour d'une expérience et d'une initiation de quelques mois à une vie vagabonde à travers les paysages de la France. Une façon aussi de m'éprouver en affrontant chaque jour des épreuves différentes car il n'existe nulle part de manuel du parfait chemineau. Le but de cette longue marche fut donc avant tout le désir de me muer - le temps d'une saison - en véritable errant. Restait ensuite à fixer cette errance, ce que je fis quelques années plus tard, à capturer et emprisonner l'horizon dans la cage des pages. J'espère qu'à la lecture il reste encore de ces chemins d'errance le parfum d'un herbier vivant. (Jacques Lacarrière, 25 mars 1998)
« Tout est dans le choix d'un chemin plutôt qu'un autre. Par hasard ? Ou parce qu'un bûcheron vous conseille l'inévitable et fatal "tout droit" qui conduit tout droit à un croisement ? De toute façon on ne peut suivre qu'un seul chemin à la fois. Quand on marche il faut abandonner l'idée de tout voir, de tout parcourir, de tout rencontrer, et se laisser guider jusqu'aux petits hôtels-pensions de province, "avec leurs odeurs de chats incontinents". Il faut aussi subir la méfiance des villageois à l'égard des randonneurs (des vagabonds ?) et la difficulté de trouver un gîte pour la nuit quand on n'est pas un touriste comme les autres. Car "l'infrastructure hôtelière est conçue en fonction des routes fréquentées, des autos, des sites touristiques, rien n'est prévu pour le marcheur." Sauf en de rares endroits "on ne reçoit pas chez soi des inconnus." » (extrait d'un commentaire de Lionel sur son site Bibliorando)
« Rien ne me paraît plus nécessaire aujourd'hui que de découvrir ou redécouvrir nos paysages et nos villages en prenant le temps de le faire. Savoir retrouver les saisons, les aubes et les crépuscules, l'amitié des animaux et même des insectes, le regard d'un inconnu qui vous reconnaît sur le seuil de son rêve. La marche seule permet cela. Cheminer, musarder, s'arrêter où l'on veut, écouter, attendre, observer. Alors, chaque jour est différent du précédent, comme l'est chaque visage, chaque chemin. » (Jacques lacarrière)
Chemin faisant
Fayard
1977, 294 p., 20 euros
Première édition : 1973
Ce texte fait figure d'ancêtre dans la littérature de la marche. Sa première édition (de 1973), une époque où la marche n'est pas encore un hobby mais une pratique réservée aux malchanceux qui ne peuvent jouir de l'automobile. Combien de fois Jacques Lacarrière nous narre-t-il ses tentatives plus ou moins heureuses d'ailleurs de convaincre les automobilistes qu'il n'a nul besoin qu'on le dépose !
Que les choses soient claires : Jacques Lacarrière ne part nullement « randonner ! Il se « promène » ! La différence est de taille car le côté sportif de l'aventure lui échappe totalement : il parcourt 60 km les 3 premiers jours puis prend une journée de repos à l'hôtel pour s'en remettre. Idem pour ce qui est du matériel : il part en Pataugas avec une flasque de rhum et compte sur les ruisseaux pour se désaltérer.
Il part aussi sans itinéraire et sans carte, s'en remettant aux chemins et aux gens qu'il rencontre. Il part des Vosges, traverse le Morvan et l'Auvergne pour rallier la Méditerranée. Il passe par Epinal, Langres, Avallon, St Flour, Lodève... Lacarrière ne « fait » pas un parcours prédéfini : il trace son propre chemin dans la nature, parmi les hommes, loin des sentiers battus.
Il part d'ailleurs autant pour la nature que pour les hommes qui l'habitent. Il prend le temps de discuter avec un bûcheron, de boire un verre dans les cafés de campagne qui composent encore le paysage à l'époque, de dormir chez l'habitant le cas échéant. Ces hommes et ces femmes lui racontent, dans leurs patois souvent, leur travail, leur vie, l'histoire des paysages qu'il traverse. Dans Chemin faisant, pas de pensées philosophiques ni de descriptions interminables mais des rencontres humaines.
Alors pourquoi coucher tout cela sur le papier ? Pour immortaliser ces rencontres ? Pour faire souffler le vent de l'aventure chez ses lecteurs ? Ou pour continuer à dilater le temps comme c'est le cas dans ces ballades au long cours ?