Wallonie : le conseil de la nature refuse de mettre pies et corneilles au tableau de chasse

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Faire passer les pies et les corneilles sur la liste des gibiers. C’est l’objectif d’un projet de décret wallon. Qui s’attire une volée de bois vert du conseil de conservation de la Nature.

Accusé de tous les maux, le grand cormoran voit pourtant ses populations stagner ou régresser. Il faut d’abord dissuader avant de détruire, disent les experts wallons de la conservation de la nature. Photo : Jean-Louis Schmitt

Accusé de tous les maux, le grand cormoran voit pourtant ses populations stagner ou régresser. Il faut d’abord dissuader avant de détruire, disent les experts wallons de la conservation de la nature. Photo : Jean-Louis Schmitt

On le sait, les pies et les corneilles sont dans le collimateur d’un projet de décret émanant du cabinet du ministre wallon de la Nature René Collin (CDH). Il propose de placer ces deux oiseaux dans la liste des espèces chassables au sud du pays. Le texte qui pointe aussi les blaireaux, les castors, les hérons et les cormorans, accusés de nuire aux activités humaines, s’est attiré une sérieuse admonestation du Conseil supérieur de conservation de la Nature.

 

Ce conseil est composé d’universitaires, d’ONG environnementales mais aussi de représentants de la filière bois, du secteur de la pêche et de la chasse. Saisis à la veille des vacances d’hiver, et après avoir travaillé « des soirées et des week-ends », dit un membre, les experts critiquent le texte qui leur a été soumis, en tout cas les accusations lancées contre certaines espèces. Globalement, dit l’avis dont Le Soir a obtenu copie, le projet comporte dans son exposé des motifs, « de nombreux raccourcis et idées reçues dénuées de tout fondement scientifique. Et quand des références sont renseignées, le choix de celles-ci et des conclusions mises en avant est parfois discutable voire orienté, de même que leur présentation ».

Pie bavarde (Pica pica). Photo : JLS

Pie bavarde (Pica pica). Photo : JLS

Pseudo-science

 

« Sous des apparences sérieuses, c’est de la pseudo-science », dit un spécialiste. Il y a quelques années, le même Conseil avait de même réduit en petit bois un texte contenant les mêmes accusations, relayant, dit-on chez les environnementalistes, les obsessions de certains chasseurs. Pour rappel, l’avant-projet part du constat que la petite faune des plaines (perdrix, lièvre, oiseaux des plaines…) est en déclin, malgré les « efforts » pour restaurer son habitat. Estimant que la chasse a un impact négligeable sur cette faune, elle conclut que ce sont les prédateurs non-humains (pies et corneilles avant tout) qui en sont responsables. Un déclin ? Le Conseil nuance : « Toutes les espèces n’ont donc pas vu leur état de conservation se dégrader ». Les espèces spécialisées (perdrix grise, vanneau huppé, alouette des champs, caille des blés, tourterelle des bois…) « dont certaines restent ouvertes à la chasse » déclinent effectivement, de même que le lièvre.

 

Il ne faut pas dire trop vite que la pie et la corneille en sont responsables, nuance-t-on. « La prédation s’exerce notamment sur des animaux affaiblis qui, souvent, sont condamnés à court terme ». Les populations de corneilles noires ont augmenté entre les années 1970 et 2000. Elles stagnent désormais. La pie est particulièrement présente dans les zones urbanisées. Mais « depuis quelques années, sa population est en légère diminution, tant en Wallonie qu’en Flandre ou aux Pays-Bas ». A grande échelle, « il n’y a pas d’impact significatif de cette espèce sur différentes populations d’oiseaux. Chasser et piéger les corvidés n’a donc souvent que très peu d’impact sur leurs populations ».

Corneille noire juvénile (Corvus corone). Photo : JLS

Corneille noire juvénile (Corvus corone). Photo : JLS

Les habitats disparaissent

 

Les vraies raisons du déclin de la faune ? « La destruction, la fragmentation et la dégradation des habitats [qui] entraînent des manques de ressources alimentaires et de sites de repos et de reproduction ». La priorité, c’est l’amélioration de ces habitats (connectivité, surfaces des fragments, qualité des ressources) et non « une destruction des prédateurs généralistes ».

 

La chasse vraiment exempte de reproche ? Le Conseil critique dans un premier temps « les lâchers de dizaines de milliers de perdrix grises, faisans, canards colverts destinés à la chasse [qui] contribuent au déséquilibre proies/prédateurs ». Il recommande de les restreindre « afin de se limiter à de réels lâchers de repeuplement ». Il questionne ensuite le chiffre de 5 à 10 % de prélèvement avancé par les auteurs du texte et juge au contraire que « les prélèvements par la chasse ne sont nullement marginaux ».

 

D’abord dissuader

 

Pas question de qualifier pies et corneilles de gibier, dit l’avis du Conseil de la Nature. En règle générale, « les moyens de dissuasion doivent être privilégiés avant toute destruction ». S’il y a des problèmes, « il faut en priorité tenter de résoudre ceux-ci localement, au cas par cas, et non en recourant de manière systématique aux destructions ». En tout état de cause, et malgré le sentiment de n’être « ni écouté, ni respecté » comme l’avoue l’un d’entre eux, les experts veulent être consultés et pouvoir « remettre un avis préalable avant toute mise en place d’une stratégie de régulation des populations par destruction ».

 

Michel De Muelenaere (3 février 2017)

 

Lire également : Chasser pies et corneilles? La verte colère des associations

Publié dans Environnement, Chasse

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