Médecines douces et élevage : l’union naturelle ?

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Murielle élève 200 brebis en bio, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Elle les laisse vivre en extérieur dans des parcours la plus grande partie de l’année. Contrairement à de nombreux éleveurs, elle ne leur donne pas de traitements hormonaux pour forcer leur agnelage. Quand vient le douloureux moment de les mener à l’abattoir, dans une remorque, elle leur donne des fleurs de Bach contre le stress.

Médecines douces et élevage : l’union naturelle ?

Comme Murielle, de nombreux éleveurs français misent sur des méthodes naturelles pour traiter ou soigner leurs animaux, de manière préventive ou même curative. L’artichaut pour la stimulation du foie et de la vésicule biliaire, l’ortie ou le cassis comme anti-inflammatoires, le souci et le romarin pour favoriser la cicatrisation. Le tout en mélange sec versé dans les fourrages ou en huiles essentielles.

Ces pratiques sont pour la plupart vieilles comme l’élevage. Les éleveurs interrogés pour cet article nous ont par ailleurs expliqué que les animaux d’élevage savent souvent reconnaître les plantes utiles à leur équilibre. Ils broutent par exemple naturellement, quand c’est nécessaire, les plantes dont les tanins ont des propriétés antiparasitaires.

« L’usage de produits à base de plantes dans le cadre de médecines alternatives (...) entraîne de facto, pour ces produits, le statut de médicament vétérinaire ».

 

Médecine hors la loi ?

Pourtant, ces pratiques peuvent s’avérer contraires à la loi en France. Sandrine Lizaga, éleveuse de brebis dans la Drôme, en a fait l’amère expérience en août 2014. Éleveuse depuis trois ans à l’époque, elle a pris l’habitude de soigner les petites affections de ses bêtes avec des infusions et des huiles essentielles. Mais lors d’un contrôle, la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) lui indique que ces méthodes sont prohibées. En effet, elle n’a pas le droit de donner à ses animaux des traitements sans une ordonnance formelle d’un vétérinaire agrémenté.

Une note de l’Agence nationale sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), relevée à l’époque par Libération, l’explique clairement : « L’usage de produits à base de plantes dans le cadre de médecines alternatives en lieu et place de médicaments chimiques, notamment dans le cadre d’une politique de réduction d’usage de certaines catégories de médicaments tels que les antibiotiques, entraîne de facto, pour ces produits, le statut de médicament vétérinaire. »

Acupuncture pour chevaux.

Acupuncture pour chevaux.

Or, les médicaments vétérinaires sont des produits très contrôlés, qui nécessitent notamment une longue et coûteuse procédure d’autorisation sur le marché. Une procédure inadaptée, voire absurde, pour de simples mélanges de plantes : qui payerait 25 000 euros pour avoir l’autorisation de cueillir des orties et de les donner une fois séchées à ses animaux ? On l’avertit ensuite par courrier : si elle n’arrête pas d’utiliser ces produits, elle risque de perdre les aides qui lui sont versées par la Pac.

« J'ai bien reçu un courrier m'annonçant des pénalités sur mes aides de la Pac mais elles ont finalement été supprimées. »

 

Sandrine Lizaga mobilise alors de nombreuses associations et syndicats. Elle devient la porte-voix de ceux qui s’élèvent contre cette aberration administrative. Trois ans après l’affaire, elle nous explique : « Finalement, il ne s’est rien passé du tout pour moi. J’ai bien reçu un courrier m’annonçant des pénalités sur mes aides de la Pac mais elles ont finalement été supprimées. Les autres contrôles ont aussi été annulés. Je pense que le soutien que j’ai eu a permis de montrer aux autorités l’absurdité de la situation, on ne peut pas demander d’un côté aux éleveurs de recourir moins aux antibiotiques et d’un autre côté interdire les alternatives ».

Les massages, tout le monde y a droit

Les massages, tout le monde y a droit

Histoire de mots

Philippe Labre, vétérinaire spécialiste des méthodes alternatives a lui aussi été sanctionné. En 2011, le Conseil régional de l’ordre des vétérinaires Rhône-Alpes (CROV) lui a adressé une interdiction d’exercer. Depuis, il a beaucoup modifié son vocabulaire. Il n’exerce plus la médecine animale mais a créé une société de « conseil en santé animale pour l’élevage ». Il ne propose plus de « médicaments », en revanche, il propose des « solutions nutritionnelles pour aider l’animal à s’autoguérir » et des « activateurs des grandes fonctions du vivants ».

En pratique, il fait un peu comme avant : « On est capable de gérer toutes les pathologies, de manière préventive ou curative. Mais les gens nous contactent le plus souvent quand ça va mal, donc on entre en concurrence directe avec les médicaments. Par contre, on n’utilise aucune allégation médicamenteuse, sinon on serait dans l’illégalité. À nos yeux, le système de normes et d’homologation est complétement verrouillé et est, de fait, au profit de grandes multinationales, alors qu’il faudrait encourager les activités locales et les petites entreprises de récolte de plantes médicinales ».

Médecines douces et élevage : l’union naturelle ?

Sandrine Lizaga elle aussi continue aujourd’hui de faire comme avant. Elle nous explique sa démarche : « On ne remplace pas les plantes par les antibiotiques, ni les antibiotiques par les plantes. Ce sont deux approches très différentes. Nous travaillons sur la globalité du troupeau, pour qu’il soit fort et résistant. Ça commence dès la sélection, nous ne choisissons pas les animaux les plus productifs mais ceux qui sont le plus résistants, qui ont le plus de rusticité, de capacité à s’adapter. On essaye d’anticiper aussi, par exemple après la mise bas, les animaux sont fatigués, on leur donne quelques gouttes d’huiles essentielles et un complément d’ortie. Pour les petits bobos, on donne quelques gouttes d’huiles essentielles de lavande ou de thym. Et une fois tous les trois ou quatre ans, on a recours pour une brebis aux antibiotiques parce que c’est nécessaire. »

Pour sortir de cette hypocrisie, de nombreux professionnels ont créé le collectif « Initiative citoyenne pour l’impératif du vivant et de l’écologie ». D’un côté, les autorités rappellent à raison que ce n’est pas parce que des produits sont à base de plantes qu’ils sont anodins. D’un autre, les éleveurs assurent que leurs traitements sont constitués de plantes médicinales connues depuis des lustres. N’empêche, le dialogue avance.

Déjà, l’affaire Lizaga a permis de réaffirmer que l’homéopathie est autorisée. Ensuite, une réflexion sur les médicaments à base de plantes a officiellement été lancée en 2014 au sein de l’Anses. Une liste de plantes « peu préoccupantes » pouvant être dispensées d’autorisation de mise sur le marché pour des usages agricoles est en cours de constitution. 800 plantes ont été proposées, une centaine a déjà été validée en mai dernier.

 

La Ruche qui dit Oui/ Thibaut Schepman (1 février 2017)

 

Publié dans Agriculture-Elevage

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Des pratiques douces et sans danger ni pour les animaux, ni pour l'environnement... Voilà qui ne doit pas être vu d'un bon œil par les labos et autres professionnels (et actionnaires...) de la chimie ! Résistons !
Répondre