Lili Sohn, les combats de sa vie
Son cancer du sein diagnostiqué à 29 ans est pour elle « un cadeau un peu mal emballé ». La maladie lui a permis de réaliser son rêve : devenir illustratrice. Ses dessins colorés et joyeux sont devenus sa thérapie. Lili Sohn a traversé la maladie à coups de crayon et à grand renfort d’humour. Après ses BD, La Guerre des Tétons , la Kolbsheimoise d’origine, a, à nouveau, fait parler d’elle en s’opposant au projet du Grand contournement ouest. Rencontre avec une « enfant du village ».
Un visage lumineux, des cheveux rose gris, un piercing dans le nez, des tatouages sur les bras, les mains… Lili Sohn a de l’allure. L’Alsacienne respire la joie de vivre. L’envie de vivre.
Kolbsheimoise d’origine, aujourd’hui installée à Marseille, elle parcourt actuellement la France pour la sortie du troisième volume de bande dessinée : La Guerre des tétons (éditions Lafon).
Elle y raconte son histoire, celle d’une jeune femme de 29 ans à qui on a diagnostiqué un cancer du sein et son parcours du combattant : la mammographie, la biopsie, le choc du diagnostic, l’opération, la chimiothérapie, la radiothérapie, « bref, le menu Maxi Best of du cancer du sein », sourit-elle.
« Tu deviens un samouraï »
Avec humour et un ton décalé – son cancer est baptisé Gunther « parce que les dompteurs de cirque utilisent cette langue pour donner des ordres aux animaux » – elle aborde de façon concrète la maladie, les sentiments qui la traversent. « Au début, je dessinais sur un blog (*) pour tenir informée ma famille et mes proches. Je vivais alors au Canada, j’y suis restée huit ans. »
Au fil des semaines, le dessin est devenu sa thérapie. « Tu reçois tellement d’informations avec des mots médicaux incompréhensibles. J’ai essayé de les vulgariser d’abord pour moi. Car quand le diagnostic tombe, tu deviens un samouraï, un combattant. »
Rapidement son blog obtient un succès inespéré. Trois mois seulement après sa création, elle est contactée par une maison d’édition.
Ce lundi, on la retrouve dans un bar de Strasbourg, entre deux dédicaces. Sans ambages, elle impose le tutoiement. Aurélie de son vrai prénom apprécie de revenir en Alsace. « C’est ma maison, ici. »
Le week-end dernier, elle a retrouvé ses deux institutrices de maternelle et de primaire. Et surtout, des Alsaciens venus, non pas pour ses BD sur le cancer, mais pour les dernières planches publiées sur son site**. Des dessins contre le Grand contournement ouest (GCO), « l’autoroute qui sert à rien (de bien) ». « Ils sont venus me remercier et demander quand sortait la BD, si on pouvait l’acheter. J’ai dû leur préciser qu’il ne s’agissait que de quelques dessins », sourit-elle.
Lorsqu’elle les a publiés en décembre dernier, Lili Sohn « pensai [t] juste encourager la communauté anti-GCO. Je ne pensais pas sensibiliser un plus large public. » En quelques jours, ses dessins ont été partagés sur les réseaux sociaux, les médias locaux l’ont contacté.
« Je veux bien que dans les années 70 la solution soit de construire une autoroute mais pas en 2017 ! »
Si Lili Sohn a souhaité parler du GCO, c’est parce qu’elle se sent concernée par le projet. « J’ai vécu à Kolbsheim jusqu’à l’âge de 22 ans. Et surtout j’ai passé mon enfance dans les jardins du château où doit passer ce GCO. On construisait des cabanes, on jouait à cache-cache. On s’inventait des histoires incroyables avec les statues du parc. Et pour la luge, c’est un super-endroit. Il y a au moins 15 minutes de descente », sourit-elle, plongée dans ses souvenirs.
« Je suis née, ce projet existait déjà, poursuit-elle. Je veux bien que dans les années 70 la solution pour lutter contre les bouchons de Strasbourg soit de construire une autoroute mais pas en 2017 ! », s’insurge-t-elle.
Dans ses dessins sur le GCO comme sur le cancer, Lili Sohn se met en scène. Elle y démonte chacun des arguments des pro-GCO et propose aussi des solutions alternatives : l’interdiction de la circulation des poids lourds aux heures de pointe, la mise en place d’une taxe poids lourds, l’amélioration des transports en commun, du covoiturage et du vélo, la réduction du coût des transports en commun.
C’est avec l’aide du maire de Kolbsheim, Dany Karcher, qu’elle a élaboré ces dessins. « Je le connais depuis que je suis toute petite. C’est le père de mes copains. Le but était de servir la cause des anti-GCO pas de desservir. » Un autre combat qui lui tenait à cœur et qu’elle a mené avec ses armes de prédilection : un crayon et beaucoup d’humour.
« Cela doit faire quinze ans que j’essaie de démontrer l’absurdité de ce projet. En 15 ans, on fatigue, une fille du village comme Lili Sohn nous rebooste, souligne Dany Karcher. Elle fait passer le message avec des mots simples alors que parfois de grosses démonstrations finissent par passer inaperçues. »
Aujourd’hui, Lili Sohn réalise son rêve : vivre de l’illustration. Passée par une faculté d’arts plastiques à Strasbourg, l’Alsacienne s’était dans un premier temps orientée vers le graphisme et la communication. « Je ne m’étais jamais donné la possibilité de devenir illustratrice. Et je ne me pensais pas capable de raconter des histoires. Le cancer m’a permis de le réaliser. C’est un peu un cadeau mal emballé. C’est dur mais ça te fait encore plus kifer la vie. Tu te découvres des capacités insoupçonnées. »
« Faire passer le message avec des mots simples »
Officiellement en rémission depuis juillet dernier, la trentenaire se « reconstruit une vie ». « Quand on est malade, on a 12 000 rendez-vous médicaux. On est entouré, chouchouté. On débranche son cerveau. Puis, après, on se retrouve toute seule. Tu rebranches ton cerveau et toutes les émotions passées à la trappe rejaillissent en même temps, de façon décousue. »
Ses projets ? Elle vient de signer avec la célèbre maison d’édition Casterman pour une BD qui sortira en 2018 inspirée de son nouveau blog vagintonic.com qui parle de l’anatomie féminine. Elle vient également de vendre les droits de sa BD à un producteur de film. Elle enchaîne en parallèle les conférences où elle partage son expérience et poursuit son travail de vulgarisation médicale avec des oncologues notamment, qui ont rapidement vu l’intérêt et la force de ses dessins. Et enfin elle vient de débuter des vidéos de vulgarisation sur le corps humain. Bref, les projets ne manquent pas. Et quand au GCO ? Elle n’exclut pas une suite. « Je n’ai pas encore dit tout ce que j’avais à dire. J’ai quelques petites idées. »
(*) http://tchaogunther.com/a-propos
(**) http://lilisohn.com/le-grand-mechant-gco/
Sonia de Araujo (11/02/2017)