L’Italie hésite : faut-il commencer à abattre des loups ?

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Près de 2.000 loups vivent aujourd’hui en Italie. Alors que les attaques de bétail augmentent, associations environnementales et éleveurs s’opposent sur la stratégie à adopter pour y remédier. Les autorités discutent jeudi 23 février d’un « plan loup » prévoyant des abattages.

Canis lupus italicus. Source : Wikimedia (Luigi97 commonswiki/CC-BY-SA-2.5)

Canis lupus italicus. Source : Wikimedia (Luigi97 commonswiki/CC-BY-SA-2.5)

En Italie, un « plan loup » prévoyant un éventuel abattage de 5 % des loups de la péninsule devait être approuvé jeudi 2 février. Sous la pression de plusieurs associations environnementales, son adoption par la conférence État-Régions a été reportée au jeudi 23 février. Un court répit pour les 2.000 Canis lupus italicus du pays.

Depuis plusieurs années, éleveurs et bergers signalent une augmentation des attaques de leurs troupeaux. Elle serait mathématiquement due à la croissance de la population lupine. D’où la nécessité de réduire son nombre.

La population lupine a décuplé depuis les années soixante-dix. À cette époque, l’espèce avait frôlé l’extinction sur sa terre d’origine. Protégée depuis 1971, elle ne comptait alors que 200 individus.

L’Italie hésite : faut-il commencer à abattre des loups ?

Aujourd’hui, les dernières estimations officielles indiquent un total minimum de 1.170 loups et un maximum de 2.602. Ils sont répartis entre les Alpes (entre 100 et 130) et la chaîne des Apennins qui traverse l’Italie du nord au sud (entre 1.070 et 2.472).

Près de 600 loups auraient élu domicile dans les forêts de Toscane. Dans cette riche région agricole, 698 attaques ont été rapportées en 2016. Les dommages s’élèvent à 1,3 million d’euros. Selon la branche toscane de Coldiretti, le principal syndicat agricole italien, « des milliers de moutons, bovins ou chevaux sont morts à la suite des attaques ». En trois ans, le nombre de bêtes perdues aurait augmenté de plus de 30 %.

 

Les chiens errants ou les hybrides, moins peureux

 

« La survie des territoires est en jeu, explique le syndicat sur son site, ils vivent exclusivement de la présence des éleveurs et de leurs familles. » Aux associations qui veulent « sauver le loup », Coldiretti répond : « Il faut sauver les troupeaux de vaches et de moutons qui subissent un véritable massacre dans l’indifférence générale, provoquant le dépeuplement des montagnes, où au moins un tiers des exploitations agricoles ont fermé ces dix dernières années. »

 

Cependant, l’absence de données officielles et publiques sur les attaques empêche d’établir un lien de cause à effet entre la présence du loup et la fermeture des exploitations. L’affirmation du syndicat est d’autant plus étonnante que les attaques donnent lieu à une indemnisation : de l’ordre de 700 euros pour un mouton tué.

 

Mais le secteur agricole fait face à des difficultés partout en Italie et en Europe. Le loup représente une difficulté de plus. Coldiretti dénonce les longs délais (jusqu’à deux ans) pour percevoir les indemnisations, et le plafond de 15.000 euros par période de 3 ans.

 

En l’absence d’indemnisation adéquate, il est tentant pour les éleveurs de se faire justice eux-mêmes. Et de fait, la mortalité des loups à cause de l’homme — braconnage, pièges, appâts empoisonnés et accidents de la route — toucherait entre 15 et 20 % de la population lupine chaque année, soit environ 350 individus.

La mortalité des loups à cause de l’homme toucherait entre 15 et 20 % de la population lupine chaque année, soit environ 350 individus. Source : Wikimedia (Jairo S. Feris Delgado/CC BY-SA 3.0)

La mortalité des loups à cause de l’homme toucherait entre 15 et 20 % de la population lupine chaque année, soit environ 350 individus. Source : Wikimedia (Jairo S. Feris Delgado/CC BY-SA 3.0)

Éleveurs et associations environnementales sont malgré tout d’accord sur un point : ce ne sont pas tant les loups, mais davantage les chiens errants ou les hybrides, moins peureux, qui attaquent le bétail.

 

Or, près de 30 % des loups d’Italie seraient en fait des hybrides ou des chiens errants selon une estimation de Life Ibriwolf, un projet de recherche sur l’hybridation chien-loup. Cette ambiguïté entre Canis lupus et Canis lupus familiaris (chien) met-elle en danger les loups ?

 

C’est en tout cas ce que craint la branche italienne du WWF (Fonds mondial pour la nature). Face au manque de données sur les loups des Apennins et la vulnérabilité du peuplement lupin des Alpes, elle redoute un quota d’abattage pris au pied levé.

 

« Les individus isolés tendent à préférer les animaux d’élevage »

S’appuyant sur une étude scientifique états-unienne, elle explique que les quotas d’abattage ne servent « ni à réduire les dégâts ni les attaques ». D’après l’ONG, « les experts affirment que les meutes de loups stables et structurées se nourrissent avant tout d’ongulés sauvages (sangliers et chevreuils), alors que les individus isolés tendent à préférer les animaux d’élevage ». En d’autres termes, en tuant un quota de loups, on risque de disperser les meutes en loups solitaires. Ceux-ci s’attaqueront encore davantage au bétail.

 

Depuis plusieurs mois, le WWF a lancé l’appel SOS loup sur les réseaux sociaux (#SOSLupo). Des manifestations ont été organisées durant la conférence État-Régions.

 

Une pétition soutenue par plusieurs associations de protection des animaux a récolté plus de 200.000 signatures.

 

La mobilisation a porté ses fruits : les présidents de région ont demandé le report des discussions, le temps d’approfondir la question.

 

Gian Luca Galletti, le ministre de l’Environnement, ne comprend pas la controverse. « La mesure tant débattue, explique-t-il dans un communiqué, celle sur la dérogation à l’interdiction de l’abattage des loups, concerne des cas uniques et exceptionnels. Elle ne peut être demandée par les régions qu’à la suite à d’une longue série de prescriptions, et appliquée seulement après l’avis technique de l’Ispra (l’Institut supérieur pour la recherche et la protection environnementale), qui évalue les demandes au cas par cas. »

Il rappelle que 70 scientifiques ont participé à l’élaboration du plan de conservation et de gestion du loup en Italie. Hormis les quotas d’abattage, les 21 autres mesures font l’objet d’un consensus.

« Dans ce texte, explique le ministre à la radio italienne, on prévoit une nouvelle brigade antibraconnage composée de gendarmes forestiers et de policiers provinciaux, l’entraînement de chiens au repérage d’appâts empoisonnés, la vaccination des chiens errants et des mesures de prévention de l’hybridation, autre grand danger pour l’espèce. » Le plan prévoit aussi un nouveau recensement de la population lupine, une meilleure compensation financière des éleveurs et l’installation de clôtures électriques.

 

C’est avec le financement que le bât blesse

 

Mais le WWF reste ferme : « L’abattage légal du loup ne peut être une méthode ordinaire de gestion des conflits entre l’espèce et les activités d’élevage (...). Seules les techniques de prévention, comme les clôtures électriques et les chiens de garde, sont efficaces pour garantir la cohabitation avec les loups », affirme l’association sur son site.

 

« Tous les éleveurs qui ont implanté les mesures préconisées ont constaté une baisse drastique des attaques », dit Franco Ferroni, chargé du dossier au WWF Italia.

Selon le WWF, « l’abattage légal du loup ne peut être une méthode ordinaire de gestion des conflits entre l’espèce et les activités d’élevage (...). Seules les techniques de prévention, comme les clôtures électriques et les chiens de garde, sont efficaces pour garantir la cohabitation avec les loups ». Source : Wikimedia (Jairo S. Feris Delgado/CC BY-SA 3.0)

Selon le WWF, « l’abattage légal du loup ne peut être une méthode ordinaire de gestion des conflits entre l’espèce et les activités d’élevage (...). Seules les techniques de prévention, comme les clôtures électriques et les chiens de garde, sont efficaces pour garantir la cohabitation avec les loups ». Source : Wikimedia (Jairo S. Feris Delgado/CC BY-SA 3.0)

Chez Coldiretti, on tempère : « Si les 21 [autres] mesures sont appliquées correctement, avec les ressources financières nécessaires, il n’y aura pas besoin de recourir au moindre abattage », explique Stefano Masini, responsable de la branche environnement du syndicat, cité par l’AFP.

 

Et c’est avec le financement que le bât blesse : entre lourdeurs administratives et délais de remboursement, les éleveurs font déjà face à des difficultés ces dernières années. Si la situation persiste malgré le nouveau plan, il y a un risque que l’État active les quotas d’abattage pour contenter les éleveurs.

 

L’Italie avec ses 2.000 loups se trouve aujourd’hui dans une situation que la France — 300 loups — pourrait atteindre dans quelques années.

 

Thomas Polti (Reporterre) (23 février 2017)
 

 

 

Lire aussi : Et si le loup était un bouc émissaire ?

 


Vous avez aimé cet article ? Soutenez Reporterre.

 

Publié dans Biodiversité

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article