Bisons d’Europe : de l’extinction à l’étincelle
Alors que le Bison d’Europe fonçait vers l’extinction à l’instar de son cousin d’Amérique du Nord, de plus en plus de ces bovidés repeuplent progressivement l'Europe et pour beaucoup d'entre eux, retournent à la vie sauvage.
Alors qu'ils n'étaient plus qu'une poignée dans les années 1920, les bisons sont désormais un peu plus de 6000 en Europe. ©JEROEN HELMER /REWILDING EUROPE
Lorsque l’on songe au bison, cela ravive instantanément un imaginaire qui évoque 1000 kg de muscles, des centaines de sabots qui martèlent un sol poussiéreux, les grandes plaines et autres vastes étendues sauvages américaines... Seulement américaines ? Non, car en Europe aussi, le célèbre bovidé a sillonné librement les campagnes. Une époque révolue, puisque le bison d’Europe (Bison bonasus), comme son camarade d’Amérique du nord (Bison bison) a fait les frais d’une activité humaine envahissante. Pourtant, le gros cornu fait aujourd'hui un surprenant come-back sur le vieux continent.
L'histoire du bison d'Europe
Aux Etats-Unis, avant l’arrivée des européens, la population de bison était estimée à environ 40 millions de têtes. Elle s’effondre à 325 en 1884, à cause d'une chasse plus qu’intensive. Pour finalement regrimper à quelques 500.000 représentants de l’espèce de nos jours. Soit une réintroduction plutôt réussie, selon les experts. Le bison détient même le titre de "mammifère national des Etats-Unis" depuis 2016. Ce que Dave Carter, directeur exécutif de la National Bison Association, interrogé en 2016 par Sciences et Avenir qualifiait d'"acte symbolique qui célèbre la contribution des acteurs en faveur de la préservation de l'espèce, des chefs tribaux et des fermiers qui ont œuvré pour restaurer les populations de bison sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis".
En Europe, c’est au Moyen-Âge que l'herbivore voit sa population commencer à décroître. A partir de cette période, il se retrouve continuellement chassé et voit progressivement son habitat naturel réduit à peau de chagrin. En cause, une déforestation et une agriculture galopante. Le premier conflit mondial donnera le coup de grâce. "La dernière population de bison en Europe survivait dans la forêt de Bialowieza. Avant la Première Guerre mondiale, il en restait plus de 700, en 1919 , plus aucun", explique à Sciences et Avenir Katarzyna Daleszczyk scientifique au Bualowieza National Park. Finalement, le Bison bonasus finira par disparaître totalement à l’état sauvage quelques années plus tard. Selon le World Wide Fund (WWF), les derniers spécimens en liberté s’éteignent en 1927 en Pologne. Les rares survivants vivent alors en captivité. Soit 54 têtes, non-hybrides, mais issues de seulement 12 lignées différentes.
Et en France ? Chez nous aussi, le Bison d’Europe s'épanouissait. Mais désormais, l’hexagone ne dénombre plus un seul individu en totale liberté. Cependant, quelques zoos ou parcs animaliers regroupent des spécimens, comme à la Réserve des monts d'azur.
Des réintroductions progressives
Après la Seconde Guerre mondiale, des programmes pour réintroduire le bison se mettent en place. Aujourd'hui, les populations grossissent progressivement, en Roumanie dans la région des Carpates par exemple. En 2014, 17 ruminants y recouvraient leur liberté, suivie de 14 individus en 2015. "La première réintroduction en Roumanie s'est tenue en 2012 dans le Parc Naturel Vanatori Neamt. Ce groupe compte 25 bisons dont 5 nés en liberté. Plusieurs autres réintroductions sont prévues sur deux autres sites de la région", précise Razvan Deju le biologiste du parc. Mais d'ajouter que le taux de mortalité peut s'avérer élevé dans les petits groupes, notamment lorsque les premiers animaux à mourir sont des femelles.
A ce jour, la Roumanie compte donc quelques spécimens. Mais elle reste loin derrière la Biélorussie et ses 1000 bêtes. Puis la Pologne qui regroupe à elle seule 1200 ruminants, principalement dans la forêt de Bualowieza. Ce qui en fait le plus important peuplement du continent et une réintroduction réussite d'après Katarzyna Daleszczyk, "Il s'agit de la population sauvage la plus ancienne et elle s'est plutôt bien adaptée. Ils reçoivent de la nourriture en plus en hiver, de sorte que le taux de mortalité reste faible, environ 3-4% par an. L'alimentation complémentaire limite également les dégâts causés aux cultures dans les champs environnants."
Repeuplement : une tâche complexe
La réintroduction nécessite de prendre de très nombreuses précautions. "Il faut désigner des zones appropriées, avec suffisamment de ressources alimentaires pour l'année et assez d'espace pour qu'ils s'adaptent et s'introduisent naturellement dans un groupe structuré", explique à Sciences et Avenir Yvonne Kemp, chargée des relations publiques chez Rewilding Europe. L'une des difficultés majeures consiste en la reformation de groupes sociaux avec des individus issus de différentes réserves précise t-elle. Dans le cas où des animaux viendraient d'environnements plus clos, il faut appliquer un processus d'adaptation plus lent qui implique : une surveillance accrue des animaux, des contrôles vétérinaires et des sélections génétiques pour éviter le plus possible la consanguinité.
Yvonne Kemp, insiste sur un autre élément. "L'implication des communautés locales et des parties prenantes dans le processus de réintroduction est important. Parfois des mesures supplémentaires doivent être prises pour éviter les conflits avec l'homme, comme clôturer des cultures. Mais aussi sensibiliser localement sur l'importance écologique du bison et sur son potentiel pour attirer les visiteurs. Dès lors, l'idée de son retour peut susciter l'enthousiasme". Aspect pratique oblige, ces animaux jouent effectivement un rôle dans la pérennité des écosystèmes. Par exemple, les graines de plantes prises dans leur fourrure se dispersent plus facilement, le fumier va attirer certains insectes comme le bousier, des oiseaux utilisent les poils de l'animal pour construire leur nid, etc. Il s’agit aussi d'oeuvrer simplement à la survie du bison pour conserver de la diversité. "Nous voulons sauver une espèce très rare, l'une des dernières dites mégafaune (animal de grande taille) d'Europe et une relique des temps passés", affirme Katarzyna Daleszczyk.
Un problème de diversité
Cependant, une complication vient noircir le tableau. La réintroduction s’est faite à partir des spécimens restants. Soit un nombre très limité d'individus, avec une diversité génétique relativement faible. De plus, les troupeaux généralement petits et trop éloignés ne se rencontrent pas ou peu. Ce qui peut mener à des cas de consanguinité, donc à des problèmes de fertilité, d'affaiblissement du système immunitaire, etc. "La consanguinité implique une faible viabilité des individus et de la progéniture, une mauvaise résistance aux maladies etc." précise à Sciences et Avenir Razvan Deju. Rewilding Europe assure de son côté que les effets sur la santé des bisons restent encore méconnus :"Il n'existe aucune preuve d'une relation entre l'étroite similarité d'une base génétique et une susceptibilité plus élevée de contracter une maladie chez le bison". Mais principe de précaution oblige, le risque doit être minimisé au maximum. Même s'il semble difficilement évitable d'après Katarzyna Daleszczyk : " Ils sont déjà très consanguins puisqu'ils proviennent de seulement 12 ancêtres".
Aujourd’hui, le vieux continent compterait 6083 bêtes (un décompte effectué en 2015). Dont 4009 en liberté ou semi-liberté, majoritairement réparties sur huit pays. Principalement en Pologne, Biélorussie, Lituanie, Russie, Ukraine et dans une moindre mesure en Allemagne, Slovaquie et Roumanie. 1674 bisons demeurent captifs. Si les chiffres tendent à progresser et que le célèbre ruminant reprend lentement ses marques, il conserve toujours sa place dans la catégorie des espèces vulnérables.
Sciences et Avenir (17 février 2017)
Bisons d’Europe et d’Amérique : des espèces à distinguer
Malgré des traits communs et leur appartenance au genre Bison, les deux espèces se démarquent l'une de l'autre par plusieurs détails. Le corps du bison d’Europe (Bison bonasus) est plus grand mais plus mince que celui de son cousin américain (Bison bison). Ses membres sont plus longs et sa tête portée plus haute, car il vit dans les forêts et peut devoir s'élever pour se nourrir. La bosse est moins prononcée, sa toison moins fournie entre les cornes et sa queue recouverte de poils longs...
Le Bison bonasus évolue en prairie et forêt et se déplace généralement dans de petits troupeaux (20 animaux environ). Contrairement au Bison bison, un habitué des plaines et qui vit en grandes hardes atteignant parfois plus d'une centaine de bêtes. Côté poids et taille, les deux espèces sont à peu près identiques. Le bison mâle pèse de 600 à 1000 kg pour les plus gros spécimens. La femelle elle, entre 350 et 600kg. Pour une taille de 2,00 à 3,50 m et de 1,50 à 2,00 m pour la hauteur au garrot.