La sobriété heureuse de Pierre Rabhi

Publié le par Jean-Louis Schmitt

C’est un tout petit bonhomme, frêle, modeste et pourtant, quelle détermination ! A chacune de ses prestations, le père et chantre de l’agroécologie, le colibri qu’il incarne si parfaitement (1) fait salle comble… Sa parole est littéralement bue par un public qui lui est, d’avance acquit : c’est que Pierre Rabhi n’est pas un donneur de leçons mais bel et bien un témoin charismatique d’un mode de vie qui prône non seulement un certain retour à la Terre mais, surtout, le respect inconditionnel de celle-ci

"La Terre... Combien sommes-nous à comprendre cette glèbe silencieuse que nous foulons toute notre vie ? Pourtant, c'est elle qui nous nourrit, elle à qui nous devons la vie et devrons irrévocablement la survie".  Photo : Jean-Louis Schmitt

"La Terre... Combien sommes-nous à comprendre cette glèbe silencieuse que nous foulons toute notre vie ? Pourtant, c'est elle qui nous nourrit, elle à qui nous devons la vie et devrons irrévocablement la survie". Photo : Jean-Louis Schmitt

Pierre Rabhi sait indiscutablement de quoi il parle ! Aussi, il en parle bien. Calmement et sans hésitation aucune… La Terre, le terreau, l’Humain, l’humus… non seulement il connait mais, pas de doute, tout cela a donné un réel sens à sa vie ! Le petit homme partage volontiers son savoir, son expérience, tout ce qui a fait qu’il soit ce qu’il est aujourd’hui : un genre de guide qui, pour autant n’a rien d’un gourou et qui porte un regard pas toujours complaisant sur ses pairs ! Un regard lucide et sensé. Un regard juste…

Si Pierre Rabhi prône la sobriété c’est qu’il sait pertinemment que nos sociétés dites « modernes » ne peuvent continuer comme elles le font depuis des décennies : « La sobriété, ça veut dire ne pas prélever au-delà de ce qui nous est nécessaire, ne pas fabriquer de l’inutile au détriment de la ressource. Je n’accepte pas d’être appelé consommateur. Alors que la société produit des brigades de pousseurs de caddies »… Lui, le fils d’un forgeron, l’enfant du Sahara, l’ancien O.S. d’une usine de la région parisienne, lui qui au fil du temps est devenu un sage agissant, un jardinier « cultivant sans relâche l’insurrection des consciences et son jardin ardéchois » (2). Il dit la folie du système, la honte d’accepter qu’un être humain sur sept aujourd’hui ne mange pas à sa faim sur notre planète alors que, il en est intimement persuadé, la Terre peut nourrir l’ensemble de l’humanité… Mais, pour cela il faut de la volonté, du bon sens et sortir de ce paradigme infernal, de « ce système fou, aspirateurs des forêts, nos indispensables climatiseurs climatiques. Un système dévoreur de terres arables pour construire notre modernité : dix millions d’hectares de terres agricoles disparaissent chaque année dans le monde. Un système toxique qui rend les printemps silencieux… » (3).

La sobriété, l’exact contraire de ce que notre société attend de nous…

« La vie s’est installée sur Terre par coopération et par associativité ». Puis l’homme est arrivé et très vite, il a réussi à mettre le bazar… ». Théodore Monod, un autre sage, ne disait pas autre chose ! « Nous, nous avons instauré la dualité. Cela s’observe même dans l’éducation de nos enfants : dès le plus jeune âge, au lieu d’inscrire leur éducation dans le rapport de coopération, on leur demande d’être toujours le meilleur… L’ensemble de l’humanité doit prendre conscience de son inconscience, implore-t-il. Il faut vite se débarrasser de l’antagonisme, mettre l’humain et la nature au cœur de toutes les préoccupations, au lieu des PNB (produits nationaux bruts) et autres niaiseries qui reflètent l’asservissement humain. »

Si Pierre Rabhi met le doigt là où ça fait mal en nous rappelant que nous sommes d’irresponsables pillards, d’insatiables prédateurs « à la conquête de la domination de toute vie » il légitimise aussi son propos par la nécessité de parler vrai et de prôner un changement individuel refusant toutes ces aberrations qui n’ont de sens que pour les multinationales dont le seul crédo est l’avidité et le profit. « On déverse des substances chimiques qui portent atteinte à cette terre qui est vivante. On ne parle plus d’elle que comme d’un substrat. Aujourd’hui, on estime que 70 % du patrimoine semencier de la planète a déjà disparu. Un jour, au lieu de se souhaiter bon appétit, on se dira bonne chance… Quant aux graines manipulées pour ne pas pouvoir se reproduire, c’est un crime contre l’humanité, des stratégies criminelles… Notre insatiabilité détruit la vie. Alors que la nature est prodigalité : avec une simple graine de tomate, on peut produire des kilos de légumes. »… « Si chaque génération se mure dans son égoïsme en disant après moi le déluge, tout ce qu’on pourra transmettre à nos enfants c’est de la pénurie. D’où la nécessité de la modération. » La sobriété ! On y revient encore et toujours… Et Pierre Rabhi, le petit Homme venu d’Oran, continue d’avancer, sans bruit et sans éclat, s’appuyant sur sa propre expérience et répétant à l’envi la parabole du Colibri qui, inlassablement, courageusement, « fait juste sa part » (1)…

Pierre Rabhi, l’humaniste.

Tout à la fois, paysan, pionnier de l’agriculture écologique en France, Pierre Rabhi est également écrivain et philosophe. Ainsi, son manifeste pour Terre et Humanisme le résume parfaitement : « Plutôt que proclamer des vérités interprétables de mille manières selon les convenances de chacun, je préfère nous inviter mutuellement à nous unir pour servir et promouvoir des valeurs simples telles que la bienveillance à l'égard de ceux qui nous entourent, une vie sobre pour que d'autres puissent vivre, la compassion, la solidarité, le respect et sauvegarde de la Vie sous toutes ses formes ». Pierre Rabhi s’est évertué à « faire avant de faire savoir ».

La fondation qui porte son nom (4) sélectionne quantité de projets et accompagne leur mise en place. « Des programmes qui ont vocation à servir d’exemple, des projets à considérer comme source d’inspiration. L’économie de la connaissance plutôt que l’économie brevetée. L’effet domino s’additionne à l’effet papillon ! » (5). De petit et modeste paysan, Pierre Rabhi a indéniablement tracé sa route : il est désormais un homme respecté de tous, un « penseur qui nous invite à réfléchir, nous enseigne un retour à la simplicité où la perte de revenus sera compensée par une qualité de vie meilleure et un mode de vie plus respectueux de l’environnement » (6).

Pierre Rabhi est incontestablement un sage. Sa parole, son humanisme sont exemplaires et nous rappelle à chaque instant que si les hommes ont besoin de la nature pour vivre, la nature, elle, n’a pas besoin des hommes !

Le bon sens vous dis-je. Le bon sens tout simplement !

  1. « Colibri » tire son nom d’une légende amérindienne, racontée par Pierre Rabhi, son fondateur : Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
  2. Serge Orru dans « Pierre Rabhi, le fertile » (Editions Textuel).
  3. Ibidem
  4. http://www.epargne-en-conscience.fr/cms/uploads/fichiers/2013/Pourquoi%20le%20Fds%20Dot%20P.%20Rabhi.pdf >
  5. Ibidem-Serge Orru dans « Pierre Rabhi, le fertile » (Editions Textuel).
  6. Ibidem

Publié dans Portrait

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