Tchernobyl, il y a trente ans : Catastrophe durable
Il est 1 h 23 et 40 secondes dans la nuit du 25 au 26 avril 1986 quand, au terme d’un test de puissance mal maîtrisé, la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl explose. Un panache radioactif s’en échappera pendant plus de dix jours et touchera l’Alsace dès le lendemain. 30 ans après, une série de commémorations rappelle les risques sanitaires du nucléaire.
En 2014 le carottage à Durmenach a confirmé la persistance de césium 137 dans le sol. Photo archives DNA
En enregistrant une forte hausse de la radioactivité sur son territoire, c’est la Suède, premier pays non soviétique touché par le panache, qui alertera la communauté internationale le 28 avril. L’URSS, via l’agence Tass, est dès lors obligée de reconnaître qu’un des réacteurs de sa centrale nucléaire de Tchernobyl, à proximité de Kiev en Ukraine, « avait été endommagé ». On apprendra plus tard que le réacteur n° 4 a été littéralement soufflé par une explosion d’une puissance équivalente à 200 fois la bombe d’Hiroshima.
Une cinquantaine de décès (pompiers, liquidateurs) directement imputables à la catastrophe, des dizaines voire des centaines de milliers de morts de leucémie, de maladie de la thyroïde ou de cancer, des centaines de milliers de déplacés, un environnement durablement pollué… Les bilans, compliqués à établir, font toujours l’objet de controverses.
Mais les autorités soviétiques n’ont pas été les seules à tenter de travestir la réalité. Adoptant une stratégie de communication d’un autre âge, la France a nié avec un aplomb surréaliste tout risque sanitaire. « Je mange de la salade tous les jours » se vantait à l’époque le préfet du Haut-Rhin, alors qu’outre-Rhin la consommation de légumes ou de lait frais était déconseillée. Les régions de l’Est de la France, de la Corse à l’Alsace, ont pourtant bel et bien été contaminées par l’iode 131 pendant les quelques jours qui ont suivi la catastrophe et par le césium 137 dont on trouve encore trace dans le sol alsacien 30 ans plus tard. De nombreuses études ont pointé par la suite la nette augmentation des cancers et pathologies de la thyroïde après le passage du nuage de Tchernobyl.
Des sols toujours contaminés
Agacée par le nuage arrêté à la frontière, l’Alsace a été la première région à se doter d’outils indépendants de mesure de la radioactivité. Un certain Philippe Richert, alors président de la commission environnement du conseil régional, y a joué un rôle, avec l’ASPA d’abord pour ce qui est des mesures de la radioactivité dans l’air, puis avec la Criirad pour les prélèvements dans le sol.
Faisant preuve d’un sens aigu de l’euphémisme, Philippe Richert dit avoir été à l’époque « comme d’autres, surpris de l’attitude des autorités françaises ». Avec l’accord de Marcel Rudloff et pour en avoir le cœur net, « la Région a été la première à s’impliquer, malgré l’opposition du préfet et de la DRIRE ».
Les campagnes de mesure ainsi financées ont bel et bien montré que l’Alsace a été l’une des régions les plus touchées en France par les retombées radioactives de la catastrophe de Tchernobyl.
Le conseil régional a financé deux campagnes de mesure de la radioactivité des sols, la première en 1989-90 sur 66 sites, la seconde en 1998 sur 28 sites. Les premières mesures du césium 137 (qui n’existe pas à l’état naturel et donc résidu le plus marquant de la catastrophe de Tchernobyl) ont révélé des valeurs qui dépassaient souvent 10 000 becquerels par m² (seuil au-delà duquel les sols sont considérés comme contaminés), voire supérieures à 30 000 Bq/m² comme à Diebolsheim près de Sélestat. En d’autres lieux, épargnés par les pluies du 2 mai 1986 au moment du passage du nuage, les taux étaient bien inférieurs mais restaient mesurables, contredisant les chiffres officiels du SCPRI (service central de protection contre les rayonnements ionisants).
La deuxième campagne de mesure a montré un recul de la radioactivité, mais régulièrement, des histoires de sangliers ou de champignons vosgiens continuaient de défrayer la chronique.
À l’initiative de l’association Les Enfants de Tchernobyl et de six communes soucieuses de suivre l’évolution, de nouveaux carottages ont été effectués en 2014 par la Criirad : les résultats confirment la persistance de la contamination, faible mais chronique, qui diminue au rythme de la décroissance radioactive du césium 137. Sa période radioactive (durant laquelle la moitié des atomes se désagrège naturellement) est de 30 ans.
Dans 300 ans, ce sera de l’histoire ancienne.
DNA-S.W. 23/04/2016