Quand le dernier arbre…
La chute d’un arbre, qu’il soit au bord d’une route, dans un parc, une forêt ou un verger, provoque toujours en moi une immense tristesse : on a beau dire mais, un arbre est un être vivant et sa disparition ne peut laisser indifférent quiconque respecte le vivant en général !
Autant dire que depuis quelque temps, mon affect est régulièrement titillé tant les tronçonneuses sont actives ! Ainsi, concernant le domaine public, il est notable que les arbres de bord de route semblent particulièrement visés par des mesures d’abattage drastiques que l’on pourrait quasiment comparer à quelque chose qui ressemble à une… éradication : de fait, progressivement, tombent l’un ou l’autre si ce ne sont des allées entières de ces monuments végétaux qui, depuis des lustres, accompagnent nos déplacements routiers !
Motif invoqué : la sacro-sainte sécurité routière !
En effet, c’est bien connu : régulièrement, certains arbres pris sans doute d’un accès de folie subit, se jettent sans prévenir sur les voitures de passage provoquant près de 11% des tués de la route…(1). Aussi, les préfets ont-ils pour consigne de répertorier tous les arbres présentant un quelconque danger et de prendre les mesures adaptées pour inverser la tendance de l’hécatombe ! Depuis lors, les tronçonneuses ne refroidissent pour ainsi dire pas et… les belles allées qui ombrageaient jusque-là nos trajets, disparaissent doucement mais sûrement dans une indifférence presque générale !
En effet, on ne peut pas dire que le phénomène suscite beaucoup de réactions ou d’indignation : à part quelques associations soucieuses du problème, les usagers semblent pour la majorité totalement résignés si ce n’est complètement insensibles au drame qui se joue sous leurs yeux ! Voilà qui en dit long sur le degré d’intérêt d’une grande partie de nos contemporains face à la destruction des paysages méthodiquement orchestrée en haut lieu…
Il suffit d’un accident pour que d’aucuns pseudo-techniciens ne se saisissent de l’opportunité pour faire abattre un alignement complet de beaux et vénérables arbres, datant parfois du 19ème siècle !
La voiture reine
Depuis des décennies tout, dans notre pays, est fait pour privilégier la voiture et la vitesse sur les routes : on augmente le réseau, on élargit les petites routes, on supprime les virages et, enfin, on fait table rase des platanes et tous les autres végétaux qui embellissaient quelque peu les axes routiers ! Étrangement, on s’étonne que le nombre d’accidents et particulièrement, de morts, augmente d’année en année ce qui démontre que, soit les décideurs n’ont vraiment rien compris à la problématique… ou alors que leurs intérêts sont communs à ceux des bétonneurs et autres investisseurs !
Pour en revenir à nos arbres : ce ne sont bien évidemment pas eux les responsables des accidents mais bel et bien les comportements parfois complètement inconscients voire stupides de certains conducteurs eux-mêmes !
Le platane dans lequel vient s’encastrer un véhicule risque certes d’aggraver les conséquences d’une sortie de route mais, en aucun cas, le fait de couper l’ensemble des arbres ne résoudra l’épineux problème comportemental des usagers !
Biodiversité…
En des temps où l’on met ce vocable à toutes les sauces, il est paradoxal de constater qu’on continue de tout faire en dépit du bon sens ! Les arbres, justement, sont d’une nécessité et d’une richesse considérables par le fait qu’ils participent à l’accueil et au développement de nombreuses autres espèces animales ou végétales (lichens, champignons, insectes, oiseaux, chauves-souris…) ! L’effet de coupe-vent n’est pas négligeable non plus : il suffit pour cela d’observer les congères qui se forment régulièrement là où tout végétal de bord de route a été banni… Enfin, élément non négligeable : les arbres et, tout particulièrement certains alignements, embellissent de manière significative un environnement qui, par ailleurs, ne cesse de se désertifier…
Georges Pompidou (2) –alors président de la république- était très sensible à ce dernier point et s’était élevé contre une circulaire d’un de ses ministres –celui de l’équipement, à savoir Jacques Chaban-Delmas-, qui (déjà !) souhaitait rendre l’abattage des arbres de bord de route systématique sous prétexte de sécurité !
Dans un courrier adressé à son ministre, visiblement ulcéré, il disait notamment ceci : « Il est à noter (…) que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes — et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes — est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain. La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté ! ».
Près d’un demi-siècle plus tard, il semblerait qu’en haut lieu, on soit toujours aussi enclin à commettre les mêmes erreurs sous des prétextes vaguement fumeux et éculés ! Pour protéger les automobilistes contre eux-mêmes, d’autres méthodes que l’abattage systématique des arbres existent, comme les radars afin que soient effectivement respectées les limitations de vitesse, ou encore les rails de sécurité pour empêcher les chauffards de s’encastrer dans les platanes !
Pourquoi ne pas tout simplement… planter des arbres ?
Diverses études démontrent l’effet positif des arbres sur la sécurité routière ! Effet positif « lié notamment à leur capacité à signaler efficacement les virages, carrefours, entrées d’agglomération et à rendre la vitesse perceptible par le défilement des arbres, a également été mis en relation avec leur caractère esthétique. Il se traduit par un abaissement significatif de la vitesse et une prudence accrue (…) la question de la sécurité routière peut et doit donc se traiter autrement que par des mesures concernant les arbres. » (3).
Contrairement à d’autres pays européens –comme la Suède, le Luxembourg, l’Allemagne, la République Tchèque ou encore la Grande-Bretagne- qui ont placé les arbres d’alignement sous la protection de la loi pour leur rôle écologique, paysager et culturel, la France s’obstine à dénaturer l’environnement et, pour autant, ne se prive pas de donner de doctes leçons aux autres...
- Selon Jacques Robin, ancien ingénieur routier et membre de la Ligue contre la violence routière (20 Minutes/AFP dans l’article « Sécurité routière : les arbres au bord des routes sont-ils dangereux ? » daté de septembre 2010).
- Georges Pompidou (1911-1974), homme d'État français. Il est le 19e président de la République française du 20 juin 1969 au 2 avril 1974.
- D’après Chantal Pradines, experte auprès du Conseil de l’Europe sur les questions de paysage et qui travaille et milite depuis des années contre ces massacres (Politis 28 janvier 2015).
“Quand le dernier arbre aura été coupé/Quand la dernière rivière aura été empoisonnée/Quand le dernier poisson aura été attrapé/Seulement alors l’Homme se rendra compte que l’argent ne se mange pas” (Proverbe amérindien).