Quand le dernier arbre…

Publié le par Jean-Louis Schmitt

La chute d’un arbre, qu’il soit au bord d’une route, dans un parc, une forêt ou un verger, provoque toujours en moi une immense tristesse : on a beau dire mais, un arbre est un être vivant et sa disparition ne peut laisser indifférent quiconque respecte le vivant en général !

Photo : JLS

Photo : JLS

Autant dire que depuis quelque temps, mon affect est régulièrement titillé tant les tronçonneuses sont actives ! Ainsi, concernant le domaine public, il est notable que les arbres de bord de route semblent particulièrement visés par des mesures d’abattage drastiques que l’on pourrait quasiment comparer à quelque chose qui ressemble à une… éradication : de fait, progressivement, tombent l’un ou l’autre si ce ne sont des allées entières de ces monuments végétaux qui, depuis des lustres, accompagnent nos déplacements routiers !

Motif invoqué : la sacro-sainte sécurité routière !

En effet, c’est bien connu : régulièrement, certains arbres pris sans doute d’un accès de folie subit, se jettent sans prévenir sur les voitures de passage provoquant près de 11% des tués de la route…(1). Aussi, les préfets ont-ils pour consigne de répertorier tous les arbres présentant un quelconque danger et de prendre les mesures adaptées pour inverser la tendance de l’hécatombe ! Depuis lors, les tronçonneuses ne refroidissent pour ainsi dire pas et… les belles allées qui ombrageaient jusque-là nos trajets, disparaissent doucement mais sûrement dans une indifférence presque générale !

En effet, on ne peut pas dire que le phénomène suscite beaucoup de réactions ou d’indignation : à part quelques associations soucieuses du problème, les usagers semblent pour la majorité totalement résignés si ce n’est complètement insensibles au drame qui se joue sous leurs yeux ! Voilà qui en dit long sur le degré d’intérêt d’une grande partie de nos contemporains face à la destruction des paysages méthodiquement orchestrée en haut lieu…

Il suffit d’un accident pour que d’aucuns pseudo-techniciens ne se saisissent de l’opportunité pour faire abattre un alignement complet de beaux et vénérables arbres, datant parfois du 19ème siècle !

La voiture reine

Depuis des décennies tout, dans notre pays, est fait pour privilégier la voiture et la vitesse sur les routes : on augmente le réseau, on élargit les petites routes, on supprime les virages et, enfin, on fait table rase des platanes et tous les autres végétaux qui embellissaient quelque peu les axes routiers ! Étrangement, on s’étonne que le nombre d’accidents et particulièrement, de morts, augmente d’année en année ce qui démontre que, soit les décideurs n’ont vraiment rien compris à la problématique… ou alors que leurs intérêts sont communs à ceux des bétonneurs et autres investisseurs !

Pour en revenir à nos arbres : ce ne sont bien évidemment pas eux les responsables des accidents mais bel et bien les comportements parfois complètement inconscients voire stupides de certains conducteurs eux-mêmes !

Le platane dans lequel vient s’encastrer un véhicule risque certes d’aggraver les conséquences d’une sortie de route mais, en aucun cas, le fait de couper l’ensemble des arbres ne résoudra l’épineux problème comportemental des usagers !

Biodiversité…

En des temps où l’on met ce vocable à toutes les sauces, il est paradoxal de constater qu’on continue de tout faire en dépit du bon sens ! Les arbres, justement, sont d’une nécessité et d’une richesse considérables par le fait qu’ils participent à l’accueil et au développement de nombreuses autres espèces animales ou végétales (lichens, champignons, insectes, oiseaux, chauves-souris…) ! L’effet de coupe-vent n’est pas négligeable non plus : il suffit pour cela d’observer les congères qui se forment régulièrement là où tout végétal de bord de route a été banni… Enfin, élément non négligeable : les arbres et, tout particulièrement certains alignements, embellissent de manière significative un environnement qui, par ailleurs, ne cesse de se désertifier…

Georges Pompidou (2) –alors président de la république- était très sensible à ce dernier point et s’était élevé contre une circulaire d’un de ses ministres –celui de l’équipement, à savoir Jacques Chaban-Delmas-, qui (déjà !) souhaitait rendre l’abattage des arbres de bord de route systématique sous prétexte de sécurité !

Dans un courrier adressé à son ministre, visiblement ulcéré, il disait notamment ceci : « Il est à noter (…) que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes — et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes — est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain. La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté ! ».

Près d’un demi-siècle plus tard, il semblerait qu’en haut lieu, on soit toujours aussi enclin à commettre les mêmes erreurs sous des prétextes vaguement fumeux et éculés ! Pour protéger les automobilistes contre eux-mêmes, d’autres méthodes que l’abattage systématique des arbres existent, comme les radars afin que soient effectivement respectées les limitations de vitesse, ou encore les rails de sécurité pour empêcher les chauffards de s’encastrer dans les platanes !

Pourquoi ne pas tout simplement… planter des arbres ?

Diverses études démontrent l’effet positif des arbres sur la sécurité routière ! Effet positif « lié notamment à leur capacité à signaler efficacement les virages, carrefours, entrées d’agglomération et à rendre la vitesse perceptible par le défilement des arbres, a également été mis en relation avec leur caractère esthétique. Il se traduit par un abaissement significatif de la vitesse et une prudence accrue (…) la question de la sécurité routière peut et doit donc se traiter autrement que par des mesures concernant les arbres. » (3).

Contrairement à d’autres pays européens –comme la Suède, le Luxembourg, l’Allemagne, la République Tchèque ou encore la Grande-Bretagne- qui ont placé les arbres d’alignement sous la protection de la loi pour leur rôle écologique, paysager et culturel, la France s’obstine à dénaturer l’environnement et, pour autant, ne se prive pas de donner de doctes leçons aux autres...

Photo : JLS

Photo : JLS

  1. Selon Jacques Robin, ancien ingénieur routier et membre de la Ligue contre la violence routière (20 Minutes/AFP dans l’article « Sécurité routière : les arbres au bord des routes sont-ils dangereux ? » daté de septembre 2010).
  2. Georges Pompidou (1911-1974), homme d'État français. Il est le 19e président de la République française du 20 juin 1969 au 2 avril 1974.
  3. D’après Chantal Pradines, experte auprès du Conseil de l’Europe sur les questions de paysage et qui travaille et milite depuis des années contre ces massacres (Politis 28 janvier 2015).

“Quand le dernier arbre aura été coupé/Quand la dernière rivière aura été empoisonnée/Quand le dernier poisson aura été attrapé/Seulement alors l’Homme se rendra compte que l’argent ne se mange pas” (Proverbe amérindien).

Publié dans Point de vue

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D
Je partage complètement votre point de vue ; il y a une vingtaine d'années alors que nous quittions Honfleur pour nous rendre à Trouville par une jolie petite route, nous avons été déviés car "on" abattait tous les arbres de chaque côté de cette route sous prétexte qu'un (un!!!!) automobiliste avait trouvé la mort en percutant l'un d'eux; à croire que c'est l'arbre qui s'était déplacé pour aller percuter sa voiture. <br /> <br /> Dramatique en soi mais pis encore; c'était le début du printemps : les nids, les œufs, les oisillons…<br /> <br /> Que penserait un humain d'un individu d'une autre espèce, ou pas, qui viendrait détruire sa maison et tuer ses enfants au berceau ???<br /> <br /> Cela a gâché mon séjour
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D
C’est bien pareil partout !<br /> <br /> M'étant ému ou plutôt indigné en raison de l'abattage de 15 arbres trentenaires (parfaitement sains) dans mon lotissement j'ai sollicité un rendez-vous auprès du maire de ma commune (47240).<br /> Après 30 minutes d’entrevue, l'édile, par ailleurs "responsable environnement de la communauté des communes", a conclu notre entretien en ces termes: "on ne va tout de même pas pleurer pour quelques arbres"…<br /> <br /> Six mois après, on peut compter non pas 15 mais 50 souches !<br /> S'agissant de l'ultime et dérisoire "filtre à poussières" et "mur antibruit" qui nous séparait de la route et de la zone industrielle toute proche et voyant à la place de la frondaison des arbres des bâtiments industriels hideux, j'ai aujourd’hui bien plus que des envies de pleurer…<br /> <br /> La route évoquée ci-dessus qui relie notre commune à notre voisin, bordée de magnifiques chênes serpentait à travers champs. Un beau jour, la trouvant trop sinueuse, les élus d'alors la firent rectifier en une belle ligne droite de 2 km, véritable "pousse au crime" pour le plus sage des automobilistes un tant soit peu pressé !<br /> <br /> Dernière nouveauté: "En raison des incivilités de bon nombre de conducteurs" (transit) il sera construit, un nouveau rond-point qui nécessitera, je vous le donne en mille, l'abattage des trois derniers chênes, et ce à quelques mètres de l'endroit où pédagogiquement ou par simple démagogie avaient symboliquement reboisé la planète en plantant trois "râteaux", le tout devant la presse locale, les élèves du CM, leurs instituteurs et les élus municipaux (il fallait bien qu'ils soient sur la photo aussi !).<br /> <br /> Je pourrais également évoquer les pruniers en bordure de champs arrachés les uns après les autres, les dernier vrais pommiers remplacés par des km de pseudos vergers en espaliers dont les fruits abondamment traités aux pesticides et aux gaz d’échappement tout au long de l'année, n'ont plus aucun goût, les platanes sacrifiés par des motards ou automobilistes en colère qui, ayant perdu l'un des leurs, vengent sa mort en abattant symboliquement quelques arbres encore debout, comme si ceux-ci étaient responsables de la connerie humaine !<br /> <br /> Drôle d'époque, drôle de gens, drôles d'élus… Il y a décidément trop de choses que je ne comprends plus !<br /> <br /> Par ailleurs : Jean-Louis doit se souvenir des méandres ombragés et sauvages de la Sauer de notre enfance, transformés un beau jour sur des kilomètres en un canal aux allures de fossé stérile : adieu depuis lors les zones humides évoquées dans un des articles précédents… <br /> Il y aurait tant d’autres choses à dénoncer encore !
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J
En plus de l'arbre que l'on détruit il y a tout l´ecosysteme qu'il abritait. Comme toujours, on casse sans réfléchir sans concertation, sans intelligence. Quand à l'automobiliste qui ne percutera plus l'arbre arraché, il se tapera le fossé ce qui en termes de traumatologie n'est pas mieux.
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J
Je suis à chaque fois ébahi par les diverses justifications avancées lorsqu’il s’agit de faire tomber un arbre, a fortiori lorsqu’il est question d’une allée complète… Bien entendu — et parfois à juste titre —, on évoque le danger des branches susceptibles de tomber sur la chaussée ou sur un véhicule, les feuilles qui rendent la route glissante etc. Pour autant, la réplique à ces « agressions » m’apparaît comme démesurée et vaguement radicale ! C’est un peu comme si, parce qu’un individu présente un danger potentiel, on mettait hors d’état de nuire toute une communauté et ce qu’il soit question d’humains, d’animaux ou, comme présentement, de végétaux !<br /> <br /> Une fois encore, l’adage « Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage » trouve dans ce débat stérile tout son sens car on semble balayer un peu vite que ce qui cause véritablement problème ce ne sont ni les arbres, ni les routes mais bel et bien le trafic incessant de milliers de véhicules que rien ne doit entraver ! La circulation, véritablement infernale, n’épargne rien ni personne sur son passage et, malgré les nombreux drames qu’elle engendre quotidiennement, on continue à la privilégier envers et contre tout et, surtout, au détriment de la nature…<br /> <br /> Concernant les arbres sacrifiés : à quand une simple règle de bon sens qui obligerait les particuliers tout comme les collectivités à replanter systématiquement au minimum autant de végétaux que ceux qu’ils abattent ?
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M
Habitant de Salenthal depuis toujours, je me réjouis tout particulièrement lorsque des mesures sont prises afin d’agrémenter le village d’une part et de préserver l’environnement d’autre part ! <br /> <br /> En marge de la COP21, l’opération « Un arbre pour le climat » relayée par la municipalité et consistant à planter des végétaux pour le climat et la biodiversité a naturellement bénéficiée de mon inconditionnel soutien.<br /> <br /> Cependant, quelle ne fut pas ma stupeur lorsque, l’autre jour, je tombais littéralement sur une nouvelle scène de destruction : toute une rangée de quetschiers méthodiquement déracinés, arrachés à la terre généreuse et gisant lamentablement au sol ! L’odieux massacre a eu lieu à quelques dizaines de mètres des premières habitations du village, jetant une juste consternation sur les riverains tout aussi stupéfaits par cet acte que je l’étais moi-même !<br /> L’auteur des faits identifié s’avère être un membre de l’équipe municipale : à l’évidence celui-ci, multirécidiviste, n’a pas saisi le sens de l’opération « Un arbre pour le climat » dont il semble par ailleurs se moquer copieusement !<br /> <br /> Si les motivations destructrices de l’individu sont confuses, l’absence de toute sensibilité à l’égard du végétal ne fait, en revanche, aucun doute ! Sans doute est-ce là sa conception toute particulière du nouvel aménagement foncier qui se profile à l’horizon…<br /> En attendant : quelle tristesse de constater cette nouvelle agression contre notre patrimoine arboricole !
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