Subventions à la pêche : l’association Bloom dénonce l’opacité de l’Etat français

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Les défenseurs des océans ont déposé un recours contre l’administration, qui gère l’argent européen censé permettre le passage à une pêche durable, et refuse de communiquer certaines données sur le secteur.

Des bateaux de pêche au large de Grandcamp-Maisy, dans le Calvados, en octobre 2018. Photo : Joël Saget/AFP

Le temps des pêches miraculeuses est terminé. Les captures de poissons et de crustacés n’augmentent plus dans le monde depuis les années 1990, selon les statistiques officielles de la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Des techniques de traque de plus en plus sophistiquées, des bateaux de plus en plus puissants, rapides et capables de jeter leurs engins de plus en plus loin des côtes, ont contribué à épuiser la ressource halieutique.

C’est la raison pour laquelle les défenseurs de l’océan pistent, eux, les subventions publiques, comme des facteurs déterminants du développement de pratiques de pêche trop efficaces. Lundi 21 janvier, l’association Bloom a déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris « pour excès de pouvoir de l’Etat ». Mardi matin, elle en informait les médias lors d’une conférence de presse. Elle reproche à l’administration de la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPAM) de lui refuser avec constance l’accès à certaines données indispensables à l’analyse des aides au secteur de la pêche.

A l’échelle mondiale, le dossier pèse lourd. L’Organisation des nations unies elle-même s’émeut de l’argent public qui a favorisé la mutation d’une industrie estimée à 3 000 milliards de dollars par an (soit environ 5 % du PIB mondial). Elle constate que non seulement ce genre de financements participent « à l’épuisement rapide de nombreuses espèces de poissons », mais empêchent aussi « les efforts de sauvetage et de restauration de la pêche mondiale et des emplois qui y sont liés, générant une perte de 50 milliards de dollars par an ». L’Objectif de développement durable dédié à l’océan, l’ODD 14, demande donc leur interdiction d’ici à 2020, tout en tenant compte du cas des pays les moins développés. Des négociations pour en finir avec ces subventions sont en cours dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – sans empressement excessif.

L’Union européenne a, pour sa part, décidé, lors de la dernière réforme de la politique commune de la pêche, de consacrer durant la période 2014-2020, 6,4 milliards d’euros pour aider le secteur à évoluer, en principe vers une pêche durable. A l’origine, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le Feamp, a été ainsi doté de façon à financer le contrôle des méthodes de pêche et l’amélioration des données de capture qui servent à établir l’état de santé des stocks de poissons, mais surtout pour permettre l’évolution de la pêche et de l’aquaculture vers des pratiques plus vertueuses, moyennant 4,3 milliards d’euros. Cependant des associations écologistes dénoncent sous l’intitulé « développement durable » une appellation suffisamment floue pour englober toutes sortes d’initiatives.

« Avec ça, il est possible de financer des aires marines protégées comme des “innovations”, ce qui peut désigner des engins comme la senne danoise ou le chalut électrique ! », résume Frédéric le Manach, directeur scientifique de Bloom. Ces techniques peuvent s’avérer avantageuses pour leur moindre consommation de carburant par exemple, mais produire des effets mal connus sur les populations de merlan, lieu jaune, plies. Or, les Etats membres disposent d’une grande marge de manœuvre dans l’attribution des subsides du Feamp. La France peut, elle, tabler sur 588 millions d’euros de cette enveloppe budgétaire, sans compter le montant des subventions que l’Etat et les collectivités locales accordent en complément et que la Cour des comptes avait fustigées il y a quelques années. Or, Paris ne brille pas par sa transparence en la matière.

« Information inaccessible »

A l’issue de quatre années d’échange de courriers, la DPAM – qui n’a pas répondu aux sollicitations du Monde –, n’a fourni à Bloom que des « données incomplètes et de mauvaise qualité, inexploitables donc », selon Frédéric Le Manach. Son association souhaite connaître l’identité des bénéficiaires de subventions, les régions où celles-ci ont été distribuées et surtout à quoi elles ont servi. Saisie à deux reprises, la Commission d’accès aux documents administratifs a, à chaque fois, donné raison à leurs demandes. En vain.

Les militants regrettent surtout de ne pas avoir obtenu gain de cause au sujet des subsides du Fonds européen pour la pêche, prédécesseur du Feamp. Il leur manque deux années de statistiques, de 2014 à 2016. « L’information n’a cessé de se complexifier, devenant inaccessible au fur et à mesure que Bruxelles en a confié le soin aux Etats », regrette Frédéric Le Manach. L’enjeu est de taille : en 2013, la révélation de l’important soutien des pouvoirs publics à la flotte d’Intermarché avait grandement servi la croisade de Bloom contre le chalutage en eau profonde.

 

Martine Valo/Le Monde (22.01.2019)

 

 

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C
Des gouffres financiers et publics injectés dans un secteur qui là encore n'évolue pas dans ses pratiques mais développe une industrialisation et une technologie de traques et de captures de plus en plus performants, au détriment des mers et océans saccagés.<br /> <br /> L'Europe là encore subventionne sans discernement les plus destructeurs et entretien ainsi la prédation de nos environnements et un véritable pillage des ressources, au détriment de la Biodiversité, de la Vie et dans le même temps de l' "a-venir".
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D
un vrai problème qu'il est bon de mettre en évidence, dans ce domaine comme dans l'autres, on fait n'importe quoi
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Z
Plus aucune illusion dans ce domaine-là comme dans d'autres! <br /> Et mettons aussi sous le tapis les dégâts collatéraux de cette pèche industrielle !
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J
Ne nous berçons pas d’illusions : les subventions ne vont très certainement pas à ceux qui en auraient le plus besoin, en l’occurrence les ‘’petits’’ pêcheurs mais très vraisemblablement aux grosses sociétés dont les flottes gigantesques vident les mers et les océans à une allure folle, tuant au passage la pêche artisanale et qui est, elle, durable… En fait sur terre comme en mer, le problème est rigoureusement le même : on donne beaucoup à ceux qui ont beaucoup (V/s l’agriculture intensive au détriment des producteurs bio…) et on laisse mourir les autres sans vraiment s’en émouvoir…
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O
Très juste J.Louis, nous nous berçons d'illusions. Pas de solutions face à l'avidité, au goût immodéré pour le profit, le court terme ou selon, l'absence de vision à long terme. Nous nous mobilisons pour une pêche raisonnable, nous espérons un sursaut. Désolé mais c'est sans espoir, pendant que l'U.E bricole des textes ambigus, le pillage généralisé se poursuit ici et ailleurs. Alors au lieu de nous laisser aller au pessimisme, gobons la dernière huître, dégustons la dernière sole et rions avec B. Lapointe, car la maman des poissons n'a plus d'avenir.