À Notre-Dame-des-Landes, la Zad reprend son souffle

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Ce week-end à Notre-Dame-des-Landes, la présence militaire s’est faite discrète. Profitant de ce répit, le quotidien de la Zad a repris, entre chantiers collectifs et assemblées. Pourtant, toutes et tous se préparent à une nouvelle intervention.

Il fait beau et chaud sur la Zad. Aucun fourgon de gendarmerie en vue sur l’ancienne route des chicanes, ni d’hélicoptère. Juste les premières hirondelles, de retour dans le bocage. S’il n’y avait pas cette subite disparition des cabanes de l’est de la zone, détruites et déblayées, on pourrait croire que les affrontements des deux dernières semaines n’étaient qu’un mauvais rêve.

Ce samedi midi 21 avril, alors que les cantines ont mis les bouchées doubles pour nourrir les dizaines de personnes venues soutenir les habitants, la fin de repas s’éternise à Bellevue. Camille, grand gaillard, électricien de profession, revient à sa manière sur les affrontements survenus la semaine précédente : « Après une nuit sur les barricades, cela devait faire une semaine que je ne m’étais pas lavé, je décide d’aller à l’étang pour me baigner. J’arrive et sans réfléchir, je me mets à poil et je plonge, sans aucune gêne. D’un coup j’ai réalisé que c’était la première fois que je faisais ça, et je me suis dit que j’avais été bête jusque-là ! »

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« Ici, tu découvres des trucs que t’aurais jamais pensé, poursuit-il. L’autre jour, je creusais une tranchée à la pioche. On faisait des petites pauses de temps en temps. Et moi j’avais le sourire. Alors que si j’avais été en train de creuser une tranchée pour les travaux publics, j’aurais fait la gueule ! Même tes rêves sont trop cools ici ! »

Ranger du bois, faire des banderoles, creuser des tranchées

Un peu plus loin, un autre Camille, habitant de Bellevue et vêtu d’une combinaison de paysan, finit de palabrer avant de se remettre au boulot. « Si on arrête nos activités quotidiennes, l’État aura gagné, sans même nous expulser. On a repris des chantiers, là on débarde du bois pour le chauffage et le four à pain. Ça montre qu’on se projette encore ici, qu’on sera encore là l’hiver prochain », explique-t-il.

Autre activité, à La Grée, on s’affaire à construire des dortoirs pour loger les habitants dont les cabanes ont été détruites, ainsi que pour les militants venus en soutien. « C’est l’énergie collective, on construit sans se poser de question », confie l’un des participants. Juste à côté, Caroline et Brunhilde, elles, participent à l’effort collectif en « apportant des bonnes vibrations » par la musique, tandis qu’un autre groupe répète des chants révolutionnaires.

Certains militants profitent simplement du week-end pour faire une petite visite. Comme Pico, venu de Maine-et-Loire avec ses amis : « On vient en soutien, pour dire non aux violences policières, et non à l’État, mais aussi pour pouvoir expliquer ce qu’il se passe ici à ceux qui n’y sont pas. Beaucoup de gens nous remercient de leur donner des informations sur la vie alternative qui se développe ici. »

 

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Pico et Guillaume déguisés en prisonniers : « Ici c’est un monde de liberté, et on ne veut pas rester enfermés dans le monde du travail ».

Pour protéger d’un éventuel nouvel assaut ce qu’il reste de l’est de la zone, des chicanes sont en cours de construction. « On vient d’arriver, les gens nous ont dit qu’il fallait creuser des trous, alors on creuse », témoigne une jeune Camille. Camilla, elle, la quarantaine et l’accent italien, prépare une banderole pour accompagner un « clown Macron », et alpague ceux qui passent, à la recherche du jeu de mot le plus fin. « Dès maintenant on retrouve l’esprit de la Zad : la liberté de créativité et d’expression », savoure-t-elle.

La violence des affrontements reste dans toutes les têtes

Pourtant, les souvenirs des affrontements avec les gendarmes mobiles sont toujours là. « J’ai eu besoin de faire une pause car j’étais à bout. On reçoit beaucoup de violence ici, mais je ne me rendais pas compte de ce que je vivais. Je suis allée chez une amie, pour me reposer, et j’ai fait des cauchemars : j’entendais des explosions la nuit, l’hélicoptère, j’étais encore sous le choc. »

Gérard, médecin et habitant des Fosses noires, confirme : « Les gendarmes étant moins présents, tout le monde se relâche vraiment maintenant. Et c’est la qu’on voit ressortir des chocs non immédiats. Des gens qui craquent et pleurent sans raison, ont besoin qu’on s’occupe d’eux. On a besoin de se retrouver pour parler, de renouer avec les relations sociales toutes simples sans penser barricade et protection. » « Ceux qui ont vécu Sivens sont en angoisse complète, ils ont peur que la prochaine répression soit plus forte encore », renchérit sa voisine.

La violence des affrontements, qui ont fait plus de 270 blessés, est dans toutes les têtes. « Forcément, on a tous peur qu’il y ait un mort, avoue un Camille constructeur. Il a failli y en avoir un à Tolbiac : ici ou ailleurs, la répression d’État a toujours lieu. »

Au carrefour de la Saulce, entre deux coups de pioche dans l’asphalte, Camille s’interroge : « Est-ce que les gens se rendent compte de ce que c’est d’avoir un tank en face de soi ? Simplement parce qu’on défend le droit à la différence. Parce qu’on ne veut plus de cette farce de soi-disant démocratie. Des gens comme moi, des prolos, qui veulent juste une alternative, on sera toujours plus nombreux. »

Les nouvelles négociations sont loin de faire l’unanimité

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La déambulation des troupes de l’imaginaire.

Les moments de lutte ont renforcé beaucoup de liens. « On a vu au front des gens qui n’avaient jamais fait ça, comme des comédiens ou des dessinateurs, mais qui étaient poussés par une sorte de conviction populaire », analyse Julien, à l’Ambazada. Mais maintenant, les nouveaux venus commencent à prendre du recul. Les assemblées générales se multiplient, sur chaque lieu de vie et pour l’ensemble du mouvement d’occupation.

La nouvelle phase de négociations avec la préfecture, autour des fameux formulaires individuels, est loin de faire l’unanimité. Cette question anime en tout cas beaucoup de conversations. Certains ont peur que ces négociations n’affaiblissent le mouvement. D’autres craignent une normalisation de la Zad, haut lieu de la revendication de valeurs et de pratiques de solidarité et d’auto-organisation. Et d’autres encore ne comprennent pas trop ce qui se joue en ce moment, et avouent ne plus trop savoir pourquoi ils sont là.

« De loin, plein de gens ont un fantasme idéologique sur la Zad. Mais quand on s’approche, on voit que c’est plus compliqué que ça : toutes les luttes ont des tensions, des débats, de l’hétérogénéité », affirme Camille, du groupe presse.

Pour Julien, « c’est peut-être à trop chercher l’unité qu’on se fragmente », et il vaudrait peut-être mieux viser « l’alliance ». Lui trouve donc positif ce moment de questionnement, où de plus en plus de militants cherchent à comprendre et prendre part aux discussions. « Les débats sont portés de manière un peu chaotique, mais au moins les gens se sentent moins éloignés », pense-t-il.

Dimanche, la bibliothèque du Taslu lançait un appel à « s’enrégimenter dans les troupes de l’imaginaire ». L’idée, à base de textes choisis et lus par les participants, était de « lancer l’assaut sur les gendarmes mobiles, mais il semble qu’ils aient eu peur de cette nouvelle arme », expliquait un des organisateurs. L’action s’est donc transformée en une déambulation de la Rolandière au Gourbi, entrecoupée de lectures allant de Pierre Rabhi à Kropotkine, en passant par Lucrèce et Thoreau.

Durant la journée, des patrouilles constituées de cinq fourgons de gendarmerie ont circulé autour de la zone. Et l’hélicoptère a fait son retour dans l’après-midi.

Ce lundi, les négociations avec la préfecture doivent se poursuivre. Pendant ce temps, les habitants sont toujours dans l’expectative quant à la possibilité d’une nouvelle intervention militaire dans la semaine. « A chaque fois qu’on a eu de l’espoir, ils nous l’ont fait à l’envers deux jours après », rappelle le Camille de Bellevue, exprimant une absence totale de confiance très partagée. Mais tous se disent déterminés à tenir bon : « Quand bien même ils reviendraient, nous serons toujours là ».

 

Baptiste Giraud/Reporterre (23 avril 2018)

 

 

Photos :

  •  chapô et rivière : le 17 avril : © Emmanuel Gabily/Reporterre
  •  autres : dimanche 22 avril : © Baptiste Giraud/Reporterre

 

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