André Pochon : Le bon sens paysan

Publié le par Jean-Louis Schmitt

André Pochon est un agriculteur breton né en 1931 à Saint-Mayeux (Côtes-d'Armor), en Haute-Cornouaille. Il fut exploitant à Saint-Bihy, avant de prendre sa retraite en 1991. Il est connu pour être l'un des promoteurs de l'agriculture paysanne et de l'agriculture durable. Il a été distingué par l'Institut culturel de Bretagne pour son œuvre en faveur de la Bretagne en recevant en 2011 le collier de l'ordre de l'Hermine.

André Pochon : « J'ai compris que notre intérêt financier n'était pas dans l'endettement, mais dans la production la plus simple et la plus naturelle qui soit ! »

André Pochon : « J'ai compris que notre intérêt financier n'était pas dans l'endettement, mais dans la production la plus simple et la plus naturelle qui soit ! »

Intarissable, avec son irrésistible et malicieux sourire, André Pochon n'a jamais sa langue dans sa poche.

Toujours droit comme un « i » dans ses sabots, du haut de son 1,63 m, il montre le petit potager qu'il cultive avec amour dans le jardin de son pavillon, près de Saint-Brieuc dans les Côtes-d'Armor.

Né pas loin d'ici, à Saint-Mayeux, il a été très longtemps exploitant à Saint-Bihy. « J'ai quitté l'école à 13 ans, avec mon certif', le lendemain de la Libération, en juin 1944 », raconte-t-il. Son sillon paraît tout tracé: il succédera à son père, agriculteur « rouge et très modeste, brisé après avoir été exproprié de ses terres ». Le gamin est tout fier, du haut de ses 13 ans, de labourer avec deux chevaux lourds… « Je devenais un homme. »

Mais son instituteur va en décider autrement, le petit « Dédé » est trop brillant. À force de persuasion, il accepte de suivre le cours complémentaire, à Corlay. C'est le déclic. Tous les dimanches, après la messe, « mon instituteur me prêtait trois livres: Hugo, Balzac j'ai tout dévoré ». L'instituteur le pousse à suivre le brevet élémentaire, puis l'école normale. « Mais je ne voulais pas: moi, je voulais être paysan! » De guerre lasse, en plus du boulot à la ferme familiale, il suit les cours par correspondance. Et poursuit sa formation, jusqu'au niveau d'ingénieur agronome.

Dédé se fait alors embarquer par sa sœur dans la Jeunesse agricole catholique (Jac). « Ce mouvement d'éducation populaire m'a passionné. » Très vite, le petit Dédé en devient l'un des dirigeants.

Sous l'influence de René Colson et Michel Debatisse, il épouse le discours productiviste ambiant, poussé par la loi Pisani de 1960« Trop de petites fermes, trop de jeunes. Il fallait remembrer, motoriser. Les kolkhozes, les kibboutz étaient nos modèles… »

André Pochon crée l'association de Communauté et d'entente rurale, « pour nous regrouper, fonder des communautés d'exploitations ». Une belle perspective idéaliste qui préfigure les futurs Gaec. Inlassable, il crée aussi le Centre d'études techniques agricoles (Ceta) de Mûr-Corlay. « C'était passionnant, on échangeait tous les mois sur nos échecs et nos réussites. » Ce Ceta intéresse l'Inra (Institut national de la recherche agronomique) qui vient régulièrement le rencontrer, dont René Dumont« le père fondateur de l'écologie ». « La crise, c'est le moment idéal »André change alors radicalement de cap. Il glisse de la FNSEA aux Paysans travailleurs, puis à la Confédération paysanne, tout en militant au PS. Écolo, Dédé« Non, économe, rigole-t-il. J'ai compris que notre intérêt financier n'était pas dans l'endettement, mais dans la production la plus simple et la plus naturelle qui soit! »

Regardez bien les vaches, c'est un instrument extraordinaire, explique-t-il« Une barre de coupe à l'avant, une unité d'épandage à l'arrière… On n'a jamais rien fait de mieux que de laisser une vache toute seule au milieu d'un pré! » Dédé tourne alors définitivement le dos aux sirènes du productivisme.

Avec son épouse Fernande, ils vont faire la démonstration « qu'on peut très bien vivre avec neuf petits hectares ». Pari gagné, étudié et validé par l'Inra, grâce à l'extraordinaire taux de protéines de ses prairies semées en trèfle blanc, « avec zéro engrais ».

C'est la méthode Pochon. Son Ceta reçoit jusqu'à 3000 visiteurs par an, de toute la France, Dédé devient le porte-drapeau national de cette révolution. Celle de l'autonomie fourragère que le ministre Stéphane Le Foll tente encore aujourd'hui de promouvoir…

Dans ses différents livres (six au total!), André Pochon n'a depuis jamais cessé de critiquer radicalement l'agriculture productiviste.

Et la Politique agricole commune Un système économique qui « pénalise avant tout les agriculteurs mono-actifs, dépendants de leurs fournisseurs, poussés à un endettement très fort ». Dédé démontre aussi que, contrairement aux idées reçues, ce productivisme a fait perdre à l'Europe son indépendance alimentaire.

Son dernier combat« L'inverse des ex-quotas: le quantum, une prime aux premiers volumes produits. » Une idée vieille d'il y a déjà trente-cinq ans« Avec la crise, c'est le moment idéal. » On réoriente les 7,5 milliards d'euros que reçoit l'agriculture française de l'Union européenne vers une limitation des volumes. « Comme ça, le producteur est assuré que ses premiers volumes auront un prix garanti. Après, libre à ceux qui le veulent de produire plus… »

C'est possible, ça ne contreviendrait pas à l'Europe, mais « ça sécuriserait les petites et moyennes exploitations. Et ça redonnerait du tonus à tout le milieu rural! »

Reste à être entendu. Mais « la crise va aider à ouvrir les consciences », assure-t-il, empoignant sa fourche de ses grosses mains calleuses. Qu'on se le dise!

Ouest France-Christophe Violette (20/04/2016)

Vidéo : André Pochon : Le bon sens paysan (1 :46 :44)

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